L’Autre Parole, 1976-2011, 35 ans d’écritures et de réécritures – recension

L'autre Parole 35eL’Autre Parole, 1976-2011, 35 ans d’écritures et de réécritures.
Recueil. 
Gatineau (Québec) : Ed. A3Brins, 2011, 369p.
Recension par Marie-Thérèse van Lunen Chenu

Un beau message d’Ivone Gebara ouvre ce recueil : « Depuis le début du monde, « l’Autre Parole » nous habitait. Elle était en nous depuis le commencement mais elle n’avait pas pu se manifester. Elle était en nous, elle était aussi nous, mais les forces de la lumière blanche aveuglante, de la lumière toute puissante ne lui ont pas permis de se manifester. Elle a été rejetée, est devenue un objet de moquerie, un bouc émissaire pour les maux du monde ! »

35 ans déjà que nos  amies Québécoises  réussissent  à lier leurs paroles, celles issues des recherches en théologie et théologie féministe avec les attentes  de femmes de la base. Tout a commencé par un simple appel lancé par Monique Dumais, théologienne féministe à l’Université de Rimouski en 1976. Il interpelait des théologiennes et chercheuses qui  furent nombreuses et ardentes à répondre. Heureusement, la « collective » de L’Autre Parole, se forma plus largement,  elle compte actuellement des femmes très diverses en  huit groupes de terrain, bien enracinés sur place  et qui travaillent selon leur propre initiative, se réunissant une fois par an pour un colloque et ne connaissant que la structure très souple du Comité de coordination, dit  COCO, formé d’au moins une représentant de chaque groupe. L’ardeur est restée ainsi que la richesse collective et la liberté  des paroles, écritures et ré-écritures dont rend compte ce recueil d’anniversaire.

Le choix a coûté cher probablement à celles qui y ont travaillé tant était varié, et merveilleusement riche l’ensemble ! Certains textes présentés ici sont personnellement signés, beaucoup le sont  de « réécriture collective ». L’humour y est présent ; on devine que les femmes ont souffert  à  devoir détailler et analyser l’oppression  patriarcale et ses formes « religieuses », sacralisées… elles ont  su parfois aussi s’en amuser, dénoncer en les moquant les méfaits de la culture patriarcale et  le rôle qui leur était traditionnellement imposé. Un texte intitulé « Genèse »…  A l’origine était l’Amour et de ses rondeurs plantureuses jaillit la Vie, femmes et hommes… évoque savoureusement la  routine installée de  la longue litanie des sept jours de la semaine :

Le lundi, le lavagele mardi, le repassage; le mercredi, le reprisage, le jeudi, le ménage; le vendredi, le magasinag ; le samedi, le popotage; le dimanche, le priage !

L’instinct de propriétaire prit le dessus / on commença à clôturer les jardins et à vouloir contrôler son voisin.

Les hommes voulaient contrôler le ventre de leur compagne pour les réduire au rang de Vierge ou de putain

Et la terre, qui était belle prit des allures MORTIFÈRES.

Le souffle de vie sourd des profondeurs des femmes et LA PAROLE se fait « libération ». En se donnant la main  elles s’affranchissent du désordre patriarcal et se tiennent Deboutes! ».

Bien loin de regretter une certaine emphase collective et féministe de réappropriation identitaire, on s’émerveillera surtout  de l’inspiration et de la profondeur spirituelle des Écritures et réécritures que l’Autre Parole propose en  s’inspirant, mais en délaissant les récits trop convenus de la Genèse, des Proverbes, des Béatitudes, du Credo, du Magnificat, des psaumes… Il est bien dommage que nous n’y fassions pas plus souvent appel pour nos liturgies communautaires.

D’autres textes – sur l’avortement, en solidarité avec des religieuses suspectées par Rome, sur l’ordination des femmes, sur des déclarations « déplorables » de tel ou tel dignitaire ecclésiastique etc. – s’inscrivent dans l’actualité et ne refusent pas une certaine radicalité féministe.

Mais en amont, au-delà  même de la sororité qui les a vu naître, qui les marque et leur permet une liberté rare, ces écritures et paroles Autres  portent la dimension plénière et l’espérance du devenir humain, ainsi ces Paroles prophétiques, du groupe de Rimouski-Matane, 1995 :

… Alors tous les fossés des différences seront franchis
dans la tendresse partagée,
dans les retrouvailles de la dignité première,
et toutes les puissances déchaînées de la violence
seront anéanties par les forces de la vie, de l’amour
afin que toute chair, homme et femme, soit en vérité image de Dieue
jusqu’à la fin des temps.

Recension publiée sur le site FHEDLES et reproduite avec les permissions requises.

Marie-Thérèse van Lunen Chenu

A propos Marie-Thérèse van Lunen Chenu

Féministe reconnue, cofondatrice de Femmes et Hommes en Église (France), du Centre Genre en Christianisme (France) et de l’Unité de Recherches et Documentation Genre en Christianisme [GC], Marie-Thérèse van Lunen Chenu est une auteure et une conférencière reconnue pour ses analyses rigoureuses. Elle a publié « Femmes et hommes » (Cerf, 1998) et a à son actif de nombreux articles et contributions à des ouvrages collectifs.
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