Tous intégrés à la construction

En octobre 1987, alors qu’il participait au synode sur  « La vocation et la mission des laïcs dans la mission de l’Église et dans le monde, vingt ans après Vatican II », Mgr Donat Chiasson, archevêque de Moncton et membre de la délégation canadienne formée de quatre évêques nommés par  la Conférence des évêques catholique du Canada, dira que « c’est le peuple de Dieu qui est le premier sujet de la mission ». Son intervention s’intitulera «Tous intégrés à la construction ».

SOMMAIRE

Le peuple des baptisés : premier sujet de la mission pour éclairer les questions traitées à ce Synode, il est capital de revenir à l’intuition première de Lumen Gentium: avant de parler du ministère ordonné et des laïques, la constitution présente l’Église comme un mystère qui est d’abord présent dans un peuple, le peuple de Dieu. Un peuple réel, avec ses limites, ses grandeurs et ses pauvretés.

Si la grâce du baptême précède toute distinction de charges ou d’offices, alors c’est le peuple des baptisés qui est le premier sujet du ministère.

•    Il est le premier porteur de la parole.
•    Il est le premier agent de réconciliation.
•    Il est le premier artisan de communion.

À partir de ce point de départ :

•    La dignité et le rôle des laïques n’ont plus à s’affirmer en opposition avec les ministres ordonnés. Le sentiment de la commune appartenance à la famille de Dieu fait peu à peu tomber le mur de séparation entre laïques et clercs.
•    Dans cette perspective, on comprend que les charismes des baptisés, les états de vie, les ministères, la hiérarchie sont tous ordonnés à l’exercice de la mission du peuple des baptisés. Il n’y a pas de classes supérieures et inférieures : les plus grands ce sont les saintes et les saints.

INTERVENTION

Je me réfère à la troisième partie de l’Instrumentant Laboris (no 46) qui traite de la participation de tous les fidèles à la mission de l’Église.

1.    « Il a fait tomber le mur de séparation », écrivait saint Paul aux Éphésiens (2,14), en parlant du Christ Jésus rassemblant juifs et païens dans une humanité nouvelle. En notre temps, sous nos yeux, l’esprit de Jésus fait tomber le mur de séparation entre laïques et clercs. Il nous fait redécouvrir l’Église comme une communion. Au cours des consultations préparatoires à ce Synode, les baptisés laïques nous ont dit de diverses manières : « Cette Église est notre Église, tout autant qu’elle est votre Église, en Jésus Christ, nous sommes responsables avec vous de la mission de cette Église ».

2.    L’esprit est en train de nous apprendre, à nous tous laïques et ministres ordonnés, la vérité fondatrice de notre commune vocation et commune espérance. Avant toute distinction de charges et d’offices, nous hommes et femmes baptisés, sommes « de la famille de Dieu ». « Vous êtes ensemble intégrés à la construction », dit encore l’apôtre Paul (Ep 2,19, 22).

3.    Au cours de ce Synode, il est beaucoup question de communion, de responsabilité partagée, de rapports entre laïques et ministres ordonnés. Pour éclairer ces questions, parlant au nom de la Conférence des évêques du Canada, nous proposons que ce Synode revienne à l’intuition lumineuse des premiers chapitres de Lumen Gentium. Cette constitution, avant de parler du ministère ordonné et des laïques, consacre deux chapitres au mystère de l’Église et au peuple de Dieu. Elle souligne ainsi clairement que le premier chargé de mission, le premier ministre du salut en Jésus Christ, c’est le peuple des baptisés. Un peuple de pauvres. Pauvres de pain, de joie, de liberté. Des pauvres qui savent ou ne savent pas combien ils ont besoin d’être sauvés. C’est un peuple structuré certes, avec des ministères, mais c’est ce peuple en tant que tel que Dieu s’est choisi, comme un nouvel Israël, et qui prolonge la mission du Christ Jésus. Ce Jésus qui est à la fois Bon Pasteur et Agneau. Cette conviction nous paraît cruciale pour les travaux de cette assemblée. On s’engagerait dans des culs-de-sac si on cherchait d’abord à distinguer ce qui revient aux laïques, d’une part, et aux ministres ordonnés, d’autre part. Il faut partir d’un autre point de vue, plus large, qui reconnaît dans le peuple des baptisés le premier sujet du ministère du salut en Jésus Christ pour toutes les nations.

4.    C’est dire que le peuple des baptisés est, dans le monde et pour le monde, le premier porteur de la parole, le premier agent de la réconciliation, le premier artisan de la communion en vue du Royaume de Dieu.

Premier porteur de la parole

5.    Premièrement, le peuple des baptisés est le premier porteur de la parole. Ici il est question de la parole révélée, bien sûr. Mais nous pensons à une parole vivante et actuelle. Une parole qui est nécessairement accompagnée de gestes concrets. Une parole qui transforme et envoie en mission ceux et celles qui l’ont entendue. Au Canada, Catherine de Hueck-Doherty, épouse et mère, est un témoin du « Aimez-vous les uns les autres » traduit dans le service des plus pauvres. Cette parole est une bonne nouvelle qui s’infiltre, comme une source, à travers la vie, à travers les expériences, les drames, les travaux et les joies du quotidien, à travers l’âme et l’histoire d’un peuple. Une parole actuelle. N’oublions pas : notre temps, c’est le temps de Dieu.

6.    Le service de cette parole vivante incombe donc à l’ensemble des baptisés. On insiste beaucoup dans notre Église sur la tradition apostolique, il faudrait parler aussi, et peut-être avant, de la tradition par les pères et mères, par les grands-pères et grands-mères. Saint Paul le faisait admirablement quand écrivant à Timothée, avant de l’inviter à raviver en lui le don de l’imposition des mains, il commence par rappeler « la foi qui habita d’abord en Loïs ta grand-mère et en Eunice ta mère » (2 Tim 1,5).

Premier agent de réconciliation

7.    Deuxièmement, le peuple des baptisés est aussi le premier agent de réconciliation. Il est d’abord le peuple qui se laisse réconcilier par Dieu (2 Cor 5,20). C’est pourquoi les baptisés exigent de plus en plus que leur communauté chrétienne soit d’abord elle-même un lieu d’accueil et de réconciliation. C’est d’abord à toute la communauté qu’il incombe de se montrer accueillante et compatissante envers toute détresse humaine. Jean Vanier, qui se trouve parmi les invités, a raison de dire : la qualité d’une communauté se reconnaît à la manière dont elle traite ses pauvres. Parce qu’elle voit dans les pauvres la présence de Jésus, fait pauvre lui-même.

8.    Ce peuple réconcilié en Dieu a charge d’être signe et agent de réconciliation dans un monde de violence et de divisions. Il y a encore beaucoup à faire mais on peut dire que de plus en plus de baptisés s’éveillent aux exigences de la justice, à la nécessité de la conciliation et du pardon au sein des familles, entre couples, entre groupes humains. Les jeunes particulièrement se montrent sensibles à l’urgence des valeurs de partage, de respect de l’écosystème, de rejet de la discrimination. Un jeune me disait juste avant de venir ici au Synode : « Ne nous donnez pas des règles : montrez-nous les valeurs ». Le travail de beaucoup d’hommes et de femmes trouve son sens dans cet immense effort de réconciliation des humains entre eux, dans la réponse à leurs divers besoins et dans l’aménagement des ressources de la terre, notre commune demeure.

Premier artisan de la communion

9.    Troisièmement, le peuple des baptisés est encore le premier artisan de la communion. Il est d’abord le peuple que Jésus rassemble dans l’unité et dans la communion avec le Père et l’Esprit (Jn 11, 52). Ce mystère de communion appelle une fraternité vraie, vécue. C’est pourquoi les chrétiens et chrétiennes insistent pour que leur Église soit un vrai lieu de communion. Il faut le dire a regret : ils sont souvent déçus, les jeunes surtout. Ils disent : « Nous venons à l’Église et personne ne nous connaît. Il y a les sacrements, mais peu de fraternité. Nous avons besoin qu’on nous appelle par nos noms. Nous voulons voir des visages amis. Nous voulons nous sentir utiles. ». C’est un problème dans toute communauté, mais c’est une tragédie dans l’Église de Jésus si les talents et les capacités de ses membres ne sont pas reconnus et mis à profit.

10.    Membres de cette communauté, les ministres ordonnés sont d’abord appelés à cheminer patiemment avec les autres à l’exemple de Jésus formant ses disciples. En temps voulu, il leur revient de mettre la parole de la vie en lien avec la parole reçue de la première communauté apostolique. Il leur revient d’accueillir les coeurs contrits pour leur donner le pardon du Père.  Ils ont la joie de rassembler et de présider l’assemblée eucharistique.

Conclusion

11.    Le peuple des baptisés, premier sujet et premier ministre de l’évangile du salut, voilà, à nos yeux, le point de départ nécessaire de nos réflexions sur la commune responsabilité en Église et sur les rapports entre le rôle des laïques et celui des ministres ordonnés. De cette conviction découlent bien des conséquences pratiques. Mentionnons en deux.

12.    La dignité et le rôle des laïques n’a plus à s’affirmer en opposition ou en rivalité avec les ministres ordonnés. Le peuple des baptisés inclut en effet aussi bien les laïques que les ministres ordonnés. La commune appartenance à la famille de Dieu fait tomber le mur de séparation entre laïques et clercs. Et dès lors, l’appellation dichotomique de laïques/clercs apparaît dépassée. Sans pour autant que cela entraîne la dilution du service propre des ministres ordonnés.

13.    Dans cette perspective, on comprend aussi que les charismes, les états de vie, les ministères, la hiérarchie sont tous ordonnés à l’exercice de la mission du peuple des baptisés. Ils désignent des personnes et des groupes de baptisés à des tâches ou témoignages particuliers au sein de la communauté, mais ces tâches et témoignages sont à déployer au service et dans la communion de l’unique et indivisible « peuple sacerdotal » qu’est l’Église locale. Ils ne constituent pas de classes supérieures ou inférieures parmi les membres du peuple de Dieu. Les plus grands, ce sont les saintes et les saints, car « l’amour est le plus grand » (1 Cor 13,13).

Rome, le 6 octobre 1987

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