Pédophilie chez les prêtres et les religieux, un mal profond et exacerbé

Le dossier des prêtres pédophiles est devenu accablant. Accablant pour le Pape et la hiérarchie; accablant aussi pour les fidèles, voire pour quiconque se soucie de la qualité spirituelle de la société. Actes criminels aux conséquences graves, les actes pédophiles créent une souffrance indescriptible chez les victimes et manifeste une souffrance, parfois intolérable, chez certains des auteurs eux-mêmes.

La victime se sent la plupart du temps marquée au fer rouge d’un acte qui tient à la fois du plaisir défendu et du sacrilège. Elle sent qu’elle a été naïve, trompée, trahie, en plus de se sentir coupable du plaisir involontairement éprouvé. Pensant être la seule personne au monde à qui cela est arrivé, elle perd confiance en son jugement, en son intelligence, en sa bonté. Le garçon ou la fille ne se sent pas comme les autres : il est à part, anormal, différent des jeunes de son âge, coupé de sa famille par un secret honteux. Le silence dont il doit s’entourer l’isole, et le jeune perd la confiance fondamentale dans les adultes, même et surtout les plus respectés. Dans certains cas, cette initiation trouble à la vie sexuelle marquera celle-ci d’un ineffaçable sentiment de culpabilité ou liera tout acte sexuel à la soumission, à la peur, au masochisme, parfois à la violence.

UNE MALADIE

La pédophilie est une maladie. Chez certains pédophiles, cette maladie est englobée dans la perversion, c’est-à-dire dans l’absence d’émotions et de sentiments envers l’autre. On a relevé ce type de pédophilie perverse chez un certain nombre de prêtres qui ne regrettent rien de ce qu’ils ont fait, convaincus même d’avoir comblé d’affection et de plaisir des jeunes qui en demandaient.

Sans être aussi froids, certains prêtres jouent assez cyniquement de leur prestige pour exiger un service urgent, une consolation, un bien-être de quelques minutes procuré par un jeune valet qui ne dira rien à personne et qui sera même flatté par une telle complicité avec un prêtre. Ce dernier estime que le plaisir sexuel avec un adulte est trop coûteux, étant incompatible avec la carrière (la vocation): pourquoi ne pas se le procurer grâce à de jeunes innocents, eux-mêmes sexuellement confus et qui ne font pas encore partie du vrai monde ? Comme les politiciens américains qui prêchent la vertu puritaine et envoient des billets doux aux pages du Congrès, ces prêtres vivent une vie à deux visages: l’évangile et la morale théorique d’un côté, leur vie sexuelle de l’autre.

Beaucoup de prêtres et de religieux pédophiles sont, au contraire, intérieurement rongés par leur amour des enfants et des jeunes ados. Ils connaissent leurs devoirs et leurs responsabilités, ils aiment les enfants, ils leur veulent du bien, mais la vue d’une jeune tête blonde, d’un joli minois, les immerge dans un état second qui les incite subrepticement à tout mettre en œuvre pour approcher ce jeune corps angélique, innocent et vierge, beau comme le petit Jésus. Très souvent, le prêtre se reconnaît dans cet enfant pur, pieux, rêveur, dans cet enfant qui a souffert, qui a été abandonné, qui ne reçoit pas tout l’amour qu’il mériterait. Le prêtre plonge au cœur de son amour maternel: ce garçon sera son bébé, son fils, il le prendra sous son aile, le couvrira de baisers, le caressera partout, et baisera ce joli petit pénis, pur comme un objet sacré.

RESPONSABILITÉ D’ADULTE

Les pédophiles ont tendance à dire que les enfants sont eux-mêmes complices, voire séducteurs, et que le pédophile ne fait que leur procurer ce qu’ils souhaitent. Il est vrai que les enfants jouent de la séduction; cela ne signifie cependant pas que l’adulte doit passer à l’acte. Sa responsabilité d’adulte l’oblige au contraire à tuer dans l’œuf l’imaginaire et la symbolique que l’enfant est en train d’élaborer. Envers un prêtre, le garçon, avant de s’identifier, peut ressentir de l’admiration et de l’amour, voire du désir, mais l’identification devient cauchemardesque quand le prêtre – l’homme idéal – y répond par des actes de nature sexuelle, que l’enfant a même peine à imaginer.

Quant aux jeunes ados qui amorcent leur vie sexuelle et mettent au point leur art d’aimer, ils ne s’attendent guère à ce qu’un prêtre les accompagne dans la pratique de cet art, tout en leur conseillant d’attendre jusqu’au mariage… Il s’agit là d’un double message qui rend fou.

ALORS, QUE LES PRÊTRES SE MARIENT !

Certaines analyses attribuent au célibat obligatoire des prêtres la principale cause de leurs actes de pédophilie. Alors, que les prêtres se marient! Prophètes de malheur! Si le célibat et la solitude peuvent exacerber les tendances pédophiles, le mariage ne les guérit pas! La pédophilie est un mal profond lié à la jeune enfance du malade, notamment à ses carences affectives, et la famille ne fera souvent que le transformer en père incestueux.

La pédophilie des prêtres est liée au fait que beaucoup de prêtres ne sont pas entrés dans le monde des adultes: enfants sages, choyés par leurs éducateurs, très tôt considérés comme spéciaux, obéissants, ils jouissent de nombreux privilèges. Ils n’ont à craindre ni le chômage ni la faillite; très souvent, ils sont logés, nourris, blanchis. Ils jouissent de pouvoirs immenses (baptiser, pardonner les péchés, consacrer, prêcher, etc.) qui ne sont pas liés à leurs compétences personnelles. Ils sont des notables respectés et souvent protégés par leur supérieur, ce qui leur a longtemps servi de paravent devant les autorités judiciaires. Certains prêtres profitent ainsi du système, comme ils le disent eux-mêmes, et il est à peu près temps que le système les renvoie à leur responsabilité d’humain et de citoyen.

Il y aurait peut-être quelque chose à faire pour qu’ils deviennent des adultes. Mais les cacher sous la jupe épiscopale ne fait que les maintenir dans leur pénible état.

AU-DESSUS DE LA LOI

Les prêtres catholiques n’ont pas inventé la pédophilie. On a toutes les raisons de croire que celle-ci était pratiquée dans plusieurs cours par les monarques et les nobles. Dans certaines cours, les enfants servaient à la fois de pages et d’apparat: ils portaient les messages et figuraient au premier rang des invités de sa Majesté, presque comme des décorations, de beaux, de mignons objets. On peut présumer que ça ne s’arrêtait pas là. Plus près de nous, on a relevé plusieurs cas de pédophilie dans des groupes religieux, comme les Krishna, des groupes hindous et même chez les Témoins de Jéhovah. Dans chaque cas, ces groupes voulaient régler le problème eux-mêmes, sans faire intervenir la justice. Parfois pour sauvegarder la réputation du groupe, parfois parce que le gourou, comme le Prince de Machiavel, s’estimait au-dessus de la loi.

Tous ces aspects se sont retrouvés dans l’église catholique: régler le problème soi-même, sauvegarder la réputation, proté- ger ses prêtres, être au-dessus de la loi civile. Il y a là, de la part de l’église, une bizarre façon d’exercer son autorité: une autorité absolue en ce qui a trait à la pratique des sacrements et à quelques points du dogme, mais une attitude maternante en ce qui a trait aux mœurs.

Théologiquement, cette attitude se fonde probablement sur la conviction que le prêtre, quoi qu’il fasse, est un être sacré, qu’on ne peut traiter comme le commun des mortels. Mais dans une société laïque, tous les citoyens sont profanes et égaux devant la loi. Quant aux fidèles, ils s’attendent plutoôt à voir dans le prêtre un exemple de la très sévère morale catholique imposée à tous, plutôt que le contre-exemple d’une sexualité maladive qui serait réservée aux privilégiés.

Le simple mariage des prêtres risque d’être un cataplasme sur une jambe de bois. À mon avis, il faudrait commencer par ordonner des hommes mariés, puis des femmes. L’entrée des femmes dans le clergé ferait disparaître au sein de celui-ci le tabou de la femme et de la sexualité. Ce tabou tend à créer un univers d’hommes où la femme, même si elle collabore étroitement au travail pastoral quotidien, reste une tentation dont il faut toujours se protéger. On peut penser que l’interdit de la femme contribue chez certains prêtres à une régression vers une sexualité infantile, non-socialisée, secrète, délétère pour tous. Cet interdit est souvent lié d’ailleurs au caractère sacré du prêtre, alors que la femme est associée à l’impur. Cette spiritualité sacerdotale qui fait quasiment du prêtre un ange, est pleine de pièges. L’un de ceux-ci est l’amour des enfants…

Corruptio optimi pessima : la corruption de ce qu’il y a de meilleur est la pire.

Pierre Pelletier est  philosophe et psychanalyste
Ce texte a été publié dans la revue Présence Magasine de juin-juillet-août 2010
et est publié avec les permissions requises.

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