À propos de l’ordination des femmes au ministère presbytéral

Des femmes pourraient-elles être ordonnées prêtres dans l’Église catholique ? Voilà une question épineuse! Il serait facile pour moi de simplement obéir à la réponse négative officiellement affirmée par les autorités vaticanes que je respecte1, tout en ne partageant pas
leur avis sur cette question. Comme on l’enseignait lors de ma lointaine formation au Grand Séminaire de Saint-Hyacinthe : « Celui qui obéit ne se trompe jamais ». Hélas ou bravo, je ne pense plus que l’obéissance passive soit toujours vertueuse, surtout lorsque ma conscience, mes réflexions et celles d’autres personnes continuent à l’interpeller.

Oui, le ministère presbytéral est une vocation, un appel de Dieu, murmuré au travers des incidents d’une vie. Il ne s’agit pas d’un droit à revendiquer pour soi, comme d’autres droits énoncés dans la Charte des droits de la personne. Toutefois, une interrogation fondamentale se dessine : « Pourquoi la moitié féminine de notre humanité est-elle exclue de l’appel du Seigneur » ?
Sommes-nous, dans l’Église catholique, absolument certains que Dieu refuse cet appel à toute femme, du seul fait de son sexe ? Pourtant, plusieurs femmes affirment, aujourd’hui, entendre cet appel au fond de leur cœur. De quel droit peut-on leur interdire le sacerdoceet nier la véracité de cet appel ? Dieu n’a-t-il pas créé l’humain, homme et femme, pour l’aimer, le faire connaître et épanouir sa création?

Je connais la réponse traditionnelle apportée à cette interrogation : « L’homme et la femme sont foncièrement égaux, ce qui ne signifie pas que l’un et l’autre sont responsables des mêmes réalités. Les femmes sont des membres actifs dans l’Église. Elles peuvent occuper des postes de haute responsabilité, sans pourtant devenir prêtres. Il est d’ailleurs manifeste qu’aucune femme n’a été choisie par le Christ lui-même pour faire partie des <Douze>, c’est-à-dire du Collège apostolique. » Et rien n’a changé par la suite. Cette affirmation se veut à la base de l’exclusion des femmes au ministère presbytéral.

Avec des yeux nouveaux, posons-nous ces questions. Cette raison est-elle aussi contraignante et immuable qu’elle le semble à première vue ? Pensons-nous que Jésus de Nazareth, tout Fils de Dieu qu’il était, s’est posé à son époque, la question du sacerdoce des femmes telle que formulée de nos jours ? N’oublie-t-on pas quelque part que le Fils de Dieu fait chair, fut tributaire de la pensée et des coutumes de son époque, même s’il a innové quant à plusieurs enseignements et affiché une ouverture d’esprit admirable vis-à-vis de certaines façons de faire. Sommes-nous mal à l’aise de reconnaître que le Verbe de Dieu s’est vraiment incarné, épousant les richesses et les limites de la culture juive de son temps?

L’apôtre Paul n’hésite pourtant pas à écrire : « Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti lui-même, prenant la condition d’esclave et devenant semblable aux hommes… » (Ph. 2, 6-7). L’auteur de l’Épitre aux Hébreux affirme quelque chose de similaire : «C’est de la descendance d’Abraham qu’il se charge. En conséquence, il a dû devenir en tout semblable à ses frères, afin de devenir dans leurs rapports avec Dieu un grand-prêtre… » (He. 2, 16-17).

Au temps de Jésus, nous le savons, la femme juive jouait un rôle important dans son foyer, mais sa participation à la vie religieuse et socio-politique n’avait rien de comparable au rôle de la femme d’aujourd’hui dans les nombreuses sphères de nos sociétés modernes. Il est vrai que Jésus n’a pas craint de remettre en question certaines barrières de son temps. Par exemple, il a accueilli des femmes dans son groupe itinérant de disciples (Lc 8, 1-3), ce qu’un rabbi juif n’aurait jamais fait. Selon l’évangéliste Jean, Jésus ressuscité a confié à Marie-Madeleine une mission par excellence : «Va trouver mes frères et dis-leur : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.» (Jn 20, 17).

Tenant compte de ce que j’ai écrit précédemment sur l’humanité de Jésus et sur le rôle restreint des femmes juives dans leur temps, il ne faut pas se surprendre si Jésus n’a pas choisi de femmes dans son collège apostolique, pas plus qu’il n’a prôné directement l’abolition de l’esclavage, de la torture ou de la peine de mort. Il a créé des ouvertures et proclamé des valeurs fondamentales qui, avec l’évolution des situations, permettront aux civilisations et à l’Église de discerner de nouvelles conséquences issues de ces valeurs. La Tradition dont se réclame l’Église ne se limite pas à un regard jeté sur le passé pour le figer dans le présent et le futur. C’est une inspiration de l’Esprit pour épanouir les richesses du passé en réponse aux besoins du présent et du futur.

L’élan donné par le Christ s’est poursuivi dans son Église. Je ne veux pas ici faire l’histoire des nombreuses initiatives prises par les femmes tout au long de la vie de l’Église. Je me contenterai d’en signaler quelques-unes rapportées par des auteurs inspirés. Dans le Livre des Actes, saint Luc note certains engagements vécus par les femmes dans les Églises naissantes (Ac. 1, 14; 9, 36-41; 12, 12; 16, 14 ss)Dans la Lettre aux Galates, l’apôtre Paul, souvent taxé d’antiféministe, écrit : « Vous avez revêtu le Christ, vous tous qui avez été donnés au Christ par le baptême. Là, il n’y a plus de distinction : Juif et Grec, esclave et homme libre, homme et femme; tous vous êtes devenus un dans le Christ Jésus. » (Ga 3, 28).

Bien sûr, on trouve dans ces Lettres aux diverses communautés certaines interdictions faites aux femmes selon la culture juive du temps. C’est normal. Paul reste marqué par les influences de son environnement (1 Cor. 11, 2-16). N’oublions pas d’autres extraits dans lesquels l’Apôtre reconnaît avec joie les implications de plusieurs femmes dans leur Église particulière. Dans sa Lettre aux Romains, il écrit : « Je vous recommande Phébée, notre sœur, diaconesse de l’Église de Cenchrées. Offrez-lui dans le Seigneur un accueil digne des saints et assistez-la en toute affaire » (Rom. 16, 1-2). Il poursuit : « Saluez Marie qui s’est bien fatiguée pour vous Saluez Tryphène et Tryphose, qui se fatiguent dans le Seigneur ; saluez ma chère Persis qui s’est beaucoup fatiguée dans le Seigneur. » (Rom. 16, 12). Rien ne nous empêche de penser qu’un tel dévouement existait dans d’autres communautés pauliniennes. Les germes déposés en terre par Jésus allaient connaître une éclosion enthousiaste dans plusieurs sociétés et dans les Églises.

Longtemps vues comme « reines » du foyer, les femmes, surtout en certains pays, ont fait éclater cette image et se sont tracé des chemins pour occuper avec compétence des rôles et fonctions traditionnellement réservés aux hommes. Le pape Jean XXIII reconnaît cette évolution dans son encyclique « Pacem in terris ». Pour désigner ce phénomène, il emploie l’expression «signe des temps», c’est-à-dire un fait historique perçu dans la foi comme une interpellation de l’Esprit faite à l’Église comme à l’humanité.

Dans un article récent, paru dans le magazine Présence, madame Pauline Jacob rappelle que, au nom de la Conférence épiscopale catholique du Canada (CECC), monsieur le Cardinal George Bernard Flahiff avait proposé en 1971, la création d’une Commission d’étude sur l’ordination des femmes. Elle écrit : « Le Vatican a créé cette Commission qui a conclu que les textes du Nouveau Testament ne permettaient pas de trancher la question et que l’ordination des femmes ne semblait pas aller à l’encontre des intentions du Christ. »4

Peut-on garder espoir et penser que la pensée actuelle du Vatican se modifie pour accepter le point litigieux de l’ordination des femmes ? Avec plusieurs autres, je le souhaite tout en reconnaissant que les interventions des derniers papes ne vont pas dans cette direction. Par contre, tout au long de son histoire, notre Église, sous l’action de l’Esprit et interpellée par les « signes des temps», a su modifier sa pensée, son enseignement et ses attitudes concrètes sur nombre de points de vue. Le théologien canadien Gregory Baum écrit : « L’Église catholique est fidèle à la révélation biblique interprétée par les premiers conciles œcuméniques et se situe
ainsi dans la tradition de l’orthodoxie, mais elle est aussi capable de relire les textes sacrés et sur cette base, de réagir avec créativité aux défis de l’histoire. »5

Je ne peux dans cet article épiloguer longuement sur tous les changements introduits dans la pensée et l’enseignement de l’Église. Nommons simplement quelques-uns des enseignements où eurent lieu de profondes modifications : les droits de ladistinction entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel7l’option préférentielle pour les pauvres8la culture de la paix9, le mouvement oecuménique10 et le pluralisme religieux11, sans oublier le Décret du concile Vatican II sur la liberté religieuse12.

L’évolution des conditions de la femme n’est pas semblable partout dans le monde. Aussi, il ne faut pas penser à un enseignement qui accepterait la mise en place du ministère presbytéral pour les femmes dans toutes les régions du monde à la fois. Que faire alors? Pourquoi ne pas remettre entre les mains des Évêques regroupés en Conférences épiscopales la décision de favoriser ou non l’ordination des femmes à la prêtrise ? Qui mieux que ces Pasteurs, avec leurs
collaborateurs et collaboratrices, peuvent discerner les signes des temps et les besoins pastoraux de leur milieu et prendre les décisions en conséquence. Dans le document conciliaire sur la Charge des Évêques, on lit : « Une Conférence épiscopale est en quelque sorte une assemblée dans laquelle les Prélats d’une nation ou d’un territoire exercent conjointement leur charge pastorale en vue de promouvoir davantage le bien que l’Église offre aux hommes, en particulier par des formes et des méthodes d’apostolat convenablement adaptées aux circonstances présentes.13» Cette décision se prendrait en dialogue avec le Saint-Siège.

Je conclus ces réflexions par ce qui m’apparaît comme un « plus » pour notre Église, si jamais elle accepte de réviser sa position sur ce point comme elle l’a fait sur d’autres. Notre Église se prive de ressources compétentes, dynamiques et ferventes pour sa mission d’évangélisation dans le monde d’aujourd’hui. Les agentes de pastorale déjà à l’œuvre en sont la preuve vivante. Il ne s’agit pas d’ouvrir la porte du sacerdoce aux femmes uniquement à cause de la forte diminution des hommes qui embrassent cette vocation. Avant tout, l’accès des femmes au sacerdoce est motivé par les besoins de la mission de l’Église qui s’enrichirait des charismes complémentaires du couple humain. L’Église ne subordonne-t-elle pas à un refus sans fondement absolu l’impératif très ferme de Jésus Christ de diffuser sa Bonne Nouvelle salvatrice? Nombreuses sont les personnes qui n’acceptent plus que leur Église soit perçue comme l’un des derniers bastions qui refuse à ses membres féminins de répondre à l’appel du
Seigneur qui retentit en leur cœur tout autant que dans celui de leurs collègues masculins. Jésus a ouvert aux femmes de son temps de nouveaux chemins de liberté. Son Église n’a-t-elle pas le devoir de poursuivre son œuvre aujourd’hui avec le même respect?

Marc Rondeau, prêtre du diocèse de St-Hyacinthe.
Avril 2010

NOTES

1) Paul VI, Inter insignores (1976) Jean-Paul II, Mulieris dignitatem (1988) Jean-Paul II, Ordinatio sacerdotalis (1994)

2) Jacob, Pauline, Appelées aux ministères ordonnés,  Novalis, 2007

3) Léon-Dufour, Xavier, Vocabulaire de Théologie biblique, Du Cerf, 1981

4) Citée par François-Nicolas Pelletier, « Libérer la parole des femmes », Présence Magazine, vol 19,  no 145, mars-avril 2010, p. 14

5) Baum, Gregory, Étonnante ÉgliseBellarmin, 2006, p. 17

6) Idemp. 17 ss

7) Idemp. 49 ss

8) Idemp. 77 ss

9) Idemp. 123 ss

10) Idem, p. 151 ss

11) Idemp. 154 ss

12) Vatican II, Les seize documents conciliaires, Fides, 1966, p. 555 ss

13) Vatican II, Les seize documents conciliairesFides, 1966, p. 302

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