À quand une citoyenneté ecclésiale pour les femmes?

À l’heure où le droit à l’égalité et la laïcité de l’État sont au cœur des débats, la discrimination envers les femmes qui se vit dans l’Église catholique, soutenue par l’État, devrait nous faire réfléchir.

Depuis près de 50 ans, nous sommes témoins du déploiement des théologies et de la militance féministes chrétiennes. De nombreuses femmes ont cru que le jour viendrait où le statut des femmes dans l’Église catholique changerait. Or, nous assistons plutôt au blocage continu des relations de pouvoir dans cette Église, en dépit d’un contexte social qui a évolué en faveur des femmes. En effet, en 1964, par exemple, l’article 177 du Code civil, qui privait les femmes mariées de la disposition de leurs biens sans le consentement de leur mari, a été modifié. À la suite de l’abolition de l’article 174 du Code civil, en 1980, les premières générations de Québécoises ont pu se marier sans promettre obéissance à leur mari. Ainsi, le mariage ne signifie plus pour les femmes de renoncer à leurs droits. Lors du colloque Virage 2000 de Femmes et ministères, un réseau qui travaille à l’amélioration de la situation des femmes en Église, Hélène Pelletier-Baillargeon affirmait : « […] il paraissait déjà évident, à l’orée des années 1960, que la génération de nos filles, nées libres et égales dans la société civile, accepterait très mal cette dichotomie [dans l’Église] qui avait été le lot de leurs mères1. » Un tel écart, selon cette militante, ne pouvait que créer une forme de schizophrénie.

L’immuabilité « voulue par Dieu » et soutenue par l’État

Pourtant, dans notre système politique et juridique, le pouvoir religieux, en grande partie, reste une affaire d’hommes, bien que des Églises protestantes et anglicanes reconnaissent l’ordination des femmes. L’État contribue à cette situation en exemptant les groupes religieux de l’application des lois interdisant la discrimination envers les femmes. Faisant fi des luttes des femmes à l’intérieur des structures religieuses, tout se passe comme s’il était tout à fait normal que des femmes qui s’investissent dans un groupe religieux renoncent à leur droit à l’égalité.

Certes, les autorités ecclésiales qui se réclament de la fidélité à Dieu pour maintenir les femmes dans une condition de subordination affichent des positions bien campées, mais le fait que ces positions sont confortées par l’État, politiquement et juridiquement, les rend plus difficile à ébranler. Tout le travail a pourtant été fait par des femmes, sur le plan de l’argumentaire et de la recherche historique et théologique, pour justifier le changement du statut des femmes. De nombreuses activités de représentation ont été réalisées auprès des autorités ecclésiales pour que les femmes soient pleinement reconnues dans l’Église. Vingt-cinq ans après la déclaration Ordinatio Sacerdotalis de Jean-Paul II (2 mai 1994) affirmant que la position de l’Église concernant les ministères réservés aux hommes « doit être définitivement tenue par tous les fidèles », position réaffirmée plus récemment par l’exhortation apostolique Evangelii gaudium (24 novembre 2013) du pape François affirmant que « Le sacerdoce réservé aux hommes […] est une question qui ne se discute pas […] », force est de constater que la situation est bloquée. Ainsi, peut-on encore aujourd’hui et dans l’avenir se contenter d’en appeler uniquement aux autorités religieuses convaincues que c’est Dieu lui-même qui commande le statu quo ? Que peut-on faire de plus ?

Un précédent qui ouvre des possibilités

La lutte des Afroaméricains de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (les mormons) peut nous inspirer, car elle comporte de nombreux parallèles avec la situation des femmes catholiques. Il n’y a pas si longtemps, cette Église avait comme pratique de ne pas reconnaître aux hommes noirs le même statut que celui reconnu aux hommes blancs. Tout comme chez les catholiques, on a justifié et demandé que cette situation change sur la base de recherches historiques, d’exégèses du texte révélé et d’analyses théologiques. Tout comme chez les catholiques, devant la montée des critiques, les dignitaires de l’Église ont affirmé que le refus de l’ordination des personnes noires était une question de doctrine qui ne pouvait être questionnée. Une déclaration de 1951 stipulait que cette exclusion ne relevait pas de l’administration de l’Église, de sorte que les autorités ne pouvaient y apporter de modifications. Tout comme chez les catholiques, on a réprimé les contestataires (congédiements, refus de promotion) et le tout a été suivi d’une montée des forces conservatrices qui assuraient la ligne dure face aux personnes dissidentes.

L’appui du mouvement pour les droits civiques américain a joué un rôle crucial. Il a soutenu une opposition interne au sein de l’Église et contesté par la voie juridique les pratiques racistes. Des poursuites pour discrimination raciale ont été déposées ; des universités ont refusé de participer à des activités communes avec des organisations de l’Église. Cependant, la sortie de l’Église n’a pas été prônée pour les Noirs étasuniens, contrairement à ce qu’on suggère de faire aux femmes de l’Église catholique. On a plutôt fait en sorte qu’il devienne intenable pour les autorités de cette Église de s’en prendre aux personnes dissidentes et de maintenir le statu quo. Le 8 juin 1978, le président de l’Église a dit avoir reçu une révélation. Le changement s’est produit et les Afroaméricains ont obtenu le même statut que les hommes blancs. Aujourd’hui, des femmes de cette Église s’inspirent de cette lutte pour nourrir leur propre contestation. Cependant, force est de constater qu’elles ne reçoivent pas les mêmes appuis de l’extérieur de leur communauté. Il semble que la discrimination envers les femmes profite d’un climat de tolérance lorsqu’elle s’effectue à l’intérieur d’un cadre religieux et qu’elle soit moins préoccupante que la discrimination raciale.

L’autonomie religieuse ne devrait pas être un absolu

La participation de l’État au maintien de la discrimination envers les femmes dans la sphère religieuse, que ce soit en la tolérant, en l’acceptant ou en la soutenant, est un phénomène qui intéresse désormais des juristes. Cependant, la question n’a pas encore été posée dans les débats publics portant sur la laïcité de l’État. Assez spontanément, au Québec, on a considéré comme « normal » qu’un État accorde une reconnaissance formelle au droit canon (catholique) pourtant dénoncé par les féministes croyantes parce qu’il les discrimine. Il semble aussi aller de soi que les citoyennes subissant de la discrimination dans un groupe religieux ne puissent pas avoir le même accès aux tribunaux que des femmes qui seraient membres d’un groupe non religieux. La possibilité d’un recours pourrait offusquer plusieurs personnes estimant que l’État n’a pas à s’immiscer dans les affaires internes des groupes religieux.

Selon le juriste Cass R. Sunstein, professeur à Harvard, cette évidence dénote une faiblesse de notre mode de réflexion. Selon lui, le fait que l’Église catholique ne puisse pas être forcée d’ordonner des femmes, ou que des institutions religieuses puissent discriminer les femmes alors que cela est formellement interdit à d’autres groupes démontre que les lois sont appliquées avec une absence d’équilibre manifeste. Il s’agit, selon lui, d’un lieu commun de notre pensée politique qu’il nomme la « thèse de l’asymétrie2 », selon laquelle il est possible d’imposer des lois civiles et criminelles aux institutions religieuses, tandis que celles interdisant la discrimination fondée sur le sexe dans ces institutions posent problème. Or, cela peut changer. La notion d’autonomie religieuse est certes fondamentale, mais rappelons-nous que la violence domestique a longtemps été à l’abri des dénonciations en raison d’une prépondérance accordée à la notion de vie privée familiale. De façon similaire, la notion d’autonomie religieuse n’a pas à être un absolu.

La sociologue américaine Mary Fainsod Katzenstein, dans son livre Faithful and Fearless : Moving Feminist Protest Inside the Church and Military (Princeton University Press, 1998), a réalisé une étude comparative entre des féministes à l’intérieur de l’armée américaine et des féministes dans l’Église catholique. Sa conclusion : en l’absence de recours juridique pour les femmes, l’Église demeure libre de discriminer comme nulle autre institution ne peut le faire. Il est donc important pour les femmes catholiques de s’attaquer à cette idée qu’il est « normal » de se voir reléguées dans une sphère privée de droit où la reconnaissance de leur égalité dépend entièrement du bon vouloir du souverain pontife. Dans un texte intitulé « Indignation ou résignation », publié sur le site Web du réseau Femmes et ministères le 8 janvier 2013, Andrée Larouche écrit : « L’Histoire en est témoin. Sur les plans juridique, civil, professionnel, matrimonial et ecclésial, rien ne nous fut accordé par simple souci de justice, mais chaque victoire fut arrachée par la lutte acharnée des femmes pour plus d’égalité. »

La citoyenneté ecclésiale des femmes

Les femmes, à travers leurs luttes, ont forcé leur inclusion dans le concept de citoyenneté ; elles ont été reconnues comme des sujets politiques, civils et juridiques. Elles sont aussi des sujets religieux pour qui le droit à la citoyenneté ecclésiale devrait être reconnu, mais cela ne se reflète pas dans notre système juridique et politique.

C’est à la théologienne Margarita Pintos de Cea-Naharro que j’emprunte le concept de citoyenneté ecclésiale des femmes3. Être citoyenne ecclésiale comporte le pouvoir d’agir comme sujet moral et de ne plus recevoir passivement le discours moral souillé par le patriarcat. C’est aussi être un sujet théologique qui développe des interprétations de la tradition pour en faire des dépôts légitimes de la foi, en plus d’être un sujet ecclésial doté du droit de s’exprimer et de faire acte de dissidence, et pour qui l’enjeu n’est pas de reproduire un système clérical en lui donnant un visage plus féminin, mais plutôt de changer les structures. Lorsqu’un État accorde un droit associatif distinct à un groupe qui discrimine les femmes, lorsqu’un tribunal reconnaît un droit religieux discriminatoire à l’égard des femmes, il nie le droit à la citoyenneté ecclésiale des femmes et leur égalité tout court. Lorsqu’on oblige et force les groupes religieux à se soumettre à divers règlements et lois (par exemple en matière de zonage), mais que l’on trouve inconcevable de leur demander de prendre des mesures pour respecter le droit à l’égalité, on nie aussi la citoyenneté ecclésiale des femmes. Pourtant, on affirme que l’égalité entre les hommes et les femmes est une valeur fondamentale de la société québécoise. L’Assemblée nationale du Québec a de manière unanime affirmé en 1981 être liée par la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

L’article 2 de cette convention engage les États à « prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes par une personne, une organisation ou une entreprise quelconque ; prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes […] » (je souligne).

Accepterait-on, au Québec, que l’Assemblée nationale attribue un droit associatif particulier à une Église qui entérinerait la discrimination raciale ? Accepterait-on que les tribunaux accordent une reconnaissance à un code de droit religieux qui est discriminatoire envers des personnes racisées ?

Si entrer dans une vie conjugale à l’intérieur de l’institution du mariage n’est plus synonyme pour les femmes d’entrer dans un rapport de soumission privée que l’État protégeait jadis par le Code civil, il faut reconnaître qu’aujourd’hui, devenir membre de l’Église catholique reste pour les femmes synonyme d’abdication de leur droit à l’égalité. Osons souhaiter que les filles qui naîtront dans quelques années puissent parler de ce phénomène au passé.

Ce texte est publié dans la revue RELATIONS d’avril 2019 (no 801) et est reproduit avec les permissions requises.

NOTES

1 Discours en ligne sur le site Web <femmes-ministeres.lautreparole.org>. http://femmes-ministeres.lautreparole.org/?p=1920

2 Voir Cass R. Sunstein, « Should Sex Equality Law Apply to Religious Institutions ? » dans Susan Moller Okin (dir.), Is Multiculturalism Bad for Women ?, Princeton University Press, 1999, pp. 85-94.

3 Voir M. Pintos de Cea-Naharro, « Women’s Right to Full Citizenship and Decision-Making in the Church », Concilium, mai 2002.

Johanne Philipps

A propos Johanne Philipps

Détentrice d’un Ph. D. en Sciences des religions (UdeMtl, janvier 2020), Johanne Philipps est l’autrice de la thèse « Comment le projet de laïcité québécoise est défavorable aux femmes. L’urgence de briser une évidence ». Membre de la collective L'autre Parole, elle est l'auteure de nombreux articles concernant les relations religions-État. Elle a oeuvré comme intervenante en soins spirituels en milieu hospitalier.
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4 réponses à À quand une citoyenneté ecclésiale pour les femmes?

  1. M.Joseph dit :

    Un article intéressant qui donne en effet à réfléchir. Une question m’est venue cependant…

    Si j’ai bien suivi le problème énoncé est le suivant: il y a des discriminations fondées sur le sexe dans l’Église, et l’État ne fait rien pour changer cela (voire il les favorise). Ce qui le rend, de fait, complice de ces discriminations.

    La question que je me pose suite à la lecture de cet article est la suivante : pouvons-nous, en temps que croyants, nous en remettre à l’État pour qu’il règle ce genre de question ? Est-ce vraiment à cette institution que nous devons faire appel ?

    J’ai conscience que cette question de l’égalité hommes-femmes dans l’Église ne rencontre pas le soutien qu’elle mérite, que les appuis sont rares (ou déconsidérés). Je suis seulement inquiet de cette tendance générale, qui se retrouve jusque dans nos églises, à remettre tous nos problèmes aux puissances politiques et juridiques. Je souhaiterais avoir votre avis sur cette question de l’intervention de L’État dans l’Église…

    cordialement

  2. Gérard Laverdure dit :

    Merci Johanne.
    Très éclairant. Je pense que la discrimination historique – l’infantilisation même – des femmes est un enjeu majeur en religion, surtout dans l’Église catholique très patriarcale et machiste. Fermés dur les hommes du système. Dès l’ascencion de Jésus les gars veulent un poste…
    Il y a tout un travail d’information, de conscientisation à faire. Ça va être long, mais ça va venir. Y a des prophétesses debout, courageuses, audacieuses. Pentecôte. Gérard

  3. J’aime beaucoup ce témoignage et je souhaite depuis longtemps que notre Église brise cette discrimination et répare une injustice qui nous prive d’un apport significatif pour la vie de nos communautés chrétiennes.

  4. Suzanne Cayer dit :

    Un petit pas
    Le 11 janv le pape François a institutionnalisé le lectorat et l’acolytat pour les femmes en lien avec le sacerdoce baptismal
    S. Cayer

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