13 septembre 1984, une percée en Acadie

Les vagues sont violentes, la houle est terrible, mais nous ne craignons pas d’être engloutis par la mer, car nous sommes debout sur le roc.  Saint Jean Chrysostome, Office des lectures, 13 septembre.

Gisele TurcotCinq ans après le plaidoyer de sœur Theresa Kane à Washington, D.C., une voix acadienne s’adressait au même insigne visiteur, le pape Jean-Paul II. Sœur Theresa, alors présidente de la LCWR, affirmait qu’il était temps en Église d’ouvrir aux femmes la porte de tous les ministères. Sœur Odette Léger, supérieure générale des religieuses de Notre-Dame-du Sacré-Cœur de Moncton, s’exprimait ainsi :

« Très Saint Père, nous comptons sur le respect et l’encouragement de l’Église pour nous laisser aller jusqu’au bout de notre mission, à l’exemple de Marie. Que nous soyons célibataires, femmes mariées ou religieuses, nous voulons partager les tâches apostoliques d’évangélisation, car Dieu nous appelle à le faire selon notre manière féminine d’être au monde et en réponse à notre vocation humaine et chrétienne.1  »

Nous étions fières de toi, chère Odette, nous partagions tellement ta requête. Tu traduisais avec une éloquente simplicité les pensées intimes que la majorité des femmes de notre génération ruminaient depuis les années de Vatican II. Nous avions reçu comme un bon miel les mots de Jean XXIII sur les signes des temps: « De plus en plus consciente de sa dignité humaine, la femme n’admet plus d’être considérée comme un instrument; elle exige qu’on la traite comme une personne aussi bien au foyer que dans la vie publique.2  » Cette affirmation voisinait la reconnaissance des aspirations des travailleurs et des peuples à une juste reconnaissance.

Quel chemin avons-nous parcouru depuis trente ans? C’est la question qui surgit tout naturellement à propos de la participation des femmes à la mission de l’Église. Annine Parent s’est imposée un « devoir de mémoire3  » qui n’oublie aucun point de repère sur le chemin du dialogue amorcé. La pratique pastorale continue d’inclure, par ailleurs, un nombre impressionnant de femmes sollicitées pour assumer les tâches catéchétiques, l’assistance spirituelle et la diaconie pour répondre aux besoins personnels et sociaux, voire l’animation des paroisses sur tous les continents.  Cependant les normes ecclésiales n’ont officiellement pas bougé et se sont même resserrées depuis la note du cardinal Ratzinger en 1994. Bref, selon le mot de Michèle Asselin4 , « si le chemin à parcourir vers l’égalité pour toutes les femmes dans la sphère privée et dans la vie publique est encore long, au sein de l’Église catholique, la révolution reste à faire ».

Si ce constat est juste et partagé, il est nécessaire de s’interroger davantage, ici, sur l’état d’esprit qui caractérise  maintenant nos rapports avec l’Église locale et universelle. Trois postures me semblent émerger.

Premièrement, la tentation du cynisme. Puisque rien n’a bougé du côté institutionnel, quelle a été l’utilité de tous les colloques, les dialogues, les partenariats que nous avons inventés? Pourquoi faudrait-il espérer encore et encore ce que nous ne verrons pas de notre vivant? Ces questions et celles que posent les féministes à distance de l’Église – pourquoi restez-vous là? – nous habitent chacune à certains jours. On ne voit pas la lumière à l’horizon, même avec le pape François qui, sur d’autres terrains problématiques, montre courage et détermination pour apporter des changements nécessaires. Ici, on a mal à l’espérance.

En second lieu, le retrait et le repli. Puisque rien ne change, par manque d’écoute de la parole engagée des femmes et des hommes qui voient une autre manière de diversifier les ministères, aussi bien se taire, changer d’adresse et de champ d’action, suspendre les analyses critiques et les stratégies de rapprochement. Ainsi notre Église se prive des dons qui avaient été généreusement offerts.  En certains cas, le besoins de nourrir et célébrer sa foi autrement pousse à joindre une communauté appartenant à une autre tradition chrétienne.

Reste une troisième option : la plongée dans le mystère, dans la nuit obscure pour y trouver la sagesse et se laisser transformer. Les leaders des religieuses américaines, semoncées par la hiérarchie ecclésiastique, se tournent vers cette voie spirituelle. Elles savent qu’il leur faut apprendre à naviguer à travers les récifs pour trouver une répondre prophétique à ce qui ressemble à une impasse. C’est ce que leur proposait Nancy Shreck, OFS à l’ouverture de leur assemblée annuelle5 : « Moi-même, devant toi je marcherai. Je te donnerai les trésors déposés dans les ténèbres et les richesses dissimulées dans des cachettes; ainsi tu sauras que c’est moi le Seigneur, celui qui t’appelle par ton nom, le Dieu d’Israël. » (Isaïe, 45,2a et 3)

Accepter de plonger ainsi dans des eaux profondes exige une bonne dose de maturité spirituelle. Une plongée dans un baptême de purification qui invite les deux parties à reconnaître humblement qu’elles n’ont pas encore su trouver la manière de résoudre ensemble un conflit de vision du monde, de conception de la mission, de la gouvernance et du rôle des femmes en Église.

Me voici loin de 1984! Nous étions alors portées par les voiles de l’espérance du possible. Nous voici acculées à cultiver un surcroît d’amour patient, restaurateur de brèches et réparateur de murs. Nous voici contraintes de faire appel à des énergies nouvelles qui surgiront des profondeurs de la contemplation du Fils de Dieu aux prises avec des résistances tenaces, ce  même Jésus qui affirmait entre autres : « À vins nouveaux, outres nouvelles ».

Montréal, le 8 septembre 2014


Références

1- Odette Léger, Intervention devant le Pape Jean-Paul II en 1984, site www.femmes-ministères.

2- Jean XXIII, Pacem in terris, avril 1963, no 41.

3- Annine Parent, Devoir de mémoire. Femmes et évêques, un dialogue à poursuivre, 2013.

4- Michèle Asselin, Place aux femmes!, in Pacem in terris – Paix sur la terre. Relecture engagée dans le Québec d’aujourd’hui, Novalis, 2013, p.36.

5- Nancy Schrek, OFS, Holy Mystery Revealed in Our Midst. Reflection at Opening of the Assembly. Lire : https://lcwr.org/sites/default/files/calendar/attachments/opening_reflection_-_nancy_schreck_osf_0.pdf

Gisèle Turcot

A propos Gisèle Turcot

Gisèle Turcot, sbc, est membre de l’Institut Notre-Dame du Bon-Conseil de Montréal dont elle est la supérieure générale depuis juin 2015. Elle a participé à la fondation du réseau Femmes et Ministères et elle est associée aux Antennes de la paix, groupe montréalais membre de Pax Christi International.
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2 réponses à 13 septembre 1984, une percée en Acadie

  1. Gaston Lessard dit :

    Merci, soeur Gisèle. Il est facile pour moi, prêtre de plus de quatre-vingts ans, de vous encourager à persévérer dans la troisième option. Je ne risque rien. Au moins, je suis avec vous de tout coeur. Les quelques pages de Joseph Moingt en préface au livre de Maud Amandier et Alice Chablis, Le Déni, ouvrent une toute petite fenêtre sur la réflexion théologique qui permettra peut-être un jour de disjoindre présidence d’une assemblée eucharistique et sacerdoce sacrificiel.

  2. Réjeanne Martin dit :

    Oui, Merci, chère Gisèle. Toute mon admiration et ma très sincère affection qui me lient à toi depuis tant et tant d’années… au-delà du temps de nos tâches respectives et au-delà de l’espace que vient combler ta tendresse pour notre pauvre Église. Mais comme tu me connais, avec un sursaut de réaction à l’oppression que nous, religieuses, vivons depuis même la fondation de nos congrégations, j’appelle encore et encore toutes les femmes à faire la grève de nos services pastoraux et de soutien financier à la hiérarchie. Question de réveiller nos vénérables Pasteurs. Le Peuple de Dieu, voilà ce qui motive notre engagement et notre service. Dans la nuit obscure, Thérèse d’Avila nous supplie, comme elle le faisait à son époque, de nous « aventurer » au-delà de la peur et d’une béate obéissance.

    Merci beaucoup!

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