L’Église, peuple de Dieu, peuple de baptisé-e-s

Si je vous pose la question : qu’est-ce que l’Église, que répondez-vous?  Au concile Vatican II, au cours des années 1962-1965, il s’est passé quelque chose en ce qui concerne la conscience que l’Église a eue d’elle-même :  elle a pris conscience qu’elle est le Peuple de Dieu, le peuple des baptisé-e-s, et elle l’a officiellement formulé en concile oecuménique, c’est-à-dire en assemblée des évêques venant du monde entier. 

Selon le dominicain et ecclésiologue Yves Congar (1984) : 

Dans le déroulement et le travail du concile Vatican II, une des initiatives les plus décisives, les plus chargées d’avenir, a été l’introduction entre le chapitre I de la Constitution dogmatique Lumen Gentium et son chapitre III consacré à la hiérarchie ecclésiastique, d’un chapitre « Du Peuple de Dieu ».


Que s’est-il passé?  Qu’est-ce que cela signifie?   Qu’en conclure aujourd’hui, 44 ans plus tard? 

I. La conscience de l’Église comme nouveau Peuple de Dieu dans la tradition 

On peut d’abord se demander si cette conscience que l’Église exprimait sur elle-même était une innovation, une mode du jour.  Au début des années 1960, pour ceux et celles qui s’en souviennent, on assistait à un réveil des peuples colonisés, notamment en Afrique. Ils réclamaient leur indépendance, le droit de vivre selon leurs propres cultures. En 1963, dans son encyclique Pacem in Terris, Jean XXIII a signalé ce réveil des peuples. Il le considérait comme une juste réclamation de leurs droits et un « signe des temps » pour l’Église.

À cette époque, des mouvements de renouveau animaient l’Église.  Des études bibliques et patristiques, par exemple, révélaient qu’au tout début du christianisme, la conscience des chrétiens, disciples du Christ, d’être le Peuple de Dieu, était prédominante avec celle d’être le Corps du Christ[1].  Les épîtres de Paul et de Pierre font bien ressortir ce point.  Les chrétiens s’identifiaient comme le nouveau Peuple de Dieu, celui que les prophètes Juifs avaient annoncé.  Pour eux, ce peuple était celui du Royaume de Dieu, de son Règne, réalisé en Jésus Christ : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche »  (Mc 1, 15).  C’est ce nouveau Peuple de Dieu qui s’est reconnu comme Église (ekklesia), le rassemblement des personnes baptisées en Jésus Christ. 

Cette façon pour l’Église de s’identifier s’est maintenue jusqu’au IVe siècle, au commencement de l’ère constantienne, fin des persécutions et début de la grande institutionnalisation de l’Église.  Puis elle s’est graduellement perdue (Semmelroth, 1966, p. 395-402). La pensée scolastique du Moyen Âge et l’installation des papes à Avignon y ont grandement contribué.  On est venu à penser l’Église davantage comme une organisation sociale hiérarchisée (societas inaequalis, hierarchica) composée de clercs et de laïcs, les premiers gouvernant les seconds.  La dimension «mystérique» (mysterium) de l’Église (de grâce) s’est graduellement estompée au profit d’une conception sociétaire juridique.  Au XVIe siècle, la réforme protestante a réaffirmé l’Église comme Peuple de Dieu : une communauté d’abord spirituelle de baptisés, habités par l’Esprit, un « peuple de prêtres » (1 Pi). L’institution ecclésiastique doit être au service de cette communauté.  En réaction, le concile de Trente a formulé dogmatiquement la vision sociétaire de l’Église dite humano-divine ainsi que le sacrement de l’ordre comme pouvoir sacré, prérogative du clergé.  Le concile Vatican I, à la fin du XIXe siècle, a de nouveau sanctionné cette vision, cette fois en mettant l’accent sur l’infaillibilité de l’Église, voire du pape en tant que son chef suprême.

Il y a toujours eu des mouvements prophétiques dans l’Église pour lui rappeler sa réalité de grâce, le salut évangélique dont elle est la dépositaire et pour l’appeler à se réformer institutionnellement.  Pensons à François d’Assise et à Catherine de Sienne pour n’en nommer que deux.  Mais, officiellement, ses autorités ont maintenu comme fondamentale la conception sociojuridique hiérarchisée comme étant de volonté divine.     

L’encyclique Mystici corporis de Pie XII, en 1943, tout en évoquant la doctrine du Corps du Christ, dimension mystérique de l’Église chez Paul, a réaffirmé son enseignement que ce Corps du Christ c’est la société humano-divine hiérarchisée constituée du clergé (ceux qui gouvernent) et des laïcs (les gouvernés) qu’est l’Église catholique romaine.  

C’est donc cette vision de l’Église que les évêques ont retrouvée dans le premier schéma qui leur a été soumis dès la première session du Concile, à l’automne 1962.  Mais il s’est produit quelque chose.

II.  Conscience de l’Église comme Peuple de Dieu au Concile

Que s’est-il produit pour que la conscience d’être le Peuple de Dieu finisse par prendre une place aussi importante?  En effet, l’expression textuelle, peuple de Dieu, apparaît au moins 72 fois dans les documents conciliaires, 39 fois dans la Constitution dogmatique Lumen Gentium telle qu’adoptée en 1964.  Bien plus, cette vision est devenue le contexte ou la matrice, si on veut, de l’ensemble de la Constitution.

Face au 1er schéma qu’on leur remettait, les évêques ont commencé par avancer, sur la base du Nouveau Testament, que ce qu’est l’Église, sa nature, ne pouvait être enfermée dans la seule définition proposée.  Ils ont demandé un nouveau schéma de travail de même que de nouveaux membres dans la Commission théologique.  Le cardinal Léger a joué un rôle important dans ce changement, de même le cardinal Suenens de Belgique, sans compter l’immense travail des experts théologiens. On a ainsi obtenu un chapitre sur le Peuple de Dieu, puis que ce chapitre devienne le IIe de la Constitution, précédé du chapitre sur l’Église, son mystère de grâce et suivi du chapitre sur l’Église en tant qu’institution hiérarchique. Celle-ci se trouvait davantage vue à l’intérieur du Peuple des baptisé-e-s, à son service, et non au-dessus ou en dehors comme on pouvait en avoir l’impression dans le premier schéma.  Ce fut une tournure significative pour la conscience ecclésiale.

Dans son Journal du Concile, Yves Congar (2002) écrit :

Il ne s’agissait pas seulement d’exprimer ce qui est commun à tous les membres de l’Église au plan de la dignité de l’existence chrétienne antérieurement à toute distinction d’office ou d’état de vie, ce qui est de bonne méthode; il s’agissait de donner priorité et primauté à ce qui relève de l’être chrétien [souligné par l’auteure], avec ses responsabilités de louange, de service et de témoignage, à l’égard de ce qui est organisation fût-ce d’origine apostolique et divine.


Ce changement de la conscience ecclésiale, son acceptation et sa formulation n’ont pas été faciles.  Même Paul VI aurait exprimé sa préférence qu’on présente d’abord le De Hierarchicha et ensuite le De populo Dei  (p. 475). Par contre, le cardinal Wojtila (Jean-Paul II) y était favorable (p. 488). 

Même si la notion biblique de Peuple de Dieu ne correspond pas à celle d’un peuple politique (il s’agit du Peuple de Dieu, rassemblé dans la foi), l’expression en elle-même ne pouvait qu’être très dynamique dans le contexte culturel de l’époque. Elle répondait à une attente dans l’Église elle-même, animée de mouvements de renouveau (liturgie, bible, théologie historique, Action catholique, etc. (Rousseau, 1966). L’expression Peuple de Dieu  a tout de suite « parlé » même aux croyants marginaux de l’Église et, d’une façon particulière, on peut le comprendre, dans les milieux œcuméniques.

Ce fut donc un tournant décisif dans la conception de l’Église, pour la conscience ecclésiale des baptisé-e-s, de leur appartenance à l’Église, de leur dignité baptismale, membres de l’Église non pas à sa périphérie (dans le monde) mais au cœur. Ce fut à l’origine de l’aggiornamento que les Églises locales ont mis en place suite au Concile. D’une conception sociétale et juridique dite humano-divine de l’institution ecclésiale, vue plutôt statique, on passait à une conception mystérique et communautaire (peuple communautaire) de l’Église, une entité dynamique en marche dans l’histoire humaine[2].

III.  Implications de cette conscience pour la vie de l’Église

Relevons quelques implications de cette conscience pour la vie de l’Église, pour les baptisé-e-s qui sont les membres de ce Peuple de Dieu.

1. Un retour à la conscience que les premiers chrétiens et les premières chrétiennes avaient d’eux-mêmes et d’elles-mêmes en tant qu’Église 

En proclamant qu’avec Jésus Christ, le Royaume de Dieu est arrivé, qu’il est présent dans sa Personne, ses paroles et ses gestes, qu’il est accompli dans sa mort et sa résurrection, les apôtres et les premiers chrétiens affirmaient que le peuple nouveau qu’attendait le Peuple d’Israël et qu’avaient annoncé les prophètes était maintenant entré dans l’histoire.  Rappelons-nous seulement Jr. 31, 31 34 : « Voici que des jours viennent, dit le Seigneur, et je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle…  Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur, et je serai leur Dieu et ils seront mon peuple…  Tous me connaîtront, du plus grand au plus petit, dit le Seigneur » (cité dans LG, II, 9).  Paul parle d’une Ancienne Alliance, avec Israël, et de la nouvelle Alliance, définitive, en Jésus Christ. Avec lui, ce peuple nouveau est entré dans l’histoire, c’est un nouveau (neos) dans le temps (un nouveau quantitatif).

Ce Peuple est nouveau non seulement dans le temps, mais nouveau (kainosaussi dans l’être humain et l’univers cosmique, leur réalité intérieure (un nouveau qualitatif), une « mutation radicale, re-nouvellement  total, en relation avec quelque chose qui précède » (Tillard, 1987, p. 118). Pour l’expliquer, Paul parle de création nouvelle, d’un être humain nouveau (kainos anthrôpos).  En quoi ce peuple est-il nouveau?  C’est qu’en Jésus Christ (le premier-né de ce Peuple), ses membres sont transformés, passés de la mort à la vie dans l’Esprit. Leur identité n’est pas liée à une race, à un sexe ou à une classe, mais ils/elles sont nés de Dieu. L’Esprit est le signe de l’appartenance à ce peuple, non plus la circoncision, signe dans la chair mâle juive.

Ainsi, c’est un peuple universel, ouvert à tous les peuples (Juifs et Gentils). C’est un peuple dont tous les membres sont égaux, tous et toutes ayant revêtu Christ au baptême (Gal  3).  Le no 32 de LG (chap. IV, sur le laïcat) le rappelle : « une commune dignité des membres de par leur régénération dans le Christ, une commune grâce filiale, une commune vocation à la perfection, un seul salut… »  « Donc, dans le Christ et dans l’Église, il n’y a aucune inégalité au regard de la race ou de la nation, de la condition sociale ou du sexe parce qu’il n’y a  ni  Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, parce que vous tous vous êtes “un dans le Christ Jésus” (Gal 3, 18; Col 3, 11) ».

Cette ouverture et cette égalité nouvelles dans l’Esprit impliquaient une existence nouvelle, personnelle et communautaire : reconnaissance mutuelle comme frères et sœurs, pas de pauvres dans la communauté, services mutuels (diaconie), quelles que soient les fonctions, assemblées célébrantes de la Cène et de la Parole organisées autrement et incluant femmes et hommes, juifs et grecs, etc.  Paul a rencontré beaucoup de difficultés dans ses efforts pour appeler les nouveaux chrétiens, surtout les judaïsants, à vivre selon cette existence nouvelle. L’épître aux Galates en est un témoignage particulièrement important.

Si ce peuple nouveau est entré dans l’histoire avec Jésus Christ, il lui reste à poursuivre sa marche de manière à ce que tous les hommes et toutes les femmes de la terre habitée puissent connaître ce salut. Il est déjà là et encore à venir, en devenir jusqu’à la pleine stature humaine en Jésus Christ (eschatologie, LG II, 9).

2. Dimension historique de l’Église

« L’Église entre dans l’histoire des hommes cependant  [en même temps] qu’elle dépasse à la fois les temps et les frontières des peuples » (LG II, 9).   Le mot « histoire », absent jusqu’à ce jour des déclarations du magistère apparaît soixante-trois fois dans les textes du Concile (Rigal, 2005).  Ainsi, se trouve soulignée la dimension pérégrinante de l’Église (LG II, 9), son histoire inscrite dans l’histoire humaine et cosmique, la traversant.  D’une part, sa réalité de grâce pour l’humanité est accomplie en Jésus Christ (son essence, [Küng, 1968]) et, d’autre part, elle a encore à advenir dans l’histoire humaine (son existence [id.]).

Le Peuple de Dieu chemine donc dans l’histoire, l’Esprit l’habite, à la fois assuré (fort) de la grâce du salut en Jésus Christ et en besoin de cette grâce dans son humanité. Humain, il est vulnérable, soumis aux imperfections; doté d’intelligence, il est bénéficiaire des découvertes et de la croissance de cette humanité en processus d’humanisation (Congar, 2002, p. 116). Cette prise de conscience de la temporalité de l’Église a demandé une « conversion » de la part de l’autorité magistérielle de l’Église.  C’est ici que s’inscrit l’importance donnée à l’écoute des signes des temps et au dialogue avec l’humanité que reflète la Constitution pastorale Gaudium et Spes.  Et aussi, le constat que la réforme (LG parle de renovatio plutôt que de reformatio) est toujours possible, voire nécessaire si l’Église veut être fidèle à l’Évangile de Jésus Christ.

3. Dimension mystérique de l’Église, Peuple de Dieu sacerdotal


Dès le premier chapitre, qui précède tout le reste, la Constitution affirme que l’Église appartient à Dieu, non aux hommes, elle n’est pas faite de mains d’hommes.  Elle est le lieu de la grâce de Dieu, du salut pour l’être humain et l’univers.  Sa mission comme peuple de baptisé-e-s est de porter ce salut dans sa propre vie pour en être le sacrement, le signe et l’instrument parmi les nations (Lumen Gentium – lumière des nations I, 1). 

À cette fin, le Peuple de Dieu, des baptisé-e-s, est un peuple sacerdotal, dont la mission est de « faire sacré », faire « saint », faire pleinement humain et cosmique (en ce sens, sain, vrai) selon le dessein d’amour de Dieu.   C’est un peuple de prêtres (1 Pi 2, 9; 2, 4 5).  Quand nous pensons sacerdotal nous pensons prêtre qui célèbre l’eucharistie, clergé (c’est ce sens que promeut l’Année sacerdotale en cours).  Nous devrions plutôt penser d’abord nous, qui, à notre baptême, avons reçu une consécration sacerdotale pour la vie de l’Église et sa mission dans l’histoire humaine.  Alors que des traditions chrétiennes ont gardé vive cette conscience de la foi qui remonte aux premiers siècles de l’Église (en particulier la tradition orthodoxe; la tradition protestante l’a affirmée au XVIe siècle), elle a été ignorée, refoulée, on peut dire presque inexistante dans la tradition catholique romaine.  D’où la difficulté pour nous d’en comprendre tout le sens et les implications existentielles.

On peut se demander pourquoi, dans ces circonstances, cette identité sacerdotale des baptisé-e-s est apparue avec autant de force dans la Constitution sur l’Église.  Elle est, bien sûr, inséparable du Peuple de Dieu et du sacerdoce de l’Alliance nouvelle en Jésus Christ (voir 1 Pierre, l’Épître aux Hébreux).  De plus, au temps du Concile, dans la mouvance du mouvement œcuménique notamment, elle fournissait un terrain théologique commun avec les autres traditions chrétiennes pour la compréhension du sacerdoce chrétien.  On a pu y voir aussi un lieu de repensée du sacerdoce ministériel et du clergé hiérarchisé dans la tradition catholique romaine elle-même, de son assise baptismale et, alors, de son rapport avec le sacerdoce fondamental des baptisés.  Les questions ne manquaient pas à l’époque (le mouvement des prêtres ouvriers, le leadership des laïcs dans l’Action catholique jusque dans les renouveaux liturgiques, des célébrations de la Parole, etc.).  L’évêque belge Mgr Émile J. De Smedt, qui a été un des principaux acteurs de la Déclaration sur La dignité humaine (Dignitatis humanae), le pense : 

Tous ceux qui se préoccupent de l’œcuménisme constateront avec plaisir que dans la Constitution dogmatique Lumen Gentium, consacrée à l’Église, une large part est faite au sacerdoce universel des fidèles.  Ce qui en est exposé dans le texte promulgué sera lu avec satisfaction par les chrétiens non catholiques.  Et au sein de l’Église catholique elle-même, cette partie de la Constitution contribuera dans une large mesure à l’établissement de liens plus étroits entre le clergé et les laïcs et à une prise de conscience plus nette du rôle du laïc dans l’Église.  Ce dernier point surtout appelle un enseignement solide et approprié, car il fut négligé pendant de très longues années, en réaction sans doute contre les attaques dont le clergé fut l’objet de la part du protestantisme. (De Smedt, 1966, p. 411)

Quoi qu’il en soit, les baptisé-e-s ont pu prendre conscience que, par leur baptême, ils/elles participent au sacerdoce du Christ transmis au Peuple de Dieu. Qu’ils/elles sont un peuple de prêtres, d’hommes et de femmes «sanctifiés»3], faits saints, dans leur baptême, pour «sanctifier», faire sainte leur existence dans l’Église et dans le monde, en témoigner et l’annoncer (sacerdoce prophétique), œuvrer à transformer la condition humaine là où elle n’est pas encore rendue à elle-même dans sa vérité, dans l’Église et dans le monde (sacerdoce royal), l’offrir à Dieu et le célébrer liturgiquement (sacerdoce sacramentel).

C’est dans chaque fidèle, dans chaque membre du Peuple de Dieu que le Christ veut poursuivre sa mission. Quiconque accède à l’Église par le sacrement du baptême reçoit par le fait même cette consécration sacerdotale. (De Smedt, 1966, p. 412)

Ce sacerdoce, la Constitution le désigne par le terme de sacerdotium commune (II, 10).  Il est le sacerdoce universel parce qu’il est commun à tous les fidèles.  […]  Il est la condition de toute consécration ultérieure.  C’est un sacerdoce de base.   Toute autre participation au sacerdoce du Christ n’est que le développement ultérieur de cette incorporation fondamentale. (id.)

Ainsi, en fonction de ce sacerdoce sacramentel, la Constitution Sur la liturgie, au no 14, insiste sur la participation pleine, consciente et active de tous les baptisés aux célébrations eucharistiques. « En vertu de leur baptême », c’est « un droit et un devoir pour le peuple chrétien “race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple racheté” (1 Pi 2, 9; 2, 4 5) ».  D’où une réforme liturgique pour que les célébrations reflètent ce sacerdoce commun du Peuple de Dieu, avec le ministre ordonné à la présidence, se déroulant sur un mode dialogal, s’exprimant dans une gestuelle d’action commune (l’échange de la paix par exemple, présentation d’offrandes, intercessions qui reflètent la vie de la communauté de foi, la messe face au peuple comme au milieu du peuple, etc.).  Pour l’exercice de ce sacerdoce dans chacun des sacrements, cf. LG II, 11.

Sacerdoce royal.  Les baptisé-e-s sont sanctifiés pour sanctifier le monde, l’humanité, le cosmos, c’est-à-dire pour œuvrer à leur transformation là où ils sont encore en état de mort, de non vie : c’est l’engagement dans la cité.   Voir le chapitre sur les laïcs : LG IV, 36.

Sacerdoce prophétique.  Baptisé-e-s, nous sommes les héritiers et les héritières des biens de la promesse, sanctifié-e-s pour témoigner de notre salut, de l’espoir qui est en nous (LG II, 10 et 12) en participant à la Parole évangélique, prophétique, du Christ : 

Le Christ, grand prophète, qui par le témoignage de sa vie et la vertu de sa parole a proclamé le Royaume du Père, remplit sa fonction prophétique jusqu’à la pleine manifestation de sa gloire, non seulement par la hiérarchie, qui enseigne en son nom et avec son pouvoir, mais aussi par les laïcs, que pour cela il a établis ses témoins, et qu’il munit du sens de la foi et de la grâce de la parole (cf.Ac  2, 17 18; Ap 19, 10) pour que la vertu de l’Évangile brille dans leur vie de tous les jours, familiale et sociale » (LG IV, 35).

   Au chap. II, no 12, on peut lire : 

L’ensemble des fidèles, qui ont reçu l’onction du Saint (1Jn 2, 20 et 27), ne peut faillir dans la foi et il manifeste cette qualité qui lui est propre grâce au sens surnaturel de la foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque « des évêques aux derniers des fidèles laïcs » (Augustin), il exprime son accord universel en matière de foi et de mœurs.  En effet, par ce sens de la foi, éveillé et soutenu par l’Esprit de vérité, et sous la conduite du magistère sacré, pourvu qu’il s’y soumette fidèlement (cui fideliter obsequens), le Peuple de Dieu reçoit non plus la parole des hommes, mais véritablement la parole de Dieu (cf. 1 Th 2, 13).

 Les baptisés l’ont compris et il se produit de plus en plus de prises de parole lorsque des directives d’autorité vont à l’encontre de ce qu’ils et elles vivent au meilleur de leur foi.  Ce fut le cas suite à la parution de l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI en 1968.  De nombreuses Conférences épiscopales tout autant que d’associations de couples et de groupes familiaux se sont exprimées sur son contenu. C’est le cas actuellement devant le refus de l’autorité magistérielle de reconnaître aux femmes baptisées une vocation sacerdotale ministérielle.


4. Vocations diversifiées au cœur de l’Église

Les baptisé-e-s ont compris qu’ils participent dans l’Esprit à la vie du Christ, à la mission de l’Église – tout entière ministérielle – chacun selon sa vocation.  Ils ont pris conscience de leur responsabilité dans l’Église pour l’ensemble de sa vie et de sa mission; que l’Esprit est actif en tous et toutes (vocations charismatiques) et non dans les ordres sacrés seulement (Congar, 2002, p. 406). Leur service de l’Église de Dieu ne se vit pas à sa périphérie ou dans un service passif du clergé, mais en plein milieu de l’Église, vital pour son authenticité évangélique.  On a alors beaucoup parlé de co-responsabilité, de collaboration, aujourd’hui de partenariat, et l’on a mis sur pied des structures d’organisation paroissiales et diocésaines à cette fin[4]. Il y a encore possibilité de croissance dans cette coresponsabilité sur la base de la grâce baptismale ; j’y reviendrai.

5. Le sacerdoce ordonné dit ministériel

Qu’en est-il alors du clergé qui, dans l’Église catholique romaine, de par son sacerdoce ordonné dit ministériel, se réserve toute autorité d’enseignement, de gouvernance et de célébration sacramentelle au nom de l’Église, Peuple de Dieu, peuple des baptisé-e-s? 

La différence entre le sacerdoce ordonné et le sacerdoce du peuple des baptisés est bien soulignée (surtout au chap. III).  Il ne s’agit pas d’une différence de degré seulement, dit la Constitution, mais d’essence  (II, 10), cela, « en vertu du pouvoir sacré dont il est revêtu ». Mais la Constitution LG comme on l’a vu, situe ce ministère ordonné dans l’Église de la grâce de Dieu (chap. I) et dans l’Église Peuple de Dieu, peuple des baptisé-e-s (chap. II); inscrit dans la consécration sacerdotale que confère le baptême, non au-dessus ni à côté, mais à son service.  Et non pas pour assumer à lui seul toute la mission de l’Église, mais «pour paître» les fidèles (accent pastoral, on vient à appeler les ministres ordonnés pasteurs) et les reconnaître dans leurs services et charismes (LG IV, 30), pour former et conduire le peuple sacerdotal, lui permettre de s’épanouir dans ses membres.   L’un et l’autre sacerdoces, des baptisés et du ministre ordonné, sont « ordonnés l’un à l’autre; car l’un et l’autre participent, chacun d’une manière particulière, à l’unique sacerdoce du Christ » (LG II, 10).

En même temps, le rappel de la diversité des baptisé-e-s que rassemblent les Églises locales à travers le monde a restitué à celles-ci leur importance, de fait, leur identité d’Églises depuis les origines du christianisme et qu’une façon de concevoir l’Église à partir de sa hiérarchie centralisée à Rome avait compromis sérieusement depuis le concile de Trente et encore  au concile Vatican I à la fin du XIXe s. Il ne s’agissait pas de concessions faites aux évêques, comme l’écrit Yves Congar, mais ceux-ci retrouvaient leur place et leur responsabilité dans l’Église en tant que collégialité épiscopale et Conférences épiscopales. Jean XXIII en est même venu à dire à l’ambassadeur français en mars 1963 (alors qu’il se mourait du cancer) : « Je veux secouer la poussière impériale qu’il y a, depuis Constantin, sur le trône de Saint-Pierre » (Congar, 2002, p. 362).

Les implications de la conscience de l’Église Peuple de Dieu, peuple des baptisé-e-s sont profondes comme on le voit.  Suite au Concile, les baptisé-e-s ont pris une conscience nouvelle de leur dignité, de leur vocation non seulement dans le monde mais dans l’Église.  Plusieurs l’ont vécu et le vivent dans des engagements pastoraux dans les structures traditionnelles renouvelées de l’Église.  De plus en plus de baptisé-e-s le vivent au cœur de l’Église en cherchant des modes de vie ecclésiale évangélique nouveaux.

Il reste des problèmes, dont celui du statut de la participation des fidèles non ordonnés au gouvernement de l’Église.  Le Droit canonique de 1983 a-t-il donné au sujet baptisé, homme ou femme, l’entière identité de membre du Peuple de Dieu que l’on trouve dans Lumen Gentium  et les conditions juridiques qui peuvent en découler? (Corecco, 1985).

Pour les femmes baptisées, le problème est double, en tant que laïques et en tant que personnes baptisées de sexe féminin.  En effet, les baptisés hommes sont égaux en grâce vocationnelle : s’ils en discernent l’appel, ils peuvent présenter à l’évêque leur candidature au ministère ordonné presbytéral (ou diaconal), et aux ministères institués de l’acolytat et du lectorat (réservés aux laïcs hommes).  Sur la base de leur sexe, tel qu’interprété depuis de nombreux siècles et toujours entériné par le magistère actuel, les baptisées femmes sont exclues de cette grâce vocationnelle dans l’Église, même si elles en discernent l’appel (Jacob, 2007). C’est ce qui a amené de nombreuses baptisées à se poser la question à savoir si elles sont intégralement héritières des biens du salut, si elles ont vraiment revêtu Christ, si elles sont pleinement membres du Peuple de Dieu, peuple des baptisé-e-s, comme il leur est dit, et qu’elles le croient de la grâce de leur baptême.

IV.  Et les baptisées femmes, membres du Peuple de Dieu à part entière?

L’événement conciliaire avait ouvert de grandes espérances quant à la vocation ecclésiale des femmes. Bien sûr, elles sont restées exclues du diaconat que l’on a réhabilité. Elles ont été invitées au Concile à titre d’auditrice après les représentants d’autres Églises (1ère session) et des hommes laïcs (2e session).

Pourtant, l’encyclique Pacem in Terris (1963) de Jean XXIII avait nettement reconnu comme signe des temps l’évolution de la femme, son entrée active dans l’histoire publique de l’humanité.  La Constitution pastorale L’Église dans le monde de ce temps (GS) a entériné cette interpellation.  Après avoir affirmé que « l’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile » (art. 4. 1), la Constitution décrit «quelques-uns des traits fondamentaux du monde actuel».  Elle reconnaît l’effort des femmes en vue d’obtenir « la parité de droit et de fait avec les hommes » (art. 9, 1, 3).  Et encore plus vigoureusement, à l’art. 29, 2 :

Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée, comme contraire au dessein de Dieu.

Et encore, à propos de la dignité humaine :

Mais Dieu n’a pas créé l’homme solitaire : dès l’origine, « Il les créa homme et femme » (Gn 1, 27). Cette société de l’homme et de la femme est l’expression première de la communion des personnes. Car l’homme [l’être humain], de par sa nature profonde, est un être social, et sans relations avec autrui, il ne peut ni vivre ni épanouir ses qualités.

Si cela vaut pour la communauté humaine, cela vaut en tout premier lieu pour la communauté du Peuple de Dieu, signe et sacrement du salut, dans l’ensemble de sa vocation ministérielle dans l’Église : sa vie institutionnelle, clergé et laïcat; sa vie sacramentelle, ministère sacerdotal ordonné et ministère sacerdotal baptismal; sa présence de témoin du salut au milieu de l’histoire humaine.  La symbolique de l’engendrement spirituel que représente le ministère hiérarchique  actuel (« Comme des pères dans le Christ, qu’ils [les évêques] aient soin des fidèles, qu’ils ont engendrés spirituellement par le baptême et l’enseignement » [LG III, 28]) n’appelle-t-elle pas celle de la gestation spirituelle, celle de la Mère Église, qui est le propre de la vocation pastorale ordonnée?

C’est ce que de nombreuses chrétiennes catholiques romaines ont espéré suite au Concile.  Et, avec elles, de nombreux évêques comme ce fut le cas au Canada, en s’appuyant notamment sur cette vision de l’Église Peuple de baptisé-e-s, attentif aux signes des temps dans l’histoire.  Je vais évoquer des moments importants qui ont jalonné ce mouvement d’espérance dans l’Église au Canada.

En 1970, dans le cadre de la Commission d’enquête mise sur pied au Canada en vue de corriger les situations d’injustice, des femmes de l’Ouest ont présenté un mémoire à la CECC en vue du Synode de 1971 qui, justement, allait porter sur les ministères dans l’Église et sur la justice sociale. Les évêques ont alors convoqué une soixantaine de femmes anglophones et francophones pour une consultation qui donna lieu à des recommandations. Ces femmes les ont présentées aux évêques (en groupes linguistiques) au cours d’un repas : une première (j’ai présenté les recommandations du groupe francophone).

Suite à cette rencontre, Mgr Flahiff a fait une intervention au Synode de 1971 au moment où on discutait des ministères des laïcs dans l’Église.  Mgr Plourde l’avait précédé en attirant l’attention sur la situation particulière des femmes mais cela n’avait pas été repris.  Mgr Flahiff a commencé par rappeler les raisons classiques que l’on invoquait pour exclure les femmes des ministères ordonnés et conclut : 

Comme vous le savez, cette démonstration historique ne peut plus être considérée comme valide aujourd’hui. Par conséquent, je crois qu’il n’y a aucun obstacle dogmatique qui s’oppose à ce que nous ré-examinions toute la question.

Il évoqua Gaudium et Spes (art. cités plus haut) et le Décret sur l’apostolat Apostolicam Actuositatem , leur dénonciation de toute discrimination et leur appel à l’écoute des signes des temps.  Il demanda que soit formée une commission d’étude à cet effet.  Elle a été mise sur pied en 1973, mais dès le départ il fut exclu qu’y soit discutée la possibilité de conférer des ordres sacrés aux femmes.

En 1972, le motu proprio Ministeria quaedam qui abolissait les sous-ordres traditionnels conduisant au ministère ordonné leur substituait des ministères institués d’acolytat et de lectorat, uniquement réservés à des laïcs hommes.  En 1975, les évêques du Canada ont demandé que le Saint-Siège envisage la possibilité d’admettre des femmes à ces ministères institués.  Le Droit canonique promulgué en 1983 les a réservés aux baptisés laïcs hommes.

En février 1976, alors que l’Église anglicane des États-Unis et du Canada commence à ordonner des femmes, Mgr Emmett Carter, président de la CECC demande à nouveau qu’une étude théologique soit menée sur la question de l’ordination des femmes.  À l’automne 1976, la Congrégation pour la Doctrine de la foi publie la Déclaration Inter insigniores : l’Église ne se considère pas autorisée à ordonner des femmes,  Elle met  l’accent sur l’argument historique de la tradition : le Christ ne l’a pas fait, n’a choisi que des hommes pour apôtres, allant même jusqu’à en déduire qu’il exprimait par là sa volonté que des hommes seulement remplissent cette fonction dans l’Église de tous les temps et de tous les lieux.

La CECC fit alors un détour dans son engagement pour la reconnaissance vocationnelle des femmes avec une étude des ministères qu’elles exerçaient alors de fait.  On était en période ad experimendum, en attendant le nouveau code de droit.  Les évêques ont alors confié des fonctions influentes à des femmes : secrétaire de la conférence des évêques du Québec, chancelières, voire vicaire-générale, responsables de la pastorale diocésaine.   En 1982, la CECC a mis sur pied un comité ad hoc composé de deux évêques, deux femmes employées de la CECC et de femmes représentant les régions du pays.  J’en ai été désignée la présidente, une première en tant que laïc(que).  Lorsque le rapport a été présenté à la Plénière de l’Assemblée des évêques à l’automne 1984, les effets de la promulgation du Droit canon en 1983 n’ont pas manqué de se manifester.  Dans un premier temps, il a été rejeté violemment par des membres de l’épiscopat.  Puis, il fut accepté moyennant des modifications…  L’événement a fait la une des journaux et fut considéré comme l’événement religieux de l’année par Jean-Pierre Proulx du journal Le Devoir (Lacelle, 2008).

En mai 1994, alors que l’Église anglicane d’Angleterre s’apprêtait à ordonner des femmes, Jean-Paul II est revenu à la charge avec l’encyclique Ordinatio sacerdotalis :  « La charge d’enseigner, de sanctifier et de gouverner les fidèles est exclusivement réservée à des hommes ».   Il en faisait un enseignement d’autorité qui devait mettre fin à toute autre recherche sur la question dans l’Église.

Aujourd’hui, malgré l’interdit, des couches du Peuple de Dieu continuent à soulever la question de cette exclusion.  Des agentes de pastorale discernent cette vocation en vivant leur ministère dans l’Église.  La théologienne Pauline Jacob (2007) leur donne la parole et analyse ce discernement et ses implications dans AppeléEs aux ministères ordonnés.

Ainsi que le remarque Élisabeth Dufourcq dans son Histoire des chrétiennes : « Interdire définitivement à l’Esprit-Saint de se manifester est-il du ressort du plus grand des successeurs des apôtres? » (Dufourcq, 2008, p. 1168-1169).  Une question en écho peut-être à celle de l’apôtre Pierre devant les judaïsants qui lui reprochaient de reconnaître comme chrétiens les incirconcis et de manger avec eux/elles : « Si Dieu a fait à ces gens le même don gracieux qu’à nous autres pour avoir cru au Seigneur Jésus Christ, étais-je quelqu’un moi [qui suis-je moi], qui pouvait empêcher Dieu d’agir? »  (Ac 11, 17; trad. de la TOB).  Je ne puis m’empêcher d’insérer ici un petit récit tiré de la Vie de Sainte Catherine de Sienne selon le dominicain Raymond de Capoue.   Il comparait la parole de Catherine à celle de l’Aigle dans l’Apocalypse et à celle de l’ange.  Plus encore, il a reconnu en elle « la foi de Pierre ».  Craignant qu’une telle déclaration n’offusque ses auditeurs, il s’en est expliqué : 

Quand donc j’ai dit plus haut « vous auriez vu en elle la foi de Pierre, etc », avouez qu’on ne peut tirer de là aucune conclusion déplacée; car on peut appeler en toute vérité foi de Pierre, celle d’une âme qui croit parfaitement au Christ. (cité par Lacelle, 1998, p. 64 )

même si c’est l’âme d’une femme.

Conclusion

La conscience de l’Église Peuple de Dieu a éveillé bien des baptisé-e-s à leur dignité baptismale pour la vie de l’Église et pour sa mission de salut dans l’histoire.  Dans certaines régions du monde, ces baptisé-e-s ont compris l’importance d’œuvrer à la libération de leurs peuples (théologies de la libération, théologie du peuple en Afrique et en Asie).  Des Conférences épiscopales se sont affirmées au nom de leurs Églises locales.  Des mouvements de femmes chrétiennes ont posé les questions et proposé des alternatives.  Il y a eu des synodes diocésains, où les baptisé-e-s ont pris la parole et recommandé des changements qu’ils jugeaient importants pour l’avenir de leurs communautés de foi, certaines allant à l’encontre des directives romaines et non retenues pour cette raison.  Est-ce ce qui explique la mise en sourdine, de la part du discours magistériel jusque dans nos diocèses, de la conscience de l’Église comme Peuple de Dieu, peuple de baptis-é-es et, en contre poids, ses fréquentes affirmations d’autorité dogmatique et juridique?

Est-ce la peur que leur conscience sacerdotale amène les baptisé-e-s à vivre des vocations pastorales que l’on veut encore réserver ou retourner au clergé?  C’est possible.   L’abbé Jean-François Morin, curé de Rockland, dans un texte tout récent, pose le problème.  En rappelant le statut de Peuple de Dieu de l’Église, pérégrinante et en marche dans l’histoire de l’intérieur du baptême, il propose que là où il n’y a pas de prêtre résident, dans certaines unités paroissiales par exemple, la communauté de baptisés, investie de l’Esprit, désigne, avec l’autorisation de l’évêque, ou l’évêque en consultation avec la communauté, un couple ou un ou une responsable pour coordonner la pastorale, une sorte de pastorat non ordonné fondé sur le baptême; qui ne serait pas une suppléance par rapport à celui d’un ministre ordonné, ni subordonné à celui-ci, mais une complémentarité pastorale pour la santé sacramentelle, prophétique et organisationnelle de la communauté.  Quant au ministère ordonné, c’est moins une crise de vocation qu’une crise d’ordination que vit l’Église, pense-t-il.  Si elle est avant tout sacramentelle, c’est essentiel qu’elle soit nourrie, vivante, célébrée sacramentellement.  Quelques temps avant sa mort en 1993, le cardinal Suenens a publié un ouvrage intitulé Les imprévus de Dieu.  « Nous avons le devoir, écrit-il, d’ordonner le nombre suffisant de prêtres dont le peuple de Dieu a besoin. Refuser le sacerdoce [ministériel] à des baptisés capables d’assurer cette responsabilité est inconcevable et scandaleux » (Fayard 1993).

Beaucoup d’ouvrages paraissent ces dernières années sur la vocation sacerdotale des baptisé-e-s, dont celui de Paul J. Philipert (2007),Le Sacerdoce des baptisés. Clé d’une Église vivante. Il considère que  le temps est venu de se ressaisir de cette doctrine importante, voire centrale, très clairement énoncée à Vatican II et d’en explorer le potentiel de santé ecclésiale.  Selon lui, le sacerdoce des baptisé-e-s est, en effet, notamment dans son rapport au sacerdoce ministériel, une clé pour une Église vivante.

La conscience ecclésiale d’être le Peuple de Dieu, peuple des baptisé-e-s est une conscience à la fois enracinée dans la grâce du salut en Jésus Christ, ce que nous en vivons et tendue vers l’avènement de ce salut encore à venir, dans nos vies personnelles et communautaires.  L’Esprit qui nous habite nous relie entre nous dans cette dynamique, puissance de vie (dunamis) pour l’avenir de l’Église de Dieu qui nous est confié.  L’Esprit nous fait « saints, saintes » pour faire « sain », authentiquement humain et cosmique,  pour la gloire de Dieu, ce que nous vivons d’Évangile sur nos routes, en Église et en humanité.


Conférence donnée à l’Unité Paul VI d’Ottawa
le 30 novembre 2009



NOTES

[1] Cf. les travaux de Lucien Cerfaux, o.p. sur les Églises pauliniennes.

[2] Voir la table de matière de la Constitution Lumen Gentium.

[3] Cf. Jn 17 : la prière sacerdotale de Jésus pour les disciples.

[4] Cf. dans le diocèse d’Ottawa, suite au concile-synode des années 1970.



RÉFÉRENCES ET BIBLIOGRAPHIE 

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Élisabeth J. Lacelle

A propos Élisabeth J. Lacelle

Détentrice d'un doctorat ès sciences religieuses de l'Université de Strasbourg, professeure émérite de l’Université d’Ottawa, Élisabeth Jeannine Lacelle (1930-2016), théologienne, a été consultante à la Conférence des évêques catholiques du Canada (1971 à 1984) et alors nommée présidente du Comité « ad hoc » sur le rôle de la femme dans l’Église (1982 à 1984). Cofondatrice du réseau Femmes et Ministères, elle fut une personne ressource pour la question des femmes et du christianisme.
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