MARTHE ou MARIE?

Le tandem de Marthe et Marie me fascine depuis longtemps. Que ce soit l’épisode de « Jésus chez Marthe et Marie » en Luc 10, 38-42 ou « La mort et la résurrection de Lazare » en Jean 11,1-44. La relation des deux sœurs entre elles de même que leur rapport avec Jésus m’invitent à réfléchir.

Je me suis longtemps identifiée à Marthe, la femme d’action; celle qui s’implique, qui parle et qui veut faire bouger les choses et les personnes. Marthe n’est-elle pas celle qui, en Luc 10, a reçu Jésus chez elle et qui se démène pour préparer le repas, organiser les lieux pour bien recevoir la visite? Pendant ce temps, Marie est assise et écoute parler Jésus. Ça semble injuste. Ne voit-elle pas tout l’ouvrage à faire? Quelle insouciance!

Et pourtant, pourtant… Jésus lui dira : « Marthe, Marthe tu es inquiète, tu as du souci pour beaucoup de choses, mais une seule est nécessaire. Marie a choisi ce qui est vraiment bon, et personne ne lui enlèvera ».

Que de fois je me tourmente comme Marthe quand je pense à mon Église. Il y a tellement à faire et on manque d’ouvrières et d’ouvriers. Mon regard se porte surtout sur ces ouvrières de nos paroisses à qui on confie le plus souvent la catéchèse et la préparation aux sacrements des enfants. Comme Marthe, elles doivent s’occuper de tout ou presque : trouver les personnes qui formeront leur équipe, revoir le matériel nécessaire aux diverses activités, aménager les locaux et quoi encore… C’est tellement facile de se laisser embarquer par tout ce tralala et d’oublier l’essentiel, ce pourquoi, pour qui on fait tout cela : favoriser la rencontre avec Jésus.

Marie est assise aux pieds du Seigneur et elle écoute ce qu’il dit. L’attitude corporelle est importante quand on veut s’arrêter, prendre le temps, entrer à l’intérieur de soi. Marie, c’est la présence, l’accueil, l’attention à ce qui se passe, ce qui se vit là, maintenant et qui demeure.

Quant à Marthe, si elle reste attachée à son activité, qui pourtant est nécessaire, elle risque de passer à côté du visiteur. Alors Jésus lui rappelle l’essentiel, lui.

Que dire de l’épisode de la mort et de la résurrection de Lazare, en Jean 11 ? « Jésus aimait Marthe et sa sœur Marie ainsi que Lazare, leur frère ». Or Lazare est malade et les deux sœurs envoient dire à Jésus : « Seigneur, ton ami est malade ».  Je dis souvent cette prière quand l’une ou l’un des miens ne va pas bien.  Quand Jésus se met en route, son ami est déjà mort.

Dès que Marthe apprend que Jésus arrive, elle part à sa rencontre. Le temps presse,elle n’attend pas que Jésus franchisse le seuil de sa maison; elle va au-devant. « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. » Jésus lui dit : « Ton frère se relèvera de la mort ». Marthe répondit : « Je sais qu’il se  relèvera de la mort quand tous les morts se relèveront au dernier jour ». Jésus lui dit : « Celui qui relève de la mort, c’est moi. La vie, c’est moi. Celui qui croit en moi aura la vie, même s’il meurt. Crois-tu cela? Oui, Seigneur, je crois que tu es le Messie, le Fils de Dieu… ».

Marthe sera la première à affirmer sa foi en Jésus. Femme d’action, elle est aussi femme de réflexion. Elle sait des choses; elle sait que Jésus peut faire des miracles; elle sait aussi que les justes se relèveront de la mort. Jésus profite de tout cela pour l’amener encore plus loin et elle y est docile. S’engage alors un dialogue vivifiant. Le dialogue en pastorale est primordial : dialogue avec les autres et dialogue cœur à cœur avec le Seigneur. Une fois sortie de son savoir, Marthe est libre pour accueillir cette expérience nouvelle. Je crois, dira-t-elle, que c’est toi qui donne la vie, c’est toi l’essentiel. Et Marthe  comprend qu’il faut tenir à Jésus plus qu’à toute autre chose. Elle pourrait rester auprès de Jésus et savourer cet instant, mais non, elle sent le besoin de le partager avec sa sœur Marie et elle part l’appeler. Elle lui dit tout bas : « Le Maître est là et il te demande de venir ».

Marthe va vers sa sœur pour la faire entrer dans l’expérience qu’elle vient de vivre. C’est comme si elle disait : moi, je n’ai pas les mots, je ne te raconte pas mon histoire, vas-y toi-même et tu verras.  Quand Marie entend cela, elle se lève tout de suite et elle va trouver Jésus qui n’est pas encore entré dans le village. Et Marie se jetant aux pieds de Jésus de faire la même supplique : « Seigneur, si tu avais été là,mon frère ne serait pas mort ». Jésus ne demande pas à Marie de croire en lui. Il passe plutôt à l’action. « Enlevez la pierre ». Et Marthe sera de nouveau mise à l’épreuve. Elle est très terre-à-terre, proche de ses émotions. «  Il est dans la tombe depuis quatre jours. Seigneur, il doit déjà sentir mauvais ». Et Jésus de lui redire : « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ».

« Si tu crois en moi… ».Ces paroles résonnent souvent en moi. Particulièrement quand je regarde
mon Église que j’aime et que j’ai l’impression qu’elle est en déroute, voire moribonde. J’y vois alors une interpellation pressante à revenir à la source, au Seigneur, le Maître qui m’appelle.

Je me rapproche de plus en plus de Marie. Elle m’aide à mieux être Marthe, celle qui oeuvre et Marthe me conduit à Marie. Marie m’apprend l’écoute, m’enseigne à demeurer assise, à boire à la source. Si je ne suis pas en relation intime avec le Christ vivant en moi, comment puis-je accueillir les événements comme autant d’invitations à reconnaître sa Présence? Comment puis-je être une ouvrière crédible?

Et je termine avec un mot de Henri Nouwen : « Un pasteur chrétien ne pourra jamais accomplir un travail pastoral si ce ne sont pas sa propre foi et sa vision intime de l’existence humaine qui sont au cœur de son ministère ». (Pour des ministères créateurs, p.14)

Alors Marthe ou Marie?
Et si c’était  MARTHE  et  MARIE?

Québec, le 29 juin 2012.

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