Virage 2000 – Femmes et violence dans l’Église

Introduction

Selon les recherches en psychologie, l’être humain porte en lui une agressivité fondamentale qui est liée aux forces de la vie. Cette agressivité peut être sienne. Elle peut également être utilisée pour garder l’autre sous sa domination, le menacer, le terroriser ou le nier. Cette négation de l’autre peut s’exprimer dans de multiples situations avec une grande violence mais dont le cumul porte atteinte à son intégrité.

La violence en Église, celle utilisée négativement, ne peut être définie et comprise sans la situer à l’intérieur d’une société. D’ailleurs, il serait inapproprié d’en parler si on ne reconnaissait pas d’abord que cette violence est inhérente à toute société. Elle est incontestablement présente dans nos vies et cela depuis que l’être humain vit sur la terre. Elle apparaît sous différentes formes allant des plus facilement identifiables aux plus subtiles.

Étant inhérente à l’être humain, cette violence se vit souvent d’une façon totalement inconsciente, autant pour les personnes qui la subissent que pour celles qui en usent. Qu’elle soit individuelle, systémique, structurelle, institutionnelle, physique, psychologique, verbale, intellectuelle, morale, économique, politique, la violence fait toujours mal[1] . Elle détruit à coup sûr, quelquefois en douce, à l’insu même de la personne ou plus brutalement, de façon criante et évidente. Elle est habituellement tournée vers les autres mais aussi, bien souvent, vers la personne elle-même.

Après avoir présenté en quelques mots la problématique de la violence en Église, nous verrons quelles sont les conséquences sur les femmes particulièrement en ce qui a trait à la parole, la culture, les relations interpersonnelles et le travail. Avant de conclure sur les conditions pour réussir un virage en Église, qui permette de sortir du cycle de la violence, nous vous inviterons à passer à l’action.

A. PROBLÉMATIQUE DE LA VIOLENCE DANS L’ÉGLISE

Si dans la société civile québécoise, pourtant démocratique, surgissent, en raison d’un certain sexisme et de relents d’une culture patriarcale, de multiples formes de violence envers les femmes, on ne peut s’étonner de retrouver aussi à l’intérieur de l’institution ecclésiale diverses formes de violence faite aux femmes.

L’Église reconnaît ouvertement les multiples formes de violence dont souffrent les femmes dans la société civile. Elle n’hésite pas à les dénoncer et elle s’engage à les contrer. Toutefois, il lui est plus difficile d’admettre que ces profils de violence se retrouvent aussi au sein de l’institution ecclésiale.

L’Église catholique romaine est une société hiérarchique fortement marquée par la culture patriarcale. Or, qui dit hiérarchique renvoie à une organisation du pouvoir selon un rapport de subordination d’une part; d’autre part, la structure patriarcale d’une société se fonde sur le pouvoir exclusif ou prépondérant du « père ». Cette double dimension de l’institution ecclésiale détermine, en quelque sorte, les modalités de l’exercice du pouvoir dans l’Église, lequel pouvoir n’est reconnu qu’aux ministres ordonnés, c’est-à-dire aux hommes.

La violence institutionnelle se manifeste souvent dans la manière d’exercer le pouvoir dans l’Église, dans la façon d’entretenir des relations de subordination et de dépendance, voire d’exclusion, avec les personnes, tout spécialement avec les femmes. De fait, les postes de pouvoir décisionnel ne sont accessibles qu’aux clercs. Il y a donc discrimination, exclusion. L’accessibilité des femmes au pouvoir décisionnel serait une reconnaissance de leur égalité avec les hommes.

B. LES CONSÉQUENCES SUR LES FEMMES

Une structure institutionnelle qui engendre différentes formes de violence, de discrimination, d’exclusion doit être questionnée. Discernement et prudence sont cependant nécessaires. Par contre, on ne doit plus faire silence sur les nombreuses manifestations de la violence envers les femmes dans l’Église. Plusieurs créneaux s’offrent à l’analyse : la parole, la culture, les relations interpersonnelles et le milieu de travail.

1. La parole

Malgré les efforts déployés pour donner la parole aux laïques dans l’Église, il faut reconnaître que, dans les faits, peu de place est accordée à cette prise de parole, notamment à celle des femmes pourtant nombreuses dans la Bible.

La parole des femmes n’est pas davantage prise en considération lorsqu’elles suggèrent ou proposent une Église de Dieu plus fidèle au Message du Christ, plus signifiante pour les contemporains et les contemporaines, et plus axée sur les valeurs évangéliques d’ouverture, de respect, de compassion, de dignité, d’égalité…

Et pourtant, les femmes, comme personnes, sont foncièrement égales aux hommes, ont les mêmes capacités qu’eux d’utiliser à bon escient leurs potentialités de personnes libres, intelligentes et créatives. La preuve n’est plus à faire : elles sont nombreuses à compléter des études supérieures en théologie et dans d’autres disciplines. L’Église-institution accorde-t-elle la même crédibilité aux travaux des théologiennes que celle qu’elle accorde aux travaux  des théologiens?

Constatons que dans les textes liturgiques (domaine réservé, intouchable), le langage inclusif est timidement utilisé; il demeure fragile parce que lié à la bonne volonté des clercs. Des progrès sont par contre remarqués dans la pratique pastorale où, tant à l’oral qu’à l’écrit, on manifeste une certaine préoccupation d’inclusion des femmes. Il est important de remarquer que le langage et ses représentations sont fortement ancrés dans la culture et la manifestent.

2. La culture

Selon René Jaouen dans Pleins feux sur le partenariat en Église, la culture constitue l’ensemble de tout ce qui est acquis par le processus de socialisation[2] : habitudes, comportements, mentalités, symboles, structures sociales. Donc, elle est quelque chose de relatif même si on essaie de la faire passer pour naturelle. Ce qui a été donné par Dieu depuis les commencements, c’est la différence sexuelle entre les hommes et les femmes. Les hommes ont fait leur propre interprétation et leurs propres aménagements de ce don de Dieu en créant l’inégalité là où n’existe qu’une différence[3] .

On peut donc se demander pourquoi les femmes durent au service de l’Église? Certaines cherchent à réconcilier leurs convictions et leurs pratiques féministes avec le christianisme, ce qui se traduit par un désir de travailler pour la justice. D’autres choisissent de se tenir debout, dans le respect de leur dignité et de leur foi en Jésus et en l’Évangile. Quelques-unes restent parce qu’elles sont façonnées par une culture donnée qui les a habituées à la soumission et qu’elles n’ont pas encore pris conscience de leur aliénation. Plusieurs, en dépit des nombreux défis, parfois difficiles, qu’elles doivent relever, poursuivent leur service pastoral parce qu’elles aiment l’Église et travaillent à sa transformation[4] .

 

3. Les relations interpersonnelles

En travaillant dans l’Église, les femmes sont amenées à côtoyer davantage les clercs. Cependant, les relations interpersonnelles sont souvent difficiles et la cause de souffrances profondes. Au sein de l’institution ecclésiale, des femmes se disent dévalorisées, abusées verbalement, psychologiquement et même sexuellement par des membres du clergé. Pourquoi cette violence? Comment l’expliquer?

Les manifestations de la violence dans les relations interpersonnelles se retrouvent à plusieurs niveaux. Le monde du travail, les activités de relation d’aide sont souvent des terrains propices à l’une ou l’autre des formes de violence. On ne peut passer sous silence toute la question de la sexualité qui a pris les dimensions d’une véritable obsession avec le temps et qui montre l’emprise de l’Église sur le corps, l’esprit et l’âme des femmes. Celles-ci ont subi, plus que leur part, des pressions de personnes de l’institution qui, trop souvent, décidaient pour elles de la conduite à tenir dans leur vie sexuelle.

4. Le travail

Depuis les années 1980, beaucoup de laïques travaillent à l’intérieur de la structure ecclésiale; au nombre de ces laïques, les femmes sont majoritaires à se voir confier des responsabilités pastorales. Toutefois, ces responsabilités ne sont pas entières puisqu’elles relèvent toujours d’un clerc, seul à détenir le pouvoir. Comment peut-on dire que ces femmes sont reconnues à leur juste valeur, avec équité et justice?

Que penser des conditions de travail de ces femmes qui consacrent temps et énergie au service de l’Église? Leurs conditions sont-elles compatibles avec une réelle reconnaissance de la dignité des femmes et de la valeur de leur travail? Ne donnent-elles pas prise à des attitudes de domination, de violence, d’injustice envers les femmes[5]  ?

C. PASSER À L’ACTION

Des stratégies d’action doivent être mises de l’avant pour corriger ces situations de violence vécues par les femmes. Dans l’Église, les laïques n’ont pas le pouvoir de changer les lois. Des améliorations majeures pourraient être apportées si les responsables modifiaient le Code de droit canonique pour reconnaître les femmes comme des personnes humaines à part entière, égales aux hommes et capables d’assumer de véritables responsabilités. Ce serait un pas important !

Tout en demeurant vigilantes et lucides sur les différentes formes de violence qui les concernent, des femmes à « l’espérance têtue » continuent de travailler pour que des changements adviennent et que toutes formes de violence disparaissent dans l’Église.

 

CONCLUSION

La structure de l’Église, ses lois, ses règles entraînent des situations d’injustice, de non-reconnaissance effective des femmes, d’exclusion, de pratiques discriminatoires, donc de violence. Ivone Gebara écrivait dans Le mal au féminin : « La violence institutionnalisée contre les femmes n’est pas seulement un acte de violence particulier, mais une organisation sociale, une construction culturelle qui tend à diminuer un pôle de l’humanité et à exalter l’autre ».Toute violence qui fait mal à l’être des femmes et à son accomplissement comme femme et comme chrétienne est une violence à combattre.

Il faut sortir du cycle enfermant de la violence. Un regard différent doit se poser en prenant de la distance. Si nous voulons prendre un virage dans notre Église, pour une plus grande justice envers les femmes, celles-ci devront être partie prenante du processus de changement qui conduira à une Église de disciples égaux, à une Église d’inclusion des femmes, à une Église d’égalité entre les hommes et les femmes. Ce virage ne pourra se faire sans que l’Église change ses structures pour y inclure la pleine reconnaissance des femmes avec leur droit à la prise de parole, leur droit à toutes les fonctions pastorales et administratives, à des conditions de travail équitables et à des relations interpersonnelles sans violence. C’est seulement ensemble qu’il est possible de discerner ce que l’Esprit du Christ ressuscité dit aujourd’hui à son Église.

 


NOTES

[1] Voir Lexique sur la violence à Démarche 1 – Texte d’appoint.
[2] Définition de la socialisation : « Le processus  par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au cours de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l’influence d’expériences et d’agents sociaux significatifs et par là s’adapte à l’environnement social où elle doit vivre », in Guy ROCHER, Introduction à la sociologie générale. Tome 1 : L’action sociale, Montréal, Éditions HMH, p. 105.
[3] Pleins feux sur le partenariat en Église. Actes du Symposium « Le partenariat hommes-femmes en Église », Montréal, Éditions Paulines, 1997, pp. 99-102.
[4] Voir Chapitre 3 « Profils et configurations d’ensemble » in Lise BARONI, Yvonne BERGERON, Pierrette DAVIAU, Micheline LAGUË, Voix de femmes, Voies de passage. Pratiques pastorales et enjeux ecclésiaux, Montréal, Éditions Paulines, Coll. F, pp.  87-149.
[5] Voir Cahier 3 d’animation sur Femmes et pauvreté dans l’Église.

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