Les ministères dans une Église communion

Du 25 novembre au 8 décembre 1985, Jean Paul II convoque un  synode extraordinaire sous le thème Le vingtième anniversaire de la conclusion du Concile Vatican II.  Mgr Bernard Hubert, évêque de Saint Jean-Longueuil y participait à titre de président de la Conférence des évêques du Canada.  Voici le contenu de son intervention. 

Dans sa convocation de la deuxième assemblée du Synode extraordinaire des évêques, le Pape Jean-Paul II nous a indiqué qu’un de ses objectifs était de permettre aux pères synodaux d’échanger et d’approfondir des expériences touchant l’application du Concile au niveau de l’Église universelle et des Églises particulières. Répondant à cet .appel, nous désirons vous faire part de l’expérience que l’Église du Canada connaît dans la pratique des ministères et vous indiquer certains discernements que nous commençons à vivre. Nous comptons profiter de la réflexion des pères du Synode et de la connaissance des expériences conduites dans différents pays.

Tout au long du XXe siècle, notre pays a connu un grand nombre de vocations au presbytérat et à la vie consacrée. Nous avons partagé une dizaine de milliers de prêtres, de religieuses et de religieux avec des Églises-sœurs un peu partout dans le monde. Aujourd’hui, les ministres ordonnés ont beaucoup diminué en nombre. Nous continuons cependant à faire une vigoureuse pastorale des vocations. Nous rappelons fréquemment le spécifique du ministère presbytéral et sa contribution irremplaçable dans la vie des communautés chrétiennes. Toutefois, en même temps que les vocations presbytérales se raréfient, se présentent à nous plusieurs laïques, hommes et femmes, désireux de participer au service pastoral de l’Église.

Une des suites les plus remarquables du Concile, en effet, a été l’engagement de nombreux laïques dans l’action pastorale de l’Église et dans le service du monde. Des hommes et des femmes ont reçu, comme un nouveau souffle, la réaffirmation par le Concile que l’Église est le peuple de. Dieu. Ils ont pris conscience de la grandeur de leur baptême qui les rend participants de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ. Découvrant qu’ils sont l’Église, ils donnent de leur temps et de leur personne pour en faire une communauté fraternelle, engagée et célébrante. À l’écoute de l’Évangile, ils se mettent au service de la mission.

Une part de ces baptisés se retrouvent dans leur mission propre de laïques, telle que définie par Paul VI dans Evangelii Nuntiandi, no 70. Ils assument la responsabilité de porter le témoignage du Christ et l’invitation au salut dans les divers milieux de vie. D’autres ont plutôt choisi de rendre service dans les communautés chrétiennes (en 73). Ils y accomplissent différentes tâches. Pour bien remplir ces actions, beaucoup de religieux, de religieuses, de laïques femmes et hommes ont acquis une formation qui parfois s’étend sur plusieurs années. À côté d’engagements bénévoles et limités, se sont multipliés les engagements rémunérés de plusieurs agents de pastorale qui travaillent à plein temps en Église.

On peut dire qu’un grand nombre de ces laïques, « permanents ou bénévoles », exercent un véritable ministère qu’il nous reste bien souvent à qualifier mais dont nous reconnaissons la richesse. L’Église ne peut  se passer de ces engagements sans mettre en cause la vitalité des communautés chrétiennes et la réalisation de sa mission, en particulier si la tendance se confirme de compter sur les groupes restreints et les communautés à taille humaine pour l’éducation de la foi, la révision de l’engagement et la célébration.

Jusqu’ici, les évêques du Canada ont reconnu certains ministères soit en accordant des mandats spécifiques, soit en organisant des cérémonies d’envoi et d’engagement au sein même des communautés dans lesquelles les gens oeuvrent, soit en admettant des laïques aux ministères institués du lectorat et de l’acolytat ou encore au ministère du diaconat. Ces diverses formes de reconnaissance tiennent compte à la fois de la sensibilité contemporaine, de l’importance et de la durée de l’engagement ainsi que des limites inhérentes à la gestion des ministères institués en Église. 

Il nous faut noter ici que ces ministères sont exercés dans les faits par un grand nombre de femmes, sinon une majorité. Elles sont présentes particulièrement dans les tâches d’éducation de la foi, d’animation des communautés, d’animation spirituelle, d’animation pastorale de mouvements et d’institution scolaire ou hospitalière. L’Église a besoin d’elles concrètement,  elles sont souvent des chevilles ouvrières au sein de nos communautés. L’Église, pour  être conséquente, devrait reconnaître ces ministères.

Lorsque nous évaluons l’expérience vécue au Canada, nous constatons que certaines formes de ministères exercées par les laïques au sein des communautés, apparaissent plus ou moins comme des expressions d’une recherche d’un nouveau mode d’exercice du presbytérat. Cela n’est pas fait consciemment, mais les besoins des communautés, la qualité, la compétence et le leadership des personnes ont amené des situations de faits qui nous interpellent.

Ceci exige des efforts indispensables pour clarifier le sens du ministère ordonné et des ministères baptismaux. Cette recherche, tenant compte de la tradition, ne doit jamais se faire au détriment de l’engagement responsable du plus grand nombre possible de chrétiens dans la vie de l’Église. Il faut aussi la mener dans le cadre d’une réflexion théologique qui n’oublie pas la nature communionnelle de l’Église et les conséquences qui en découlent. L’articulation du ministère ordonné et des ministères baptismaux sera d’autant plus harmonieuse qu’elle ne cherchera pas d’abord une spécificité distinguant deux catégories de gens avec tout ce que cela comporte, mais qu’elle visera la meilleure réalisation possible de la mission confiée par le Christ à  son Église.

Nous  sommes bien conscients de l’ampleur des problèmes que nous soulevons aujourd’hui. Nous ne pouvons taire une réalité que nous ne sommes pas les seuls à vivre. Nous ne cherchons aucunement la polémique, mais nous tenons à souligner que dans la recherche que l’Église mènera sur l’ensemble de ces questions, il faudra rester ouvert à l’action de l’Esprit et tenir compte des pratiques des différentes Églises particulières, pratiques bien souvent initiées par les Églises-sœurs d’ Afrique et d’Amérique latine. De même, nous considérons que ces questions du ministère soulèvent, celles de l’ecclésiologie. Elles doivent être en continuelle relation.

L’émergence de nouveaux agents pastoraux dans l’Église ne se fait pas dans la dévalorisation des prêtres. Au contraire, ceux-ci ont permis, par leur accueil et leur collaboration, à des laïques d’assumer des responsabilités pastorales et de répondre à d’importants besoins d’animation, dans les communautés. Cela a favorisé; aussi, le passage d’une Église reposant principalement sur des clercs à une Église ou la coresponsabilité, avec l’aide du Seigneur, bâtit la communion. Nous remercions les prêtres pour leur ouverture au travail de l’Esprit Saint et leur adaptation, parfois difficile, au rôle nouveau mais toujours essentiel qu’ils sont appelés à jouer dans une Église communion. Nous comptons sur eux pour aménager les services du ministère dans les communautés chrétiennes. Ce sont eux qui permettront à l’Église de devenir ce qu’elle est, c’est-à-dire une communion de personnes vivant le mystère de Dieu en la personne de Jésus le Christ, dans l’Esprit Saint.

Enfin, en résumé, les questions que nous vous partageons, au terme de ce survol, sont les suivantes : quels ministères, pour quelle Église? Quel type d’articulation des ministères dans une Église communion?

Mgr Bernard Hubert 
Évêque de Saint-Jean-Longueuil, président de la Conférence des évêques catholiques du Canada

Rome, le 29 novembre 1985

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