Hommage à une théologienne prophétique

Il y a quelques semaines, une amie aux Pays-Bas m’a envoyé un livre récent d’Ivone Gebara (une traduction néerlandaise de l’original en portugais), une catholique brésilienne, religieuse, philosophe et théologienne féministe. J’ai eu la chance de rencontrer Ivone, il y a quelques années, lorsqu’elle était en tournée de conférences et j’ai toujours eu beaucoup de respect et d’appréciation pour elle et son ministère. 

Aujourd’hui, j’aimerais partager avec vous quelques informations générales sur Ivone Gebara, puis quelques réflexions sur son axe théologique clé, « l’écoféminisme ».
Ivone est née à São Paulo et, jeune femme, a rejoint la Congrégation augustinienne des Sœurs de Notre-Dame. Elle est titulaire de deux doctorats : un en philosophie de l’Université pontificale catholique de São Paulo et un autre en théologie de l’Université catholique de Louvain.

Pendant près de 17 ans, Ivone Gebara a enseigné la théologie de la libération à l’Instituto Teológico do Recife en étroite collaboration avec le fondateur de l’Institut, l’archevêque Hélder Câmara (1909-1999), appelé « l’évêque des bidonvilles ». Hélder Câmara était bien connu pour son travail social et politique pour les pauvres et la lutte pour les droits humains et la démocratie pendant la dictature militaire au Brésil (1964–1985). Les autorités gouvernementales ont commencé à harceler activement Câmara en 1968, interférant avec son ministère dans les bidonvilles et tolérant les attaques à la mitrailleuse contre sa résidence.

L’Instituto Teológico do Recife a existé de 1968 jusqu’à sa fermeture par le Vatican en 1989, pendant le pontificat du Pape Jean-Paul II (1920–2005) et de son préfet de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi, autrefois connue sous le nom historique dInquisition romaine, le cardinal Joseph Ratzinger. Depuis le tout début de son pontificat en 1978, le Pape Jean-Paul II avait monté un dossier contre la « théologie de la libération ».

La fermeture de l’Instituto par le Vatican a eu un impact majeur sur le rôle d’Ivone Gebara en tant qu’éducatrice de même que sur sa conception de la philosophie et de la théologie. Elle était mal à l’aise avec la résistance de l’Église au changement et avec une théologie de la libération qui ignorait les structures patriarcales de pouvoir dans l’Église. Elle réalisait que l’Église a une conception du monde hiérarchique et oppressive qui catégorise les gens en termes de sexe, de race et de classe.

En 1995, Gebara a été jugée et condamnée par le Vatican pour avoir défendu la dépénalisation de l’avortement et déclaré dans une entrevue de l’hebdomadaire brésilien Veja qu’elle ne croyait pas que l’avortement était toujours un péché. C’est à partir de ses observations et de ses réflexions sur la vie de femmes pauvres des bidonvilles brésiliens qu’elle en est arrivée à cette conviction.

Aux États-Unis, le National Catholic Reporter (1995, 24) a réagi à sa condamnation par le Vatican en déclarant : « Ivone Gebara doit sûrement faire quelque chose de bien ». Elle a été réduite au « silence » et on lui a ordonné de « réfléchir » à ses idées pendant deux ans en Europe. C’est à cette époque qu’elle termine son deuxième doctorat à l’Université catholique de Louvain.

Aujourd’hui, Ivone Gebara est une leader clé du mouvement écoféministe latino-américain, écrivant, enseignant, organisant et travaillant avec des femmes marginalisées et pauvres. Le terme « écoféminisme » a été créé en 1974 par l’écrivaine et militante des droits civiques française Françoise d’Eaubonne dans son livre Le Féminisme ou la Mort.

Ivone Gebara est l’auteure de plus de trente livres et de nombreux articles publiés en portugais, en espagnol, en français, en anglais et en allemand. L’un de ses livres en anglais que je recommande vivement est Longing for Running Water : Ecofeminism and Liberation (Fortress Press 1999).

L’engagement de Gebara en faveur de la justice sociale pour les femmes a façonné sa compréhension de ce que devrait être la tâche théologique et a contribué au développement de sa méthodologie et de sa vision théologique féministe. L’écoféminisme est un mouvement qui voit un lien entre l’exploitation et la dégradation du monde naturel et la subordination et l’oppression des femmes. Il explore les liens entre les femmes et la nature dans la culture, l’économie, la religion, la politique et la littérature. Il emprunte au mouvement écologiste une préoccupation concernant l’impact des activités humaines sur le monde non humain et au féminisme une vision de l’humanité comme étant sexuée de manière à subordonner, exploiter et opprimer les femmes.

L’oeuvre féministe pionnière d’Ivone Gebara de même que son ministère et son témoignage ont inspiré des femmes chrétiennes du Brésil et du monde entier à contester et à s’opposer à une théologie androcentrique qui diminue la place des femmes dans l’Église et dans la société. Elle est en effet une théologienne merveilleusement prophétique.

Dans le livre d’Ivone Gebara Longing for Running Water, il y a de nombreuses observations que j’ai soulignées. En voici une qui résonne fortement avec mon propre sens théologique de la finalité et du sens :

Je pense qu’il est toujours important de comprendre notre besoin de remodeler nos croyances et leurs formulations particulières à chaque nouveau moment de l’histoire… La théologie devra mener à bien son rôle social avec plus d’humilité et d’ouverture. Ses vérités devront toujours être ouvertes… Ce ne seront que de simples approximations du mystère divin : des tentatives pour saisir le sens de notre existence, ne serait-ce que de manière provisoire. Nous devrons laisser de côté les affirmations absolues et les vérités ex cathedra, et apprendre à vivre au milieu de l’extraordinaire… L’expérience religieuse est polyphonique et multicolore, malgré le fait qu’au fond de chacun de nous nous entendons quelque chose de la même note ou percevons quelque chose du même chœur… C’est une recherche du sens de notre existence, un tâtonnement de ce « quelque chose de mystérieux » qui est en nous et en même temps nous dépasse.

Le mystère divin nous parle encore à tous. Notre réponse est notre défi….

John Alonzo Dick
Le 6 mai  2021

Texte original: https://foranothervoice.com/2021/05/06/praise-for-a-prophetic-woman-theologian/
Pour consulter d’autres articles de l’auteur, voici l’adresse de son blog : https://foranothervoice.com/author/jadick/

Traduit par Michel Goudreau et Pauline Jacob à l’aide des traducteurs Chrome et Deep et reproduit avec la permission de l’auteur.

John Dick
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A propos John Dick

Détenteur d’un Ph D en études religieuses et d’un doctorat en théologie historique [STD] de la KU Leuven, John A. Dick y devint professeur spécialisé en religion et valeurs dans la société américaine. Vice-président de l' Association for the Rights of Catholics in the Church [ARCC] et responsable du blogue « For Another Voice », il est auteur de nombreuses publications et coauteur de « The Malines Conversations Revisited, From Malines to ARCIC » (1998).
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