Des propos déplorables

Les récents propos du cardinal Marc Ouellet suscitent de vives réactions, dans l’Église ainsi que dans l’ensemble de la société. Le Centre justice et foi déplore ce type de prise de position de l’archevêque de Québec qui n’a pour effet que de générer la division, la colère et les polarisations extrêmes.

Caricature de la réflexion morale

L’avortement est un enjeu délicat, complexe et dramatique. Il concerne au premier chef la réalité la plus intime des femmes. Ce sont elles, ultimement, qui devront assumer et porter les conséquences d’une décision qui aura de profondes répercussions sur leur vie, leur corps, leur santé, leur autonomie, etc. Un représentant d’une Église dont la crédibilité morale est actuellement minée par des scandales d’abus sexuels devrait aborder ce débat avec énormément d’humilité. En outre, prendre le « cas » le plus extrême d’une femme violée qui se ferait avorter, et l’utiliser comme une pure abstraction dans une rhétorique « jusqu’au boutiste », caricature la réflexion morale. Celle-ci exige en effet un jugement pastoral et prudentiel, tenant compte des situations concrètes des personnes et de leur complexité. Autrement dit, l’expérience et la parole des femmes concernées par une décision aussi cruciale que celle de poursuivre ou non une grossesse non désirée doivent être entendues, respectées et prises en compte dans l’élaboration du discernement moral. Malheureusement, dans l’Église catholique, c’est encore une hiérarchie constituée uniquement de clercs masculins et célibataires, excluant systématiquement les femmes, qui définit le discours officiel – particulièrement sur les questions d’éthique sexuelle.

Alignement politique partisan

Dans cette affaire, l’option partisane explicite du cardinal Ouellet nous apparaît aussi très grave et inacceptable. L’archevêque de Québec se range sans réserve du côté du gouvernement Harper et le félicite pour sa position sur l’avortement. Mais que pense-t-il des allégations de complicité de torture sur les détenus afghans qui pèsent sur ce gouvernement et pour lesquelles ce dernier refuse de faire la lumière? Comment jugent-il, dans une perspective de « culture de la vie », les positions guerrières et militaristes des conservateurs? Que pense-t-il du fait que ce gouvernement a tout mis en œuvre pour torpiller le récent Sommet de Copenhague? Alors que notre planète court vers une catastrophe écologique, la sauvegarde de l’environnement ne ferait-elle pas partie intégrante d’une « culture de la vie »? Et que pense l’archevêque de Québec du soutien total des conservateurs à l’exploitation des sables bitumineux – l’industrie la plus polluante de la planète – qui ravage les écosystèmes et la santé des populations autochtones en Alberta? N’est-ce pas là une atteinte à « la culture de la vie »? Comment jugent-il le leadership de Stephen Harper qui contourne allègrement nos institutions démocratiques, méprise les droits humains (pensons seulement à l’affaire Omar Khadr) et carbure au contrôle et à la manipulation des communications, de la fonction publique et des comités parlementaires? Que pense-t-il, enfin, de la volonté de ce gouvernement d’abolir le registre des armes à feu? Est-ce « pro-vie » que d’œuvrer ainsi aux intérêts du lobby des armes? Et combien d’autres exemples pourrions-nous ajouter…

Réduction à un seul enjeu

Nombre des politiques du gouvernement conservateur du Canada sont en contradiction flagrante avec l’enseignement social de l’Église catholique en matière de justice sociale, de droits socioéconomiques, de respect de la vie démocratique et de l’environnement. L’action gouvernementale doit être évaluée dans son ensemble, et pas seulement sur la base d’un seul enjeu – fut-il aussi sérieux que celui de l’avortement. À cet égard, les récentes déclarations du cardinal Ouellet nous apparaissent manquer de jugement pastoral et de sens de la mesure. Une majorité de croyantes et de croyants de l’Église catholique du Québec ne se reconnaît pas dans cette prise de position polémique, dénuée de nuance et de compassion. Il faut le dire.

Élisabeth Garant
Directrice générale du Centre justice et foi
18 mai 2010 

Élisabeth Garant
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A propos Élisabeth Garant

Directrice générale du Centre justice et foi et de la revue Relations, Élisabeth Garant a été récipiendaire du prix des Journées sociales 2011 en reconnaissance de son engagement pour la justice dans la société et dans l’Église. Elle a été missionnaire laïque au Japon et coopérante en Haïti. Elle détient une maîtrise en service social de l’Université de Montréal.
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