L’urgence d’une fidélité créatrice

Pour une Église plus évangélique

Depuis des décennies des voix s’élèvent avec insistance pour enjoindre l’Église catholique d’opérer, au sein de son organisation, des changements majeurs dans son rapport avec le monde et plus spécifiquement avec celui des femmes. En effet, après tant de discussions, de recherches et de publications enracinées dans l’expérience des femmes, force est de constater que la réalité est restée fondamentalement la même. Malgré certains discours renouvelés et des pratiques libératrices semées en terrains fertiles, l’immobilisme institutionnel perdure. Rien d’étonnant que dans l’étape de consultation diocésaine de l’Église, en route vers le synode romain 2023 sur la synodalité, de nombreux rapports acheminés au Vatican fassent état d’une prise de parole éloquente incluant des demandes formelles concernant l’accès des femmes à toutes les fonctions ecclésiales1.

Si la crise se manifeste très concrètement sur le plan du fonctionnement et des structures, elle est cependant beaucoup plus profonde car elle atteint le message, le cœur du christianisme et le sens de l’expérience chrétienne. Elle concerne donc la réalité de notre fidélité au Nazaréen et à son Dieu et notre façon de l’exprimer en vérité aujourd’hui. C’est bien sûr tout un ensemble d’éléments interreliés dont nous devons tenir compte pour opérer une transformation globale du système ecclésial. Souvent évoqués, les verbes refonder, déconstruire et reconstruire ne le rappellent-ils pas avec justesse? Dans cet article je m’arrêterai à certains blocages persistants semblables à des nœuds qui fixent et enserrent. Des nœuds à défaire dont la résistance rend le travail d’autant plus difficile qu’elle se renforce parfois depuis des millénaires. Pour y arriver, j’essaierai de tenir fermement le fil d’une fidélité créatrice assez vivifiante pour nous convoquer à construire un vivre ensemble différent.

1.UNE SOURCE INTARISSABLE

Jésus le Nazaréen : une inspiration indicible

Citoyen actif, Jésus vit avec son peuple : son histoire, sa culture, ses valeurs, ses traditions, ses espoirs, ses rêves… Il partage avec les siens l’expérience évolutive d’une Alliance avec Yahvé, ce Dieu libérateur qu’il ose appeler ABBA (PÈRE). Son quotidien est marqué par une double captivité, celle de la religion officielle et celle du système politique en vigueur. Devant une telle conjoncture il prend position en faveur des personnes dont la vie est menacée, condamne les conditions inacceptables faites à son peuple et choisit de vivre à contre-courant. Tout cela est pour lui lourd de conséquences. Profondément libre, voire subversif, il ne se laisse pas enfermer dans un cadre doctrinaire, transgresse une loi qui n’est pas au service des humains, refuse le ritualisme et dénonce les prétentions hégémoniques de la religion. Il apprend au fil de ses rencontres et des événements. Il se laisse bouleverser et questionner jusqu’à modifier son point de vue (Mt 15, 21-28; Jn 4, 1-24). Il impressionne par son message, sa pratique et par la vigueur de sa critique sociale, économique, politique et religieuse. Tout cela dérange les règles du jeu. Il parle du Royaume de manière originale avec la conscience de participer à sa venue d’une façon déterminante. Celle-ci se traduit en des gestes concrets individuels et collectifs qui sont des signes de cette nouvelle manière d’exister comme être humain (Lc 4, 33; Mt 11, 5). Et ce qui est central pour lui apparaît dans un changement de la situation parlant de vie en abondance (Jn 10, 10) pour les personnes, la communauté et l’humanité. Mais alors que veut dire marcher à sa suite?

Une fidélité à inventer au quotidien de l’histoire

Bien sûr il ne s’agit pas de répéter simplement ses paroles ou de refaire ses gestes. Une telle attitude serait « non seulement de l’anachronisme mais à coup sûr la pire des infidélités 2 » car Jésus s’est toujours approprié sa Tradition d’une façon inventive dans un mouvement d’ouverture et de réinterprétation qui l’amenait à recréer. Mettant son intelligence au service d’une religion vécue « en esprit et en vérité », il l’approfondit et ouvre des perspectives. Il prend en compte les diverses composantes de la réalité et devient plus conscient de sa mission. Cela le conduit à chercher sa voie en fidélité à lui-même et à prendre des risques au-delà des cadres. Concernant la condition faite aux femmes, il faut noter son attitude et sa pratique profondément novatrices au point de choquer ses disciples, sans oublier la portée révolutionnaire de son comportement dont, par exemple, leur défense contre les droits abusifs des hommes en regard du divorce. Pour le Nazaréen femmes et hommes sont des êtres essentiellement égaux et c’est de droit divin. Il va le plus loin que son temps lui permet et il inspire les transformations dont certaines ne deviendront possibles qu’après un long cheminement. N’est-ce pas d’ailleurs au cœur de sa pratique libératrice qu’il invoque le Père et qu’il affirme agir sous l’impulsion de l’Esprit? Et c’est cette même Source intarissable qui nous rejoint encore aujourd’hui.

2.EN FINIR AVEC LES BARRIÈRES DU CONSERVATISME

Libérer l’expérience croyante du littéralisme

Nous le savons, l’essence de l’espérance chrétienne se joue dans la mouvance des enjeux humains. C’est donc dans et par l’inculturation que la fidélité créatrice s’apprend, se dessine et se renforce. Or ici loge un blocage majeur dans l’Église car, comme institution, elle s’est progressivement « ex-culturée » de nos existences individuelles et collectives. Il est impératif pour elle de se ressaisir en partant de l’aventure d’humanisation contemporaine et en adoptant concrètement une véritable approche inductive. C’est un « changement copernicien » obligé. En effet, appuyée sur des présupposés et des postulats indémontrables, ou sur des vérités et des principes dits éternels, sa démarche n’est plus crédible. Et ce blocage demeure particulièrement évident dans le maintien d’un fondamentalisme et d’un traditionalisme dont les multiples formes entraînent à son endroit une perte de confiance indéniable. Conséquence logique car le littéralisme conduit à un décalage souvent énorme avec la culture actuelle (progrès scientifique, méthodes de travail, perspectives d’avenir…). Décalage également entre foi et raison, doctrines et intelligence. Et malgré des correctifs apportés, le néolittéralisme reste encore présent dans de grandes Églises et s’exprime plus ou moins subtilement dans certains cercles. Cela mène à une impasse car, s’il n’est pas en symbiose avec les cultures humaines, le message de Jésus devient incompréhensible, voire injustifiable. Il ne peut être reçu et accueilli alors que le Prophète a vécu en « faisant du nouveau » afin que tous et toutes aient la vie en abondance.

Persister dans cette voie de littéralisation s’avère donc une trahison de la mémoire du Nazaréen. En effet, tenir compte de l’univers culturel, linguistique et symbolique des textes bibliques ne signifie pas s’y enfermer en confondant symbole et histoire. À titre d’exemple, les études exégétiques ont montré depuis longtemps que la vérité des récits concernant la naissance de Jésus n’est pas d’ordre historique : elle se situe dans l’ordre symbolique qui renvoie à des professions de foi sur la personne du Galiléen. Le message de ces textes n’est-il pas de proclamer « l’infini d’un Dieu qui nous embrasse et (…) s’est approché de nous dans la personne de Jésus »3? De là l’importance de recréer maintenant cette expérience révélatrice des premières générations chrétiennes et de repenser les symboles susceptibles de l’exprimer en gardant la conviction qu’une telle expérience dépasse toutes les explicitations.

Libérer la théologie de l’enflure dogmatique

Nous abordons ici un autre domaine atteint par le manque d’inculturation de l’institution ecclésiale. Combien de déclarations (préceptes, doctrines, dogmes…) ont été formulées dans des univers culturels et philosophiques d’une autre époque. Le problème s’aggrave du fait que certaines déclarations aient été figées, sacralisées et déclarées irréformables. Outrepassant le message de Jésus, elles sont aujourd’hui inaudibles, imbuvables, insoutenables. De véritables défis à l’intelligence! Et si celle-ci n’est pas respectée, comment le cœur peut-il être touché et devenir « brûlant »? Nous le voyons, les obstacles se situent plus encore à ces niveaux de profondeur et de radicalité que sur les plans pastoral et organisationnel. L’Église doit rapidement s’imposer un devoir de rationalité : réviser ses interprétations et ses argumentaires qui conduisent à des représentations indéfendables de Dieu et de Jésus. Il s’agit d’un enjeu dont les conséquences sont très lourdes. La dogmatique n’est vraiment plus acceptable.

Le blocage est majeur. Comment penser détenir la vérité et se présenter en repère absolu ? La connaissance de la vérité n’est-elle pas évolutive? Et le discours religieux toujours relatif? Donc sans point final ni infaillibilité définitive. Mais alors comment l’institution peut-elle persister à considérer comme un « débat clos » le refus d’accès aux ministères ordonnés pour les femmes4? Quant à la mariologie, elle n’est pas sans lien avec le littéralisme, plus particulièrement avec le mythe de la vierge qu’il ne faut surtout pas confondre avec la vérité historique. Définie par le système patriarcal à partir d’une tout autre époque, l’humanité de Marie a été effacée. Qui plus est, son image construite de « femme idéale » a été figée avec le temps dans une dogmatique lourde de conséquences5. On peut encore se demander ce que les doctrines et les dogmes mariaux (Immaculée conception, Assomption) ont fait de cette femme juive profondément incarnée, culturellement enracinée et chevillée à son peuple… Fort heureusement d’autres lectures et interprétations resituent et orientent différemment cet ensemble de croyances, de figures, de métaphores et de représentations. Certaines font ressortir particulièrement l’intériorité intelligente et active de Marie qui recueille les éléments au fil du temps et cherche à comprendre la réalité « mystérieuse » en train de s’accomplir. Pensons par exemple à sa présence forte, libre et interpellante mise en lumière par l’événement des noces de Cana. D’autres soulignent la profondeur de sa compréhension évoquée par le Magnificat relativement à la mission de son fils. Chose certaine toutes ces études entendent, de façon diversifiée, redonner à Marie son humanité.

À l’Église de faire sa part maintenant en rendant hommage à cette Marie véritablement femme dans tout son être, son agir et son devenir. Puisse-t-elle aussi réaliser à quel point la libération des femmes, celle de la théologie et celle du système ecclésial sont des inséparables! N’est-ce pas en effet une évidence depuis longtemps que libérer la théologie est capital quand elle sert d’assise au littéralisme et à l’autoritarisme? Sinon, au lieu de nourrir l’expérience de la foi, elle peut l’anémier jusqu’à épuisement. Et fixer une fois pour toutes l’interprétation des textes bibliques engendre une idéologie dont le glissement est facile vers une forme d’idolâtrie théologique prisonnière de son passé. Bref, il faut cesser de contrôler l’événement fondateur du christianisme en le réduisant à des explicitations toujours répétées. Place à la liberté évangélique pour vivre avec une fidélité créatrice l’expérience croyante originelle et la nommer de manière crédible aujourd’hui!

Libérer l’institution de son carcan clérical

Encore très répandu le cléricalisme est qualifié par le pape François de « culture d’abus » et « culture de mort » dans sa Lettre au peuple de Dieu de 2018. Il parle de ce phénomène comme étant la cause centrale de la crise interne profonde qui traverse l’Église. Pour lui il s’agit d’un système « qui donne une position et un pouvoir supérieurs aux membres du clergé et qui oriente le fonctionnement de l’institution »6. Pouvoir centralisateur et statut social notoire qui se prétend justifié d’imposer une doctrine et une morale dans l’Église et même dans la société. Fréquemment source d’un conservatisme paralysant, il incarne une culture de mise à part dans un monde plutôt hermétique. Or c’est l’ordination qui crée la différence en constituant ce groupe élitiste : organisation sacrée devenue un fait accompli au 111ème siècle et instituée surtout à partir du V111ème siècle. Dès lors les ministères déjà assumés par la communauté sont attribués aux prêtres et la hiérarchie continue d’étendre son pouvoir. Située au cœur du système, l’identité du prêtre joue un rôle capital dans le maintien du cléricalisme. Cela se traduit clairement par la place centrale du prêtre dans la liturgie. Son identification au Christ en fait une personne sacrée dotée d’une surnaturalité : il agit « in persona Christi » et il est considéré comme un « alter Christus ». Sa présence devient nécessaire pour assurer celle du Christ dans les sacrements. Voilà la théologie à la base de la caste sacerdotale bien en selle dans le cléricalisme.

Il est bien sûr fondamental de déverrouiller le pouvoir, déconstruire ce système et démonter son argumentaire. Aller jusqu’aux racines, défaire ce nœud en nous rappelant que le sacerdoce institutionnel ne vient pas du Nazaréen qui ne voulait pas de classes ou de catégories (Mt 23, 8), qui parlait d’un culte « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23 et suivants) et pour qui le sacré était dans les personnes. Or le seul fondement de la foi c’est l’événement Jésus Christ dont l’eucharistie est précisément la mémoire7. C’est à partir de là qu’il faut refonder et restructurer. Car, pour tous les chrétiens et chrétiennes, le caractère sacerdotal du christianisme vient de leur condition baptismale. Peuple de Dieu, nous sommes responsables ensemble et solidairement de l’actualisation de l’Évangile et donc du ministère général confié à l’Église en vue de sa MISSION. Il n’y a pas de différence essentielle ni de supériorité entre le sacerdoce appelé ministériel et le sacerdoce commun qui fait de toutes et tous des prophètes, des prêtres et des pasteurs. Reconstruisons donc en organisant la concitoyenneté et en intensifiant des relations à l’horizontalité. N’est-ce pas en prenant délibérément cette voie que l’Église cessera de refuser aux femmes l’accès à toutes les fonctions ecclésiales et de maintenir les laïcs dans une posture d’infériorité8?

3.DES CONDITIONS ESSENTIELLES À METTRE EN PLACE

Un déplacement institutionnel de taille : la vie, l’expérience et la parole des femmes

Dans l’Église le changement en profondeur n’aura pas lieu sans faire une place entière aux femmes. C’est une énorme transformation à opérer dans un système qui a engendré à leur égard une sorte d’idéologie du conservatisme. Pour y arriver dans l’optique d’une fidélité créatrice, un seul point de départ : les femmes dans leur réalité actuelle. Prendre d’abord conscience et reconnaître la Bonne Nouvelle que nous existons concrètement comme femmes avec nos originalités propres. L’institution doit sortir définitivement de son enfermement dans la figure de l’Éternel féminin et comprendre que nous refusons ces définitions masculines et sexistes de la « femme idéale » présentées comme étant d’origine divine et donc immuables9. En conséquence, elle doit prendre acte que nous contestons le recours à la volonté de Dieu pour justifier leur exclusion de certaines fonctions et dénonçons le stratège par lequel elle prétend répondre avant même d’avoir entendu les questions. Totalement opposées aux pratiques actuelles d’inégalité et de domination, nous réaffirmons qu’un débat rigoureux s’impose pour l’Église catholique. Un débat qui place au premier plan l’existence et l’expérience des femmes au coeur des enjeux contemporains. Cela renvoie en même temps à leurs multiples pratiques individuelles ou collectives et à la richesse de leur parole connectée à tant de solidarités. Tout cela d’ailleurs ne devient-il pas un lieu privilégié offert à l’Église pour rencontrer le visage féminin du VIVANT, entendre sa PAROLE et identifier les transformations qui s’imposent10?

Non à la subalternité : une exigence de lucidité constante

Toujours active malheureusement et souvent écrasante pour plusieurs femmes, la subalternité engendre un processus destructeur au sein des communautés et dans l’institution elle-même. Ne pas écouter leur parole ou la confisquer crée ou confirme une situation d’infériorité, d’indifférence, voire d’abus11. De son côté la notion omniprésente de « service » couvre facilement l’équivoque qui conduit à la servitude en confirmant la dimension sacrée du ministère ordonné. De là l’importance d’une grande lucidité pour évaluer et détruire au quotidien les pièges d’une politique de subordination. Lucidité tout aussi clairvoyante pour questionner ce refus de la présence des femmes au sein des organismes dirigeants de l’Église. Les obstacles en effet n’étant pas d’ordre juridique, ni théologique, ils relèvent plutôt « d’une habitude invétérée de commandement chez les hommes, et d’une sous-estimation du genre féminin12 ». Quant aux gestes du pape François concernant la participation des femmes à des commissions et des congrégations du Saint-Siège, ils s’avèrent certes un pas dans la bonne direction. Avec nuance cependant car, étant choisies d’en-haut, ces femmes offrent une certaine garantie de fidélité à la hiérarchie. Y a-t-il en cela un frein au regard libre et critique? Est-il possible d’en espérer un vent de renouveau? La logique de subordination sera-t-elle au moins affaiblie? Beaucoup de questions demeurent.

Un incontournable : reconfigurer les jeux du pouvoir

La centralisation du pouvoir se communique aux différents paliers de décisions et défigure le message proclamé. Or les changements structurels sont intimement liés à la transformation des relations. Aussi, dans le sens du christianisme libérateur de Gal 3, 28, l’Église doit-elle établir et consolider des rapports d’égalité et de réciprocité. Cela conduit à démonter les mécanismes de subordination et valoriser le caractère participatif d’un pouvoir correspondant à la responsabilité missionnaire comme un espace ouvert aux originalités personnelles. Place donc au dialogue pour définir avec les femmes la compréhension et l’exercice du pouvoir en assurant l’équilibre des relations justes et vraies. Place en même temps à l’action qui revisite en profondeur les fonctions et les rôles relatifs au ministère ecclésial. Ce faisant l’institution ecclésiale pourra retrouver le sens de l’unité dans la communion (Ga 3, 26-29) en se rappelant que « la demande pressante de parité pour les femmes (…) procède de la révolution des origines chrétiennes étouffée par les sociétés patriarcales »13.

Et maintenant poursuivons la marche…

Nous l’avons souligné, le changement en profondeur du système ecclésial est complexe. Et aussi longtemps que l’Église résiste à poser des gestes signifiants, ses consultations et ses discours de renouvellement ont l’effet de cymbales retentissantes. Mais fort heureusement les chants libérateurs de l’Évangile peuvent venir d’ailleurs.

Et c’est le cas quand des croyantes et des croyants continuent de marcher à la suite du Nazaréen en explorant avec d’autres comment alimenter ces multiples courants par lesquels la VIE peut circuler. Qui sont-ils? Des personnes, des équipes de réflexion, des groupes d’action, des petites communautés, des réseaux d’engagement à l’œuvre sur des sentiers de défrichage ou sur des chemins de passage en marge des autoroutes officielles. En recherche de sens et en travail d’humanisation, ces femmes et ces hommes s’inscrivent dans un mouvement de liberté et d’ouverture à l’inédit. Rencontrant Dieu au cœur de leur humanité, ils découvrent de plus en plus que foi et raison peuvent non seulement se réconcilier mais aussi et surtout grandir ensemble. Ils expérimentent que l’Évangile est Bonne Nouvelle parce qu’il éclaire notre quête de sens, énergise nos existences et nous invite à être au meilleur, à aimer sans compter et à vivre pleinement.

En rejoignant ces témoins nous comprenons davantage combien le christianisme peut être libérateur comme instance de dialogue avec la rationalité propre à chaque culture et à chaque époque. C’est donc LÀ, dans la pâte humaine, au plein vent de notre monde, que peut se reconstruire une Église de communion égalitaire entre femmes et hommes et entre communautés. C’est également à partir de là que l’humanisme évangélique doit s’inscrire dans l’organisation de l’Église afin que s’accomplisse progressivement sa MISSION d’unité et d’universalité. Ainsi, quels que soient les lieux de nos interventions et la diversité de nos pratiques, les gestes significatifs sont toujours porteurs d’avenir. Situés dans la mouvance de la liberté évangélique, ces gestes cassent la résignation en donnant des signes qu’il est possible de vivre autrement en Église. Des signes éloquents qui, sous des visages pluriels, parlent d’une expérience croyante renouvelée, de reconnaissance réciproque entre les humains, d’une autorité partenariale et d’un ministère ecclésial paritaire entre femmes et hommes.

Comment sur un tel parcours ne pas saluer, à l’œuvre, la fonction prophétique balisée par le Nazaréen qui annonçait la voie subversive du plus intégral humanisme? Puissent les membres du synode romain 2023 sur la synodalité marcher aussi avec ces communautés multiformes, ces églises de maisons interconnectées, ces femmes et ces hommes animés par l’Esprit et habités par l’indicible espérance du Galiléen! Un autre rendez-vous historique à ne pas manquer! Le temps de l’Évangile n’est-il pas toujours le présent?

Yvonne Bergeron, CND
Sherbrooke, le 17  décembre 2022

NOTES

1 Pour une brève mise en situation voir l’article de Jean-Pierre PROULX, « La révolution féministe gronde dans l’Église catholique », Le Devoir, 2 décembre 2022, IDÉES, A 7.

2 Jacques MUSSET, Jésus a fait sa part, faisons la nôtre! Pour une fidélité créatrice, Éditions Golias, 2021, p. 43. Dans ce volume l’auteur invite fortement à vivre cette fidélité dont il déploie le sens avec une grande pertinence.

3 John Shelby SPONG, Né d’une femme. Conception et naissance de Jésus dans les évangiles, Paris, KARTHALA, 2015, p. 185.

4 Souvenons-nous que Jean-Paul II avait fait cette affirmation en 1994 dans Ordinatio sacerdotalis et qu’elle perdure jusqu’à maintenant.

5 Nous savons quelle influence a eue la dévotion mariale sur l’image de la femme, sa place et son rôle dans l’Église, la famille, la société. Or, c’est surtout comme modèle de passivité, de générosité, d’intériorité, d’obéissance silencieuse au Père, à l’Esprit et à Jésus et d’engagement discret que les femmes l’ont connue.

6 Karlijn DEMASURE, La vérité nous rendra libres. Paroles de femmes dans la crise des abus, Montréal, Médiaspaul, 2022, p. 130.

7 « Jésus n’a annoncé dans aucun de ses propos qu’il voulait établir parmi ses disciples une nouvelle prêtrise et un nouveau culte sacrificiel », Herbert HAAG, Quelle Église Jésus a-t-il voulue? Les réseaux des PARVIS, Hors-série numéro 7, 1er semestre 2002, p. 62, par. 4.

8 « La condition nécessaire à la présidence de l’Eucharistie devrait (…) être non pas une consécration, mais une mission. Celle-ci peut être confiée à un homme ou à une femme, à une personne mariée ou non. Pour tous deux, homme et femme, il faut en quelques sorte réclamer le ministère d’Église dans sa plénitude, qui leur donne du même coup le pouvoir de célébrer l’Eucharistie », Id, p. 63, par. 10.

9 Quant au « génie » féminin évoqué particulièrement par Jean-Paul dans sa lettre apostolique Mulieris dignitatem (1988), déjà les féministes dénonçaient le danger que l’exaltation de ce mythe soit un piège pour maintenir l’exclusion des femmes des fonctions ministérielles.

10 Pour une réflexion majeure, consulter l’important volume de Denise COUTURE, Spiritualiés féministes, Pour un temps de transformation des relations, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2021, 248 pages.

11 Quand il s’agit d’abus sexuels, « le vide dans lequel tombent les dénonciations constitue un exemple très grave de la manière dont la parole des femmes ne compte pour rien dans l’Église, n’est jamais écoutée », Lucetta SCARAFFIA, Féministe et chrétienne, Montréal, Novalis, 2020, p. 86.

12 Ibid., p. 125.

13 Ibid., p. 131.

Yvonne Bergeron

A propos Yvonne Bergeron

Détentrice d'un Ph. D. (théologie), Yvonne Bergeron, c.n.d., est engagée dans différentes causes sociales. Jadis professeure à la faculté de théologie et d'études religieuses de l'Université de Sherbrooke, puis coordonnatrice du Service de la pastorale sociale du diocèse de Sherbrooke, cette ancienne membre du réseau Femmes et Ministères sait allier rigueur intellectuelle et action. Elle est l'auteure de « Partenaires en Église, Femmes et hommes à part égale » (Paulines, 1991) et de nombreux articles.
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3 réponses à L’urgence d’une fidélité créatrice

  1. François Paré dit :

    Merci Yvonne Bergeron, quelle verve, quelle justesse de propos, quelle profondeur bien sentie et longuement mûrie pour annoncer malgré tout et tous le cœur du cœur de la bonne nouvelle des multiples libérations qui progressent dans le respect non seulement de l’altérité mais aussi de la parité objective des communautés et des personnes qui les animent. Réflexion forte, j’espère qu’elle fera du chemin et touchera ceux qui sont encore convertibles (calotins décapotables dont je suis!).

  2. Michel Couillard dit :

    Merci pour cet article riche de lumière et d’espérance.
    Parlant d’espérance, je me questionne sur cette parole de Jésus :  » On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres…  »
    On le voit bien, le message évangélique ne peut pas  » tenir  » dans l’Église telle qu’elle est. il faudra beaucoup plus que ce qui est nommé pour vraiment libérer la Parole ?

    Je prie l’Esprit Saint de nous éclairer sur cette question.

  3. Rita Gagné dit :

    J’aimerais tant voir une théologie renouvelée par l’apport de l’expérience et de l’expertise que les femmes font de Dieu… en fait, c’est la naissance d’une nouvelle théologie, nouvelle mouture, que j’attends car on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres…

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