L’évolution, ou plutôt… l’appropriation de mon ministère?

En cette Semaine de l’unité des chrétiens, voici le témoignage toujours d’actualité d’une prêtre anglicane, Holly Ratcliffe.
Ce texte a déjà été publié en janvier 2010 sur le site du réseau Femmes et Ministères.

Il me semble que faire une analyse du développement de mon ministère en tant que prêtre anglican se traduit moins sur le plan de l’évolution que sur celui de l’appropriation d’une foi crédible.

L’appel au sacerdoce ?

J’ai résisté fortement à l’appel au sacerdoce. Cet appel venait d’abord et avant tout de Joachim Fricker, communément appelé Jo, prêtre à la cathédrale anglicane de Hamilton, en Ontario. Je suis arrivée à la cathédrale en 1980, non pas pour y pratiquer la religion, mais plutôt pour y chanter. Je travaillais à un mémoire en anthropologie culturelle à l’Université McMaster, et l’idée de chanter dans une chorale m’attirait comme nouveau passe-temps. Éduquée au relativisme culturel séculariste, j’essayais de faire comprendre au prêtre et aux choristes que j’étudiais la religion, mais que je n’en pratiquais pas, même si j’allais chanter tous les dimanches à la messe. On m’a suggéré de suivre une préparation pour la confirmation, ce que j’ai fait. Mais j’avais le sentiment que l’animateur ne comprenait pas le scepticisme de mes questionnements. Par contre, Jo m’accordait toujours du temps pour lui poser des questions, et il me répondait par une autre question. Lorsque je lui disais : « Je ne peux pas dire le Credo (Je crois en Dieu) ! », Jo me répondait : « Ne t’en fais pas. Laisse les autres le dire. »

Je ne connaissais rien de l’Église anglicane du Canada. Je n’étais pas au courant du fait que, depuis 1976, cette Église avait autorisé l’ordination des femmes au diaconat et au sacerdoce, et en principe, à l’épiscopat, mais Jo le savait. Je lui disais que je voulais devenir médecin parce que je me voyais comme une « guérisseuse ». Après trois années d’écoute, Jo m’a posé une question qui m’a fait rire : « As-tu déjà pensé au sacerdoce? » Devant ma réaction, Jo me conseille simplement : « Laisse l’idée mijoter… » L’année suivante, le même scénario se reproduit. Je ne progressais pas dans mon projet d’avenir en médecine. Voyant que je résistais toujours à sa demande, Jo intervint en disant : « Tu devrais prendre une décision bientôt. Tu gaspilles ta vie! » Ce jour-là, j’ai accédé à sa demande.

Alors, je suis arrivée au séminaire, encore sceptique (prête à partir !), mais décentrée. Je n’avais aucune idée pourquoi j’y étais allée, sauf pour cette confiance que je faisais à Jo. J’y ai découvert toute une tradition intellectuelle philosophique dont je ne connaissais rien. J’ai plongé dans l’apprivoisement de cette tradition intellectuelle. Durant ma dernière année, j’ai travaillé Thomas d’Aquin, et je peux dire qu’au moins mes questions épistémologiques y trouvaient une valorisation. J’ai suivi toute la formation au sacerdoce anglican. Depuis, je me suis rendu compte qu’il y manquait une chose importante : une attention portée à la vie spirituelle. En 1986, j’ai été ordonnée diacre, et en 1987, prêtre. Encore très sceptique, et perplexe aussi, je me demande comment il se fait que je sois devenue représentante d’une tradition religieuse dont je doutais grandement. Comme beaucoup de femmes ordonnées, j’ai vécu le cauchemar de me retrouver tout à fait nue lors de mon ordination, soit d’être habillée curieusement, comme le père Noël, par exemple… Vêtue selon cette tradition ecclésiastique, je ne me reconnaissais pas.

Mon immersion aux relations raciales

En 1988, deux ans en tant que prêtre collaborateur (collaboratrice?), j’ai été appelée à desservir une paroisse biraciale à Tulsa, Oklahoma. Tulsa, du moins en ce temps-là, était une ville où existait encore la ségrégation. L’église épiscopale St. Aidan se trouve dans le quartier nord de la ville, quartier historiquement noir. Alors, j’ai commencé un ministère pastoral qui était aussi une immersion aux relations raciales aux États-Unis. J’écoutais les histoires de mes vieux paroissiens, de leurs parents et grands-parents en esclavage. Grâce à eux, j’ai découvert ce qu’était le coeur de l’Évangile : entendre et croire que « Tu es un enfant bien-aimé de Dieu » devant tout ce que les Blancs peuvent faire pour te déshumaniser. À la veille de mon retour au Canada, et à mon arrivée au Québec, un collègue afro-américain baptiste m’avait demandé de faire une prédication devant une assemblée de toutes les églises du quartier. Je n’ai jamais été aussi nerveuse avant de faire une prédication. Je l’ai intitulée If you’re looking for God, you’re looking for trouble! (Si vous cherchez Dieu, vous cherchez les problèmes!) Au début, l’assemblée est restée silencieuse. Mauvais signe!

Mais, ce sermon m’a changée. J’ai témoigné de la conscientisation de mon propre racisme systémique… que je suis une raciste en rétablissement. Et à la fin du sermon, la chorale a chanté, à ma demande, le grand chant des esclaves Wade on in the water. God’s gonna trouble the water (Entre dans la piscine et Dieu agitera l’eau) (Jn 5, 4). L’assemblée répond « Preach on sista! » (Vas-y ma soeur!).

Je n’avais aucune idée, à ce moment-là, que j’allais exécuter ce chant moi-même, lorsqu’en arrivant au Québec, je dus faire face à l’ébranlement de mon mariage. Mon cheminement spirituel s’est alors ouvert sur ma propre pauvreté, sur ma propre histoire de victimisation, et sur une nouvelle connaissance de l’amour de Dieu pour moi. Grâce à une accompagnatrice spirituelle ignacienne, j’ai pu entendre et croire, pour la première fois et personnellement, dans mon histoire et dans mon manque d’estime de soi, que j’étais une fille bien-aimée de Dieu. Une nouvelle conscientisation de ma condition s’est établie grâce à ma participation à un groupe des douze étapes pour les dépendances affectives. Une conversion affective profonde s’est révélée. Entourée de femmes qui cherchaient, en dehors du discours chrétien, à exprimer leur transformation et leur guérison, je commençais à être reconnaissante de cette formation en théologie. Je voyais la grâce de Dieu à l’oeuvre, en elles et en moi.

À l’intérieur de cette conversion, je vivais, en méditation, ma propre mort spirituelle, la mort de la personne pour qui je m’étais prise, maintenant morte, en sépulture en Jésus. Pourtant, la croix ne me disait rien. Je ne savais pas encore que j’étais en bonne compagnie.

En 1998, je me suis inscrite à des études de troisième cycle à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. C’était pour moi une immersion en milieu francophone. Grâce à cette immersion, j’ai été appelée à diriger le Centre Unitas dans un temps très difficile, mais aussi libérateur. Mais c’était aussi une façon de poursuivre mes études sur Julienne de Norwich, anachorète, mystique et théologienne anglaise du XIVe siècle. Mes préoccupations de poursuivre l’appropriation d’une foi crédible et d’une vocation bien intériorisée m’ont menée vers une étude du salut, et du point de vue des victimes, des personnes qui vivent les effets des sources systémiques, vers une étude du péché conçue non plus comme l’orgueil, mais plutôt comme la honte, la haine de soi. Chez Julienne, j’ai trouvé une amman qui voulait communiquer au monde sa vision de Jésus comme miroir vrai de notre condition opprimée, et de notre appel à l’union en son humanité florissante en nous. Jésus, comme miroir de l’amour du Dieu, la Mère trinitaire; la croix de Jésus comme lieu d’accouchement gracieux de notre humanité. Mon appropriation continue.

Maintenant, je me trouve dans un ministère dynamique auprès des francophones catholiques à Sorel-Tracy, au Québec. Une ancienne paroisse anglicane où il n’y a plus d’anglophones, la communauté de foi de Christ Church, à Sorel, est maintenant en renouveau. En tant que nouvelle communauté oecuménique francophone, nous créons les normes, les pratiques spirituelles. Nous discernons, en collaboration avec d’autres organismes communautaires, quels sont les besoins de la communauté où nous pouvons accompagner les personnes en difficulté. Nous essayons de trouver quelle est la mission de Dieu, et non pas la mission d’une confession ecclésiastique comme telle, en contexte local. C’est pourquoi j’ai représenté l’Église anglicane du Canada à Belem, au Brésil, l’hiver dernier, au Forum mondial de théologie et de libération. Reste à voir comment l’Esprit guidera les activités de notre café Christ Church dans les voies de la libération.

Révérende Dre Holly Ratcliffe

Tiré de Dans le trafic, Bulletin de l’ADDTSRUM (Association des diplômées et des diplômés en théologie et en sciences des religions de l’université de Montréal), no 29,   hiver   2010.

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Une réponse à L’évolution, ou plutôt… l’appropriation de mon ministère?

  1. Michel Couillard dit :

    J’ai été personnellement touché par la partie de ce témoignage qui parle du : « péché conçue non plus comme l’orgueil, mais plutôt comme la honte, la haine de soi. »

    Merci. Ce témoignage me permet de grandir dans la foi. Je l’ai partagé ce dimanche matin au groupe de célébration dominicale auquel j’appartiens.

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