Le pape François, les femmes et les ministères ordonnés

Le 28 novembre 2022, le pape François a accordé une longue entrevue au magazine America répondant à un large éventail de questions, y compris celle de l’ordination des femmes, question qu’il a écartée. En tant que femme ressentant un appel vocationnel depuis toujours, voici ma réponse.

Elle a par hasard été publiée le même jour que le lancement sur Zoom d’un livre sur les femmes en ministère en Irlande par Ann Francis, Ph. D. Le livre intitulé Called est le fruit de ses recherches approfondies sur le ministère des femmes dans toutes les dénominations, qu’elles soient ordonnées ou non. Outre ses résultats, il comprend des transcriptions d’entretiens très poussés.

Je suis l’une des femmes ayant participé à ces entretiens. Au cours de la discussion, une femme a déclaré qu’elle avait trouvé la lecture de mon entrevue très éprouvante. Lors de l’entretien avec le pape, la réalité de cette souffrance a également été abordée : « Beaucoup de femmes souffrent parce qu’elles ne peuvent pas être ordonnées prêtres. Que diriez-vous à une femme qui est déjà engagée dans la vie de l’Église, mais qui se sent toujours appelée à être prêtre? »

Mais François a évité de parler de la souffrance vécue et de ce qui était pourtant une question pastorale. Il a choisi de répondre au niveau théologique arguant que le ministère relève du principe pétrinien et est donc réservé aux hommes.

La journaliste a ultérieurement déclaré qu’elle avait espéré qu’il aborderait la dimension personnelle, non pas le « pourquoi » ou le « pourquoi pas », mais la question de ce que quelqu’un fait avec la douleur causée par un enseignement de l’Église. Mais le pape est-il capable ou désireux de faire face à cette douleur? Il ne l’a jamais fait.

En fait, dès 1995, j’ai décrit cet enseignement comme une forme d’abus spirituel, causant une grande douleur. Ces déclarations ont été répétées à maintes reprises par les papes successifs, convainquant de moins en moins de personnes. Je les vis comme une agression de l’esprit, un coup de matraque sur la tête, une mise à terre, une réduction au silence, un effacement de mon être. Je ne sais pas si le pape François a conscience de la façon dont ces déclarations sont vécues par des femmes comme moi, qu’elles sont reçues comme une forme de violence.

L’ironie tragique, en effet, est que la métaphore préférée du pape François pour l’Église est celle d’un hôpital de campagne. Mais pour moi, l’Église est le lieu même où se produit la blessure du rejet, la blessure de la discrimination. Et il en fait partie.

L’ordination des femmes

Alors que les plus anciens arguments contre l’ordination des femmes s’effondraient les uns après les autres, le pape Jean‑Paul II et ses successeurs ont eu recours à l’adoption des principes pétriniens et mariaux de Hans Urs von Balthasar comme rempart contre l’ordination des femmes.

Dans Would You Believe, un documentaire télévisé de RTE en 1995 dans lequel je parlais de ma vocation, le père Brendan Leahy (aujourd’hui évêque de Limerick et vice-président de l’Irish Synodal Pathway) a utilisé ces principes pour justifier l’exclusion des femmes des ministères ordonnés. Il y a eu de vives réactions aux propos du pape François.

Mary McAleese a déclaré sans détour qu’il s’agissait du même vieux « radotage misogyne », tandis que d’autres les ont décrits comme alambiqués et décousus. Dans un article éclairant paru dans le journal du Vatican, L’Osservatore Romano, la professeure Marinella Perroni résume bien la situation : « Les principes marial et pétrinien n’expriment-ils pas une idéologie et une rhétorique de la différenciation sexuelle et de genre qui servent de couverture aux privilèges patriarcaux? »

En d’autres termes, il s’agit d’une feuille de vigne qui tente de cacher l’apartheid de genre dans les ministères de l’Église. Le pape François a parlé à plusieurs reprises des méfaits d’une « culture du jetable » et de l’urgence de créer une culture de la rencontre en donnant la priorité aux personnes et aux relations, et non en partant d’idées ou d’idéologies abstraites. Cela signifie tendre la main, écouter et dialoguer avec les personnes. Et pourtant, lorsqu’il s’agit de femmes ressentant un appel vocationnel aux ministères ordonnés, la culture cléricale est littéralement celle du « jetable ».

J’ai une question pour le pape François :

Allez-vous vous ouvrir à une rencontre avec nous, allez-vous écouter nos témoignages alors que nous témoignons de l’espérance qui nous habite? Jusqu’à présent, mes demandes et mes meilleurs efforts ainsi que ceux d’autres femmes se sont heurtés au silence. Notre vocation continuera-t-elle d’être considérée comme une « histoires de femmes sans intérêts »?

Peu après l’entrevue d’América, soeur Nathalie Becquart, sous-secrétaire du Secrétariat général du Synode des évêques, a déclaré dans une entrevue à la BBC que « pour l’Église catholique, en ce moment, d’un point de vue officiel, la question [de l’ordination des femmes] n’est pas ouverte ». Si ce n’est pas maintenant, quand alors? Ces mots « pas une question ouverte » m’ont rappelé certaines des femmes qui se disaient appelées au ministère presbytéral en France dans les années 1970. Ces femmes pionnières et prophétiques avaient formé un groupe appelé VIE, qui était l’acronyme de Vivantes Interrogations à l’Église.

Nous, femmes gênantes, continuons d’être des questions vivantes, des questions qui respirent, des questions persistantes, des questions dérangeantes pour l’Église. Nos vocations chrétiennes sont trop vastes pour être confinées aux rôles genrées stéréotypés et rigides que les hommes d’église nous ont assignés.

« Élargir l’espace de votre tente » (Is 54, 2), c’est ce que le document de travail pour la phase continentale du Synode nous exhorte à faire. Si le pape et les évêques s’accrochent aux cordes courtes et serrées des catégories sexistes des principes pétrino-mariaux, la tente restera un espace étroit, inhospitalier, patriarcal, sans place pour celles et ceux d’entre nous qui travaillons avec l’Esprit pour donner naissance à une vie nouvelle. L’intégrité et la fécondité du processus synodal exigent que toutes les questions soient ouvertes à l’examen et au discernement, ouvertes aux surprises de l’Esprit.

La foi

Il y a cent cinquante ans naissait en France une petite fille. Elle ressentait si intensément cette souffrance qu’elle anticipait sa mort prématurée comme une libération par Dieu. « Vous voyez, Dieu va me prendre à un âge où je n’aurais pas eu le temps de devenir prêtre… Si j’avais pu être prêtre, j’aurais été ordonnée lors des ordinations de juin. Alors qu’est-ce que Dieu a fait? Pour que je ne sois pas déçue, Il m’a laissée être malade de sorte que je ne puisse pas être là et que je sois morte avant d’avoir pu exercer mon ministère. »

Sainte Thérèse de Lisieux, aujourd’hui docteure de l’Église, est décédée à 24 ans. Nous, ses sœurs dans la foi, continuons à vivre, avec à la fois la peine et l’espérance.

Soline Humbert
Le 2 février 2023

Texte original paru dans The Synodal Times (Irlande) et reproduit en français sur le site Femmes et Ministères avec l’autorisation de l’autrice.

Traduit par Pauline Jacob et Michel Goudreau à l’aide des traducteurs gratuits Chrome et DeepL

Soline Humbert

A propos Soline Humbert

Détentrice d'une maîtrise en théologie oecuménique, Soline Humbert est accompagnatrice spirituelle, auteure de nombreux articles et militante pour l'ordination des femmes. Elle est membre du groupe catholique irlandais We Are Church Ireland et chercheure pour le Wijngaards Institute for Catholic Research. Ses recherches portent sur le genre, la sexualité et la réforme de l'Église. Elle a été porte-parole pour le congrès « WOW 2001 » du Women's Ordination Worldwide [WOW] à Dublin.
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8 réponses à Le pape François, les femmes et les ministères ordonnés

  1. À cet effet voir mon analyse sur : l’identité du prêtre et le charisme marial, vous y trouverez des éléments positifs sur cette question particulière et ce, à partir de la pensée du théologien Hans Urs con Balthasar http://www..margogravelprovencher.com. La Déclaration Interinsigniores et études balthariennes. Première partie, chapitre 2.1

  2. Soline Humbert dit :

    Merci bien Margo pour les liens pour vos analyses très intéressantes.
    Un Jesuite Irlandais vient de publier un article (en Anglais)
    sur ce sujet qui intérestera peut être. https://associationofcatholicpriests.ie/the-furrow-gerry-ohanlon-pope-francis-and-the-ordination-of-women

    • Bonjour Soline. Je vous remercie pour l’article proposé. Je me procure le livre de l’auteur cité: Pope Francis and the Ordination of Women.

      Je vous reviendrai lorsque reçu.

      http://www.margogravelprovencher.com

      • Bonjour Soline.

        J’ai lu l’article de Gerry O’Hanton, s.j. concernant la question de l’ordination de la femme. Il est certain que la question de la double facette de l’Église, piétrinienne et mariale, semble faire problème à plusieurs. Chez Balthasar, ce sont les deux côtés d’une même pièce ou la réponse de la femme et l’unité duelle de l’homme et la femme. « L’évangéliste Luc aurait été le premier, dit-il, à associer le rôle des femmes dans la mission du Christ Jésus» (ch. 5, 3.2 http://www.margogravelprovencher.com).
        Je retiens la conclusion de O’Hanlon. Celui-ci remercie le pape François d’ouvrir et de permettre le questionnement en parlant si ouvertement. En cela, il mérite tout notre respect, dit-il. En parlant librement, il nous invite à agir ainsi. Pour ma part, mon expérience de foi reçue (visée théologique: 24-12-1977 )m’a conduite aux fondements du ministère sacerdotal chez le Pape Benoît XVI: « non plus serviteurs, servantes mais ami.e.s car, dit Jésus, je vous ai donné toutes les paroles que j’ai reçu de mon Père » Jn 15,15-17. (théologie de la réception en Jésus ).

        Merci pour votre engagement.

  3. Soline Humbert dit :

    Merci Margo pour votre contribution.
    Ce matin, au Chemin Synodal en Allemagne,un évêque Allemand a dit que les principes Marial et Pétrinien avaient de la validité MAIS ne devaient pas être liés au genre. …( Franz Josef Overbeck)

  4. Bonjour Soline,

    Membre de la COMEECE, la parole de l’évêque cité est très importante. La théologie allemande est très sensible à la reconnaissance de Marie.C’est certain qu’il ne s’exprime pas dans une théologie du genre. Pour eux, à la suite aussi de Von Balthasar, “ La foi de MARIE , le “oui “ permet de lui attribuer un rôle actif à l’Annonciation, rôle qui lui sera reconnu au sein de l’Eglise apostolique à la Pentecôte. En théologie balthasarienne le BEAU précède le BON et le VRAI. Nous devons retenir que c’est à la demande du pape Jean Paul II que Von Balthasar reçu en audience privé intégrait plus de 30 volumes d’Adrienne à son volume Dénouement, 5e volume de sa Dramatique divine. (Von Balthasar est Docteur es Linguistique). Le BEAU provient de la vision de la Mère et l’Enfant chez Adrienne. Et la dimension trinitaire de chacune des personnes de la Trinité provient de l’expérience fondamentale d’Adrienne. Principalement de sa méditation du NOTRE PÈRE.

    Merci

  5. Soline Humbert ( Vatinel) dit :

    Merci Margo pour partager votre savoir qui m’a appris plusieurs choses. Vous m’avez donné de nouvelles pistes de lecture et de réflexion que je vais continuer de poursuivre.Bonne fête de l’Annonciation (25 Mars) et journée de prière pour l’ordination des femmes!…

    • Union de prières en cette fête de l’Annonciation à la Vierge Marie.
      Puisse l’Eglise accueillir la réception des appels reçus au sein de tous les ministères ordonnés.

      En l’anniversaire du baptême de mon fils Benoit.
      En Marie, première disciple du Seigneur.

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