Femmes et conservatismes religieux : perspectives féministes

Conférence donnée au congrès de l’Entraide missionnaire 2015
ayant pour thème « Droits des femmes : des luttes toujours actuelles ».
Publié dans les Actes du congrès de l’Entraide missionnaire , 12 et 13 septembre 2015, p. 27-33.
Reproduit avec les autorisations requises.

QUAND LE CONSERVATISME PREND LE VIRAGE FONDAMENTALISTE

Marie-Andrée Roy 3Je remercie l’Entraide missionnaire pour cette aimable invitation. Ça me fait plaisir de me retrouver parmi vous, mais je trouve le défi un peu gros et la question difficile à traiter. Je vais tâcher de répondre à la commande!

Mais j’avoue que j’ai accepté l’invitation d’abord par affection et respect pour Suzanne Loiselle ainsi que pour l’immense travail qu’elle a abattu depuis près de trois décennies à l’Entraide. Elle est pour moi une source d’inspiration par son engagement pour la justice sociale et la paix, son sens indéfectible de la solidarité à l’international et son féminisme radical non conformiste.

Je reprends des éléments d’une réflexion qui a commencé en 1995 à Beijing où j’ai été frappée par l’ampleur de l’impact des fondamentalismes sur la vie des femmes, notamment à cause de leur rôle d’entrave à l’avancée des droits des femmes un peu partout sur la planète. Cette réflexion s’est poursuivie au fil des ans, notamment à l’occasion d’un séminaire que j’avais organisé pour la Collective L’autre Parole et la préparation d’un article pour la revue L’autre Parole sur le thème Roulons la pierre du fondamentalismei; et elle se poursuit toujours quand je vois des fillettes de 10 ans enceintes à la suite de viols répétés à qui l’Église catholique refuse de manifester une réelle compassionii.

Je vais bien sûr parler des conservatismes religieux, mais je vais aussi intégrer la question des intégrismes et des fondamentalismes parce que ces questions tiennent actuellement le haut du pavé sur la scène politique et religieuse internationale et qu’il y a là des enjeux majeurs pour les droits des femmes.

DES ENJEUX


Je me contenterai d’en énoncer quatre.

  1. Le fondamentalisme soulève de graves enjeux pour les femmes, telle que l‘affirmation de leur égalité avec les hommes et la reconnaissance de leur droit à la liberté. Mes différentes observations m’amènent à constater que les fondamentalismes, politiques et religieux confondus, ont pour pratique d’instrumentaliser les femmes, d’en faire de véritables outils pour la propagation de leur vision du monde.
  1. Il existe aussi un enjeu important pour l’avenir de l’Église catholique et de sa capacité à mobiliser autour du message libérateur de l’Évangile. En effet, les fondamentalismes ont solidement pris pied au cœur de cette institution et on assiste présentement à une véritable guerre de tranchées où ultra conservateurs et intégristes parasitent les efforts d’aggiornamento de l’Église recommandés par la filière François, efforts qui bien que très positifs à mes yeux, ne constituent pas non plus une panacée, notamment pour les femmes. J’y reviendrai. D’ailleurs, les années Wojtyla et Ratzinger ont laissé des traces importantes bâillonnant de facto les « autres paroles », Les ami-e-s de l’Entraide y ont goûté, n’est-ce pas?
  1. Les fondamentalismes religieux ont un effet inquiétant sur nos sociétés parce qu’ils entravent le déploiement d’une culture démocratique et soutiennent le développement de pratiques autoritaires et de contrôle. En fait, fondamentalismes religieux et fondamentalismes politiques se répondent et se renforcent mutuellement. Le plein déploiement du fondamentalisme politique a besoin de légitimations religieuses et le fondamentalisme religieux a besoin de voies d’expression et d’affirmation politiques. La philosophie et l’action politiques rétrogrades du gouvernement Harper ne se nourrissent-elles pas de différents filons du fondamentalisme chrétien? 0n n’a pas fini de mesurer les ravages de ces presque 10 ans de régime conservateur.
  1. Les fondamentalismes ont des effets dévastateurs sur les pratiques de solidarité internationale et le développement des politiques mondiales concernant principalement les droits des femmes. Ces fondamentalismes prennent la forme de doctrines économiques qui s’apparentent au capitalisme sauvage et de pratiques néocoloniales racistes et sexistes, négatrices des droits humains.

Quand il est question de fondamentalisme, on pense souvent à une réalité située à l’extérieur du Québec ou en dehors de l’Église catholique. Bref, les fondamentalismes n’auraient pas prise dans notre cour ou s’ils sont ici, ils seraient l’apanage des personnes autres que catholiques, les musulmans par exemple.

J’ai la conviction que, pour parvenir à contrer efficacement les fondamentalismes et surtout pour éviter que leur vision structurante du monde s’insinue dans nos propres lectures et pratiques politiques et religieuses, il importe que nous développions notre pensée critique. Je m’explique! Il existe des terreaux sur lesquels le fondamentalisme et l’intégrisme ont plus facilement prise. Lorsque, dans nos sociétés, on favorise le conformisme plutôt que l’autonomie intellectuelle et le sens critique, quand on se détourne de l’exercice de nos responsabilités citoyennes pour s’en remettre à des chefs de tous ordres, on cultive un terrain propice à l’intégrisme et au fondamentalisme. L’exercice de la vigilance pour débusquer les discours et les pratiques qui demandent la soumission des personnes, le renoncement à la pensée critique qui glorifie des leaders autoritaires doivent être de tous les instants. Cette vigilance, appelée à s’exercer individuellement et collectivement, nous invite à user de notre intelligence critique commune, de notre capacité d’analyse et d’interprétation pour discerner la mise en place des jalons de l’intégrisme et du fondamentalisme, en saisir les mécanismes de fonctionnement, les critiquer publiquement et proposer d’autres façons de penser et de faire.

Dans le cadre de cette intervention, je campe brièvement quelques définitions touchant les conservatismes, l’intégrisme et les fondamentalismes, puis je propose quelques repères pour identifier des discours et des pratiques fondamentalistes. Ensuite, je m’applique à fournir des repères pour constituer une grille d’analyse féministe du fondamentalisme. Enfin, je termine par quelques exemples éloquents des ravages des fondamentalismes et je m’intéresse aux pistes pour lutter contre cette idéologie rétrograde qui a des racines religieuses et politiques.

DÉFINITIONS


Commençons par distinguer ce qui n’est pas du fondamentalisme. Par exemple, le conservatisme religieux ou traditionalisme qui s’inscrit comme une forme de résistance au changement et qui manifeste une prédilection pour les discours et les pratiques du passé, ne constitue pas nécessairement du fondamentalisme. Les conservateurs sont attachés aux valeurs traditionnelles, ils résistent aux idées dites progressistes et sont déstabilisés par les idées novatrices ou contestataires associées à la modernité. Ils ne sont pas nécessairement à proscrire si leurs discours sont contrebalancés par une solide pratique citoyenne. Mais ils deviennent franchement rétrogrades quand ils détiennent le pouvoir majoritaire pendant un certain temps; ils veulent alors imposer leur système de valeurs à l’ensemble de la société, ils déconstruisent les institutions démocratiques et démantèlent les outils de la solidarité citoyenne. La démocratie est menacée et le pouvoir de type autoritaire n’est pas très éloigné.

Qu’en est-il de l’intégrisme? Dans la langue française à la fin du XIXe siècle, on a d’abord utilisé le terme « intégrisme » pour désigner les membres d’un parti espagnol qui cherchait à soumettre l’État à l’Église catholique. Par la suite, il fut appliqué aux catholiques qui voulaient conserver un catholicisme intégral, une doctrine intégrale et s’objecter aux « affres » de la modernité représentée par le libéralisme et le socialisme. À l’heure actuelle, le terme « intégriste » désigne habituellement les personnes qui s’opposent aux conceptions libérales des rapports entre l’Église catholique et le monde adoptées à l’occasion du concile Vatican II. Les intégristes de Mgr Lefebvre, par exemple, veulent retourner aux liturgies d’avant Vatican II, réfutent les théologies progressistes, soutiennent un modèle d’Église ultra clérical et conservateur. Ces nostalgiques d’une chrétienté hégémonique sympathisent avec les idées fascistes, antisémites et sexistes. Les intégrismes se sont particulièrement déployés dans le giron catholique et demeurent une composante active même si elle est minoritaire.

Dans la langue anglaise, on utilise davantage le terme « fondamentalisme » lequel réfère d’abord à une mouvance du protestantisme américain qui, à compter du début du XXe siècle, pratique une lecture littérale de la Bible et tire de cette lecture les paramètres pour son agir moral. Les récits bibliques, pris au pied de la lettre, sont sensés relater un ensemble d’évènements dits historiques (par exemple, la création du monde en une semaine). Les fondamentalistes insistent sur une division stricte et hiérarchisée des rôles et des tâches entre les hommes et les femmes.

Progressivement le concept de « fondamentalisme » va prendre de l’expansion et s’appliquer aux mouvements religieux qui ont pris forme au sein de différentes traditions religieuses (christianisme, judaïsme, islam, hindouisme, etc.); elles refusent la séparation entre le sacré et le profane qui s’est imposée avec la modernité et veulent assurer un retour du religieux dans l’ensemble de la vie sociale, politique et économique. Il s’agit d’une réfutation claire de la séparation de l’Église et de l’État et d’une volonté d’imposer un ordre du monde fondé sur une orthodoxie religieuse particulière.

C’est à partir de cette dernière définition, qui fait assez largement consensus, que je vais poursuivre ma réflexion avec vous.

QUELQUES REPÈRES POUR IDENTIFIER DES DISCOURS ET DES PRATIQUES FONDAMENTALISTES


Il existe plusieurs traits caractéristiques du fondamentalisme. Allons voir les « airs de famille » du fondamentalisme, puis ses cinq « caractéristiques idéologiques » et ses quatre « constantes » telles qu’identifiées par le fameux Fundamentalism Project développé à l’Université de Chicago. Il s’agit là d’une ressource intéressante pour « réfléchir » la question du fondamentalisme.

Allons maintenant visionner trois diapos…iii

 LES « AIRS DE FAMILLE » DU FONDAMENTALISME

  1. Les fondamentalistes cultivent un idéalisme religieux essentiel au maintien de leur identité personnelle et communautaire;
  1. le fondamentalisme comprend la vérité comme une et révélée;
  1. le fondamentalisme cherche à scandaliser;
  1. les fondamentalistes se perçoivent comme des acteurs importants dans un conflit d’envergure cosmique;
  1. les fondamentalistes réinterprètent l’histoire à la lumière de ce conflit;
  1. les fondamentalistes diabolisent leurs opposants et sont essentiellement réactionnaires;
  1. les fondamentalistes sont sélectifs; ils ne conservent de leurs traditions et de leurs héritages que certains aspects;
  1. le fondamentalisme a toujours un homme (au sens de vir) à sa tête.

En m’inspirant de ces éléments, je voudrais mettre en relief cinq aspects de la vision du monde du fondamentalisme qui m’apparaissent particulièrement cruciaux.

LES CINQ CARACTÉRISTIQUES IDÉOLOGIQUES DU FONDAMENTALISME

  1. Le fondamentalisme est avant tout préoccupé par l’érosion de la religion et de son rôle social;
  1. les fondamentalistes sont sélectifs à l’égard de ce qui dans leur tradition et dans la modernité est jugé digne d’être préservé ou condamné;
  1. le fondamentalisme est dualiste;
  1. le fondamentalisme met l’emphase sur le caractère absolu et inhérent de sa source de révélation;
  1. le fondamentalisme est millénariste ou messianiste.
  1. Le monde va à sa perte. Pour les fondamentalistes, le recul de la religion dans nos sociétés modernes, la perte de son influence sur les institutions sociales et sur les individus entraîne notre déchéance. Il faut donc contrer cette chute, lutter pour remettre le religieux au cœur de nos sociétés afin qu’il en soit le principe structurant.
  1. Il n’y a pas 36 vérités, il n’y en a qu’une seule, révélée par Dieu. Le pluralisme idéologique est inacceptable et conduit à un relativisme maléfique. La révélation divine doit être notre seule guide et celle-ci est codifiée par les seuls chefs autorisés.
  1. Mémoire sélective. Les fondamentalistes sont sélectifs dans ce qu’ils retiennent de leur tradition religieuse, de leur héritage spirituel mais ne reconnaissent pas l’existence de cette pratique de sélection. À leurs yeux, ils rendent compte de l’unique et intégrale vérité révélée dont ils sont des témoins authentiques.
  1. C’est noir ou blanc. Le fondamentalisme ne s’inscrit pas dans la nuance; il pratique au contraire une lecture dualiste du monde où il y a le bien et le mal, les bons et les méchants, la vérité et le mensonge. Dans ce contexte, ceux et celles qui ne partagent pas leur vision du monde sont diabolisés et deviennent des ennemis.
  1. Leadership autoritaire. Les fondamentalistes ont à leur tête un mâle, un chef autoritaire qui exerce sur eux un fort ascendant (renoncement à la pensée personnelle critique, soumission à l’autorité). Le fondamentalisme s’inscrit comme une des formes exacerbées du patriarcat.

Toutes les religions instituées peuvent être aux prises avec le fondamentalisme parce qu’elles sont des lieux où les valeurs et les idéologies prédominent. Par ailleurs, je ne pense pas que les religions soient par essence fondamentalistes.

Le fondamentalisme peut se manifester à l’extérieur des organisations religieuses, dans les idéologies séculières, par exemple, quand celles-ci veulent imposer à tous un sens unique, quasi religieux. En effet les idéologies, de droite comme de gauche, peuvent toujours être « tentées » d’absolutiser leur credo et d’exercer une forme d’hégémonie sur le peuple « pour son plus grand bien ». Le centralisme démocratique et la dictature du prolétariat n’ont pas fait que des heureux!

QUATRE CONSTANTES DANS LES GROUPES FONDAMENTALISTES

  1. Le groupe est constitué de choisis, d’élus;
  2. les frontières du groupe sont très nettement délimitées;
  3. le groupe a un leader charismatique autoritaire;
  4. le groupe a le sens de la mission.

Les fondamentalistes religieux nient les adaptations et les transformations qu’ils opèrent sur leur tradition. Ils détiennent la vérité, ils présentent la tradition authentique. Il s’agit cependant d’un pseudo fixisme. Le fondamentalisme prétend ne pas interpréter, il s’objecte à toute herméneutique. Mais, en fait, il se constitue, par la voix de ses représentants, comme l’unique interprète et, par conséquent, il interdit aux autres le pouvoir d’interpréter. Il exige que tous répètent la doctrine qu’ils énoncent. À l’intérieur de ce système idéologique, on refuse toute pensée critique et c’est la pensée unique qui prévaut. 0n comprend pourquoi le pire ennemi du fondamentalisme religieux, c’est le pluralisme. Le fondamentalisme religieux doit avoir une voie politique pour exister parce qu’il s’agit d’imposer un même système de valeurs et de représentations du monde à tous. En ce sens, le fondamentalisme conduit au totalitarisme.

Je vous invite donc à vous servir de ces cinq caractéristiques du fondamentalisme (voir 2e diapositive) comme d’une grille de lecture à appliquer aux discours et aux pratiques qui vous interrogent. Voici quelques questions utiles :

  • Quelle est la vision du monde préconisée par ces discours ou ces pratiques?
  • S’agit-il d’un rejet des pensées séculières, d’une volonté de réorganiser le monde à partir de principes religieux particuliers?
  • Quelle compréhension de la vérité est promue par ces discours et ces pratiques?
  • Quels en sont les interprètes autorisés? Comment se réfère-t-on à la tradition?
  • Est-ce qu’il y a une pratique sélective des références à la tradition pour appuyer les thèses défendues?
  • Est-ce une lecture dualiste du monde?
  • Comment s’exerce le leadership etc.?

Bref, il s’agit de mettre en œuvre vos capacités d’analyste et d’interprète pour repérer les discours et les pratiques fondamentalistes qui tendent à s’imposer ici comme ailleurs, l’exercice, en toute liberté et rigueur intellectuelle, du discernement individuel et collectif constitue en même temps une sorte de médecine préventive, un antidote pour contrer la mise en place d’idées et de pratiques fondamentalistes.

QUELQUES REPÈRES POUR UNE ANALYSE FÉMINISTE DU FONDAMENTALISMEiv


Examinons maintenant certains repères pour une lecture féministe matérialiste des fondamentalismes.

Les femmes sont au centre des préoccupations des fondamentalistes qui ont besoin d’elles pour assurer la reproduction de leur idéologie. En effet, la propagation du fondamentalisme nécessite la contribution des femmes, notamment comme éducatrices et transmettrices des valeurs. C’est pourquoi, sur fond de machisme religieux, va se déployer un ensemble de discours et de pratiques pour inscrire religieusement et culturellement la femme comme « l’autre » et, pour réguler, selon des normes patriarcales, son corps et sa sexualité.

Principales caractéristiques


  1. La femme comme l’autre. Les fondamentalistes cultivent la crainte de la confusion des genres, de l’assimilation d’un sexe à l’autre sexe. Pendant que l’homme s’impose comme le pôle définisseur de l’humanité, la femme est identifiée à « l’autre », la « différente ». Cette altérité, cette différence, motiverait la ségrégation entre les sexes pratiquée par les fondamentalistes, notamment au chapitre de l’exercice des pouvoirs et des responsabilités dans les organisations qu’ils dirigent. Dans la mesure où les femmes se conforment à la représentation qu’on se fait d’elles, soit d’être des épouses exemplaires, des mères aimantes, des filles respectueuses, des sœurs dévouées, elles seront louangées, exaltées. 0n exige d’elles rien de moins qu’une conformité à une pseudo nature féminine qu’on a définie pour elles et qui a pour effet caractéristique de garantir à tous les hommes, à tous les âges de leur vie, le service des femmes, et d’exclure celles-ci, en tant que l’« autre », du champ du pouvoir, dont les hommes détiennent le monopole. La non-conformité à cet ordre dit naturel a un prix : les « infidèles » à leur vocation féminine apparaissent comme des sujets « dénaturés », des figures de la damnation éternelle.

LA FEMME COMME L’AUTRE

  • Femme différente
  • Exaltation du féminin
  • Femme qui doit être fidèle à sa nature
  • Construction d’une dualité féminine : les authentiques, fidèles à leur vocation et les autres
  • Damnation/Salut
  • Crainte de la confusion des genres
  1. Le corps et la sexualité régulés selon des normes patriarcales. Une constante traverse le discours et la pratique fondamentalistes; il s’agit du refus catégorique de reconnaître le droit des femmes à l’autonomie particulièrement au chapitre de la gestion de leur corps et de leur sexualité. Ainsi, s’applique-t-on à réguler l’apparence du corps des femmes, à circonscrire leurs déplacements dans l’espace et à définir les lieux qui leur sont autorisés et ceux qui leur sont interdits. L’ensemble de la sexualité féminine est sous haute surveillance. En ce qui a trait aux relations sexuelles, on sait avec qui, quand, comment et pourquoi, les relations sexuelles sont autorisées ou interdites, l’usage de la contraception est fortement encadré et truffé d’interdits. 0n ne reconnaît pas aux femmes le droit de demander de manière autonome et responsable une interruption de grossesse, même à la suite d’un viol ou quand leur santé physique ou psychologique est compromise. En ce domaine, la tutelle est mur à mur. Évidemment, l’homosexualité fait l’objet d’un opprobre catégorique. Pour illustrer cette tendance, je vais me limiter à rappeler qu’aux Nations Unies, dans le cadre des travaux de Beijing + 5, c’est l’article qui reconnaissait que les femmes sont « maîtresses de leur sexualité » qui a essuyé l’opposition la plus sévère de la part des lobbys fondamentalistes tant catholiques que musulmans.

CORPS ET SEXUALITÉ : RÉGULÉS SELON DES NORMES PATRIARCALES

  • Apparence du corps
  • Relations sexuelles
  • Contraception, avortement
  • Homosexualité
  • Refus de l’autonomie des femmes
  1. Le machisme religieux. Ce machisme est aisément perceptible quand l’exercice du pouvoir est exclusivement réservé aux hommes et que les femmes en sont exclues de par leur nature. Il y a assez fréquemment chez les fondamentalistes, une forme de virilolâtrie à connotation sexuelle qui se manifeste jusque dans la spiritualité. À titre d’exemple, je retiendrai quelques extraits des écrits de José Maria Escrivá de Balaguer, fondateur de l’0pus Dei et canonisé par Jean Paul II en 2002 : 

    L’éperon d’acier s’entraînera ainsi à l’amoureuse habitude d’assaillir les tabernacles.
    Et la semence, ô divine bonté, germera et donnera des fruits savoureux, dûment arrosés.
    Ce même Balaguer soutiendra par ailleurs que les femmes, elles, « n’ont pas besoin d’être savantes, il suffit qu’elles soient effacées ». Ce machisme religieux parle de complémentarité entre les sexes et insiste pour préserver une véritable division sexuelle du travail. Aux femmes est dévolue la maternité, la famille et aux hommes les fonctions protectrices.

MACHISME RELIGIEUX

  • Pouvoir religieux viril
  • Complémentarité des sexes et non égalité
  • Importance de la division sexuelle du travail
  • Famille, maternité pour les femmes
  • Fonctions protectrices pour les hommes

Je vous invite à reprendre ces outils, ces grilles de lecture pour effectuer une analyse féministe du fondamentalisme. En observant une pratique ou en lisant un texte, demandez-vous :

  • Les femmes ont-elles ici un accès légitime à tous les paliers du pouvoir?
  • Dans ce discours ou cette pratique sont-elles reconnues comme des sujets égaux ou bien comme de simples compléments aux hommes?
  • Insiste-t-on sur la « différence, l’altérité des femmes » pour justifier le non-accès des femmes à certaines fonctions ou responsabilités?
  • Dans les discours ou les pratiques étudiés, reconnaît-on deux classes de femmes : les femmes bonnes et généreuses conformes à leur « nature » et les autres, les non conformes? A-t-on tendance à antagoniser ces deux classes de femmes?
  • La « nature » des femmes fait-elle l’objet d’une définition normative par les détenteurs de l’autorité religieuse? Les femmes apparaissent-elles comme des sujets libres et responsables qui peuvent faire des choix en matière de santé reproductive, d’exercice de leur sexualité ou prévoit-on pour elles une forme ou l’autre d’encadrement?
  • Les femmes sont-elles reconnues comme des personnes à part entière ou incarnent-elles « l’autre », c’est à-dire des êtres humains, différents du genre humain générique, dont il faut baliser les agirs?

Un retour sur des cas récents nous amène à voir comment le corps et la personne des femmes sont chosifiés, instrumentalisés par les idéologies fondamentalistes.

  • Les deux sœurs indiennes dalitsv
  • La petite Brésilienne
  • La jeune Paraguayenne

LECTURE FÉMINISTE MATÉRALISTE DU FONDAMENTALISME

Les fondamentalistes s’inscrivent dans un ordre patriarcal qui reproduit la machisme et le sexisme

  1. Contrôle de l’espace occupé par les femmes : Confinement spatial
  2. Contrôle de leur univers mental : Définition de leur identité
  3. Contrôle de leur sexualité : Discours moral
  4. Contrôle de leurs droits : Refus de l’égalité

J’espère que ces quelques repères pourront vous être utiles pour poursuivre vos réflexions et vos analyses en matière de fondamentalisme.


NOTES

i Voir le texte Les fondamentalismes Éléments d’analyse critique que j’ai publié dans la revue L’autre Parole, no 107, 2005 – http://www.lautreparole.org/articles/648

ii Voir le texte Machisme et autoritarisme que j’ai publié dans la revue L’autre Parole, no 121, en 2009 – http://www.lautreparole.org/articles/301

iii Les trois diapositives sont tirées de The Fundamentalism Project http://www.press.uchicago.edu/ucp/books/series/FP.html et http://fr.wikipedia.org/wiki/Fondamentalisme

iv Les encadrés qui suivent sont issus de mes propres travaux.

Marie-Andrée Roy
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A propos Marie-Andrée Roy

Marie-Andrée Roy, sociologue, est directrice du Département de sciences des religions et membre de l'Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). L’analyse féministe des religions, les rapports femmes-hommes et les conservatismes religieux constituent ses principaux domaines d’expertise. Sa thèse de doctorat en sociologie (1992) portait sur les femmes et le pouvoir dans l’Église catholique. Elle est cofondatrice de la collective féministe et chrétienne L’autre Parole.
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2 réponses à Femmes et conservatismes religieux : perspectives féministes

  1. sabine sauret dit :

    Magnifique article, clair et utile. Merci.
    ledeni.net

  2. Réjeanne Martin dit :

    Un texte fondamental à conserver et à utiliser pour discerner les ambiguïtés et faussetés qui risquent souvent de masquer tant de « vessies qui se propagent comme des lanternes ».

    Merci, chère Marie-Andrée!

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