« À votre place, les bonnes sœurs! »

Alain AmbeaultDans chaque pays, les communautés religieuses sont regroupées en conférence. Celle-ci assure divers services de coordination, de ressourcement, de formation et de représentation notamment auprès des instances civiles et ecclésiales. Les conférences religieuses sont mixtes en plusieurs pays ou elles regroupent séparément les hommes et les femmes comme aux États-Unis. Diverses raisons peuvent expliquer cette réalité, entre autres, le grand nombre de religieuses américaines. Au-delà de cette séparation de genre, il existe une réelle solidarité entre les conférences masculines et féminines des religieux américains.

Ce n’est pas d’hier que la LCWR (Leadership Conference of Women Religious) est dans la mire des autorités vaticanes. Elles ont favorisé entre elles et avec le peuple américain qu’elles servent, une liberté de pensée qui a tôt fait d’ouvrir le dialogue, condition essentielle à la vérité qu’elles annoncent. Sur la route d’Emmaüs, la première question de Jésus n’est-elle pas: de quoi discutiez-vous en chemin? (Lc 24, 17) C’est dire que la vérité évangélique ne produit son effet qu’à la condition d’un va-et-vient de la parole, du témoignage et de l’agir. Ainsi, leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. (Lc 24, 31)

Cette semaine, le couperet est tombé. Après quelques années d’enquête, l’autorité vaticane de la doctrine de la foi a non seulement imposé à la conférence des religieuses américaines un réalignement majeur sur les enseignements de l’Église catholique, mais elle lui a reproché ses façons de faire, ses prises de position et, somme toute, son peu de solidarité à défendre la doctrine de Rome, notamment sur le respect de la vie, la compréhension de la sexualité et l’accessibilité des femmes à tous les ministères. Une remise à l’ordre à saveur de : « À votre place, les bonnes sœurs! » Pour s’assurer du résultat escompté, la tutelle d’un évêque!

La réaction première de la Conférence utilise le verbe « stunned », (assommée, abasourdie, stupéfiée) pour qualifier son état d’âme. Des leaders du mouvement religieux féminin ont déjà conclu qu’il faut tout simplement ignorer ce geste autoritaire, infantilisant, et agir hors de la structure canonique. La réaction plus officielle ne saurait tarder.

Je connais personnellement cette conférence pour avoir collaboré avec ses dirigeantes de 2004 à 2006 alors que j’assumais la présidence de la Conférence religieuse canadienne et que nous vivions ici la tourmente d’un message adressé à nos évêques. Je ne doute pas un instant de la manière dont elles répondront à ce geste malhabile, inacceptable et irrespectueux. Monsieur le directeur est passé et d’un coup de poing sur la table, il a rétabli l’ordre! J’ose croire que jamais ces femmes intelligentes, engagées, des femmes à la prise de parole informée, recherchée, déterminée se laisseront semoncer de la sorte par des relents d’un autoritarisme passé, un paternalisme ringard. J’ose croire également que la Conférence des religieuses et religieux canadiens ne gardera pas silence devant cet affront inqualifiable et inacceptable fait à sa voisine et cela, au risque de se faire sermonner elle aussi.

Du côté de Rome, on aime reconnaître les solidarités des religieuses et des religieux avec les laissés-pour-compte dans notre société et leur action caritative. Soyez présentes, mes bonnes sœurs, et surtout généreuses de votre temps et de votre avoir, mais votre réflexion ne nous intéresse pas! Soyez obéissantes et ça vous suffit! Soulagez les gens, mais de grâce, ne leur offrez pas la parole! Et vous-mêmes, n’allez surtout pas prendre relais et épouser leurs cris de justice, cela pourrait gêner la rhétorique des bien-pensants d’une foi enclavée.

La médecine appliquée à celles et ceux qui ne suivent pas cette direction est sans équivoque: l’autoritarisme qui tue la parole de l’autre et exclut. En fait, quelle grâce pour les religieuses américaines de se retrouver officiellement du nombre de celles et de ceux qu’elles servent depuis des générations et qui subissent à répétition cette exclusion honteuse. Qu’elles laissent donc les hommes en robes rouges et violettes de Rome avec leur illusion d’un pouvoir sur la vie de foi des gens et leur appartenance à une tradition de foi!

Pour la Conférence des religieuses américaines, il me semble que la solution est simple : business as usual! Continuez à être des femmes de foi et de tradition intelligentes, engagées et audacieuses pour que naisse toujours plus l’Église, Peuple de Dieu. Rappelez-vous, au cœur de la tempête, que Lui, raison de notre foi, nous conduit sur l’autre rive. Ceux et celles que nous servons nous y attendent avec cette parole d’une grande sagesse : « De grâce, ne tournez pas la page d’un Évangile signifiant et engageant sinon, qui nous ouvrira le cœur à la Bonne Nouvelle qui nous donne encore d’espérer? »

Publié le lundi 23 avril 2012 sur le Réseau des Forums André-Naud 

 
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A propos Alain Ambeault

Alain Ambeault, csv, supérieur général des Clercs de Saint-Viateur (2012- ), ancien président de la Conférence religieuse canadienne [CRC] (2004-2006) détient une maîtrise en théologie pastorale. Il est l'auteur de Autopsie d’un débat avorté (Novalis, 2007) et coauteur de Dissidence, résistance et communion en Église (Novalis, 2009).
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