Nez à nez avec l’Évangile

Je ne savais pas, en le lisant, sur quels chemins ce courriel reçu en juin 2020 allait m’entraîner. Il s’agissait d’une invitation à participer à l’une des quatorze « veillées pour la suite du monde » qui allaient avoir lieu au solstice d’été. C’était signé les Mères au front pour le climat. J’avais vaguement entendu parler de ce nouveau mouvement qui rassemblait des mères et grands-mères en colère et qui, justement, montaient au front pour défendre l’avenir de leurs enfants, les leurs et ceux des autres. Malheureusement, j’avais beau éplucher la liste des lieux où se tiendraient les veillées, je n’en trouvais aucun au Saguenay. À tout hasard, j’ai écrit à l’adresse indiquée dans le courriel. Sans le savoir, je venais, comme on le dit parfois chez nous, de « mettre le doigt dans le tordeur ».

Quelques semaines plus tard, je suis devenue l’une des fondatrices du groupe du Saguenay. Je n’avais donc rien planifié, mais je sentais instinctivement que je trouverais chez les Mères au front un lieu à ma mesure pour passer à un autre niveau d’engagement sur le plan écologique. Oh, je me sentais déjà interpellée par la situation écologique depuis de très nombreuses années. Je signais depuis longtemps toutes les pétitions que je pouvais, participais à des manifestations, soutenais financièrement des organismes écologiques, posais des gestes dans ma vie personnelle, tentais de sensibiliser ma communauté chrétienne via les campagnes de Développement et Paix et mes étudiants chaque fois que l’occasion se présentait. J’avais aussi offert à diverses occasions des formations sur Laudato si’ ou sur des thèmes connexes.… Mais je n’avais pas encore tout à fait les deux pieds dans le bain de la militance écologique.

Relecture en direct

C’est maintenant, à l’occasion de cet article, que je me pose la question : pourquoi ne pas avoir plutôt grossi les rangs d’une organisation identifiée comme chrétienne, par exemple Les Églises vertes? Peut-être que des années d’engagement en Église et mon expérience au sein de Développement et Paix me disaient… que je passerais encore beaucoup de temps à essayer de secouer l’indifférence de gens que cela ne préoccupait pas trop, sans toujours beaucoup de succès. Cela ne veut pas dire qu’il faut cesser de le faire… Mais finalement, j’avais le goût de me retrouver avec d’autres personnes qui, sans être des expertes en la matière, avaient le goût de travailler à changer les choses.

Au détour des sentiers, l’Évangile!

Je vous épargne les détails. D’une chose à l’autre, je me suis retrouvée insérée dans un vaste réseau d’organismes et de militantes et militants, dont beaucoup de jeunes. Et je suis souvent tombée, au détour d’une réunion, d’un échange ou d’un webinaire, nez à nez avec l’Évangile. Oh, pas avec des textes tirés du Nouveau Testament, bien entendu, ni avec des discours se réclamant d’une quelconque appartenance chrétienne. Non, mais avec quelque chose comme les béatitudes vécues, avec des assoiffés de justice, des artisans de paix, des Samaritains et des Samaritaines aux entrailles sensibles. Et j’ai entendu, oui carrément entendu énoncés comme tels un certain nombre de principes de l’enseignement social de l’Église : la dignité de toute personne, le bien commun, la solidarité, la justice. J’ai bien perçu ce souci de ne laisser personne derrière dans la transition à venir, en particulier les plus vulnérables, les citoyen.n.es des quartiers populaires, les personnes racisées, les Autochtones, les femmes, etc. J’ai retrouvé, dit à l’identique, le « tout est lié » si présent dans la bouche du pape François, donc cette conscience que justice climatique et justice sociale sont indissociables.

Alors?

Pour terminer ce bilan impromptu, je dirais que sortir hors de mes sentiers trop souvent battus me permet de contempler avec émerveillement de nouveaux visages d’Évangile dans un monde qui, simultanément, souffre aussi de graves déficits d’Évangile. Suis-je toujours une « femme en Église », alors que je circule hors des structures ecclésiales? Peut-être bien, mais il ne s’agit pas alors d’une Église définie par son caractère institutionnel ou par ses dogmes, mais par les liens souterrains et mystérieux qui relient le Christ aux membres de son Corps.

Anne-Marie Chapleau, bibliste
Institut de formation théologique et pastorale, Chicoutimi.
Le 1er mars 2022

Anne-Marie Chapleau
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A propos Anne-Marie Chapleau

Formée en sémiotique et détentrice d'une maîtrise en théologie, Anne-Marie Chapleau est professeure de Bible et directrice des études à l'Institut de formation théologique et pastorale (IFTP) de Chicoutimi et professeure associée à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval. Elle anime également des groupes de lecture biblique et des sessions de récitatif biblique. Par ailleurs, elle milite au sein du mouvement des Mères au front et de Développement et Paix.
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2 réponses à Nez à nez avec l’Évangile

  1. Anne-Marie Ricard dit :

    Merci Anne-Marie pour ce partage. Ta relecture de ton expérience entre en résonnance avec la mienne où mon appartenance à l’Église se vit dans ces zones périphériques, au coeur du monde, dans une vocation laïque! Ce qui ne m’empêche pas, au contraire, de questionner l’institution!

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