L’ORDINATION DES FEMMES DANS L’ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE – Position du réseau Femmes et Ministères

PRÉAMBULE

Résurgence du débat

La question de l’ordination des femmes revient de façon régulière à l’avant-scène de l’actualité. Le débat, loin d’être clos[1], met en évidence le fait suivant : les arguments invoqués par l’Église catholique romaine pour refuser aux femmes l’accession au sacerdoce ne parviennent plus à s’imposer comme par le passé. Ils peuvent être valablement contestés comme en font foi les recherches bibliques, historiques et théologiques portant sur le sujet. Opposer aux résultats de ces recherches une fin de non-recevoir, sous prétexte d’une pratique ecclésiale traditionnelle, s’avère une position incompréhensible pour nos contemporains. 

Discrimination voulue de Dieu: constitution divine de l’Église

Seuls des hommes sont appelés par Jésus à former le groupe des Douze, le Magistère voit dans  ce geste une volonté divine d’exclure à tout jamais les femmes des fonctions sacerdotales. Il y va même de la constitution divine de l’Église affirme Jean-Paul II 2. Comment justifier pour aujourd’hui que « la constitution divine de l’Église » comporte de facto une discrimination à l’égard de la moitié de l’humanité? Pourquoi est-ce de la nature intime de l’Église du Christ de réserver aux baptisés masculins le ministère ordonné 3 ? De telles questions montrent, de façon obvie, l’urgence de débattre dans l’Église la question de l’ordination des femmes.

Écoute et dialogue

Par ailleurs, Benoît XVI reconnaît la nécessité de confier à «des femmes des postes de responsabilité plus élevés dans l’Église» tout en admettant les limites juridiques imposées par le sacerdoce. En effet, le pouvoir de prendre des décisions juridiquement contraignantes relève du sacrement de l’ordre. La prise en compte de ce constat n’empêche cependant pas le pape de soutenir que « les femmes elles-mêmes sauront déblayer ce terrain. Et nous, nous devrions essayer de nous mettre à l’écoute de Dieu, afin de ne pas entraver ce mouvement» 4. Or pour être en mesure de « déblayer ce terrain », il importe de n’exclure aucune des possibilités à explorer, y compris celle de l’ordination des femmes.

POSITION DU RÉSEAU FEMMES ET MINISTÈRES SUR L’ORDINATION DES FEMMES

Tout en étant respectueux de l’autorité ecclésiale, le réseau Femmes et Ministères soutient que  l’ordination des femmes appartient à l’avenir de l’Église. D’ailleurs sa position s’appuie sur  les textes officiels du Magistère portant sur la théologie de la vocationle rejet de toute forme de discrimination et la nature de l’Église comme communauté des disciples du Christ, Église-Fraternité. Rappeler ici l’essentiel de ces enseignements conduit, du même souffle, à questionner les arguments du Magistère pour refuser le sacerdoce aux femmes5.

1.La théologie de la vocation 

Question de vocation

Dans la foulée de la Tradition ecclésiale, le réseau Femmes et Ministères admet sans ambages que le ministère ordonné ne relève pas du domaine des droits de la personne. Aucun baptisé, homme ou femme, ne peut se prévaloir ou se réclamer d’un droit à la prêtrise.  Nous sommes dans le domaine de la  vocation.  Femmes et hommes, en tant que disciples du Christ, sont susceptibles d’entendre dans leur vie l’appel au sacerdoce. Car, dans toute vocation « ce qui est tout à fait prioritaire, et même primordial et décisif, c’est l’intervention libre et gratuite de Dieu qui appelle »6.

Dieu appelle aussi des femmes

La donnée de foi en la souveraine liberté de Dieu n’est pas prise en considération lorsqu’il s’agit des femmes. Le Magistère postule tout simplement ceci : il n’a pas à discerner la possibilité d’un  tel appel considéré tout au plus comme « un attrait personnel, qui peut demeurer  purement subjectif »7. Car, pour lui, l’identité masculine représente une condition préalable au discernement d’une vocation sacerdotale. Sa pratique traditionnelle le confirme : « Sont dits appelés de Dieu  ceux qui sont appelés par les ministres légitimes de l’Église »8. Une attitude qui, en plus de heurter de plein fouet la reconnaissance primordiale de l’initiative divine dans toute vocation, s’avère contraire à l’enseignement condamnant toute forme de discrimination.

2. Le rejet de toute forme de discrimination

Le Magistère ne reconnaît pas l’appel de baptisées à la prêtrise. Cet état de fait permet d’affirmer sans détour l’existence dans l’Église  catholique romaine d’une discrimination fondée sur le sexe. Une réalité d’autant plus difficile à constater puisque le concile Vatican II déclare « contraire au dessein de Dieu toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race (…) »9. Car, ajoute le pape Jean-Paul II, 

toute discrimination constitue une injustice absolument intolérable, […], en raison du déshonneur infligé à la dignité de la personne; et non seulement à la dignité de qui est la victime de l’injustice, mais davantage encore, de qui la commet10.

La fermeté des propos n’a d’égale que leur clarté. Cette prise de position comporte, en réalité, un jugement, sur la pratique même de l’Église.

Le baptême, condition première pour recevoir le sacerdoce

Le baptême est à la source de tous les autres sacrements. Sa réception représente, dès lors, la condition première et fondamentale pour recevoir le sacrement de l’ordre. Or, pour ce dernier, curieusement une condition sine qua non est ajoutée : être du sexe masculin. Une condition  discriminatoire qui constitue, pour reprendre ici les mots de Jean-Paul II, une injustice absolument intolérable. Rien ne peut justifier une telle exclusion.

3. La communauté des disciples du Christ

Depuis le concile du Vatican II, les appellations « Peuple de Dieu » et « Église communion » sont privilégiées. Non seulement les clercs mais aussi  les laïques se sont approprié ces expressions. L’égale dignité entre les chrétiens et les chrétiennes s’y trouve affirmée avec force et conviction. « Il n’y a dans le Christ et dans l’Église, aucune inégalité qui viendrait de la race ou de la nation, de la condition sociale ou du sexe »11. Pourtant, en dépit de belles considérations théologiques, le Magistère n’est pas parvenu, jusqu’à maintenant, à tirer la conséquence pratique de cet enseignement par rapport à l’accès des femmes à l’ordination nommément.

Ministère sacerdotal: fonction et conditions

«La dignité personnelle constitue le fondement de l’égalité de tous les êtres humains entre eux »12 et donc de l’égalité entre les membres de l’Église. Or, cette donnée anthropologique est mise entre parenthèses au moment de soulever la question de l’admission des femmes au sacerdoce. Car, soutient Jean-Paul II, nous sommes dans le concept de la fonction, et non de la dignité et de la sainteté»13. Raison de plus pour questionner la position du Magistère. Une  fonction n’appelle-t-elle pas d’abord à être évaluée sur la base de la compétence?  Cette personne, homme ou femme, a-t-elle les qualifications nécessaires pour remplir la fonction? C’est  la principale question à se poser au moment d’arrêter son choix sur telle ou telle personne. 

Lorsqu’il s’agit de la fonction de ministre ordonné, deux conditions sont exigées : avoir reçu le baptême et avoir la vocation. À n’en pas douter, la deuxième condition est moins évidente que la première. L’appel au sacerdoce doit être discerné suivant certains critères : sens  de la mission évangélique et de la communauté chrétienne, aptitudes intellectuelles et traits de personnalité, etc. Des chrétiennes peuvent rencontrer cette double condition. Prétendre le contraire serait préjuger des capacités humaines des femmes, en plus de balayer du revers de la main leur dignité personnelle. 

Une communauté de disciples du Christ égaux 

Aux interlocuteurs venus l’avertir que des membres de sa famille l’attendaient dehors, Jésus leur rétorque : « Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur et ma mère » (Mc 3, 35; Mt 12, 46-50). Frère, sœur et mère deviennent alors ses disciples parce qu’ils  «écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique» (Lc 8, 21). Voilà sa famille! sa communauté! C’est bien là l’héritage transmis par les premières générations de chrétiennes et de chrétiens. En prenant chair, le Fils de Dieu est devenu le Frère aîné d’une multitude. Chrétiennes et chrétiens, par le baptême, ont « revêtu le Christ » (Ga 3,27), se sont « enrichis de la fraternité du Christ » et ont reçu « la dignité de sa fraternité » (Cyrille d’Alexandrie, IVe s.14).

Ainsi les sœurs du Christ sont aptes à signifier de façon sacramentelle Sa présence lors des célébrations liturgiques, de l’Eucharistie en particulier.  Il faut le redire haut et fort : le baptême constitue la condition primordiale pour recevoir l’ordination et non celle du facteur sexuel inhérent à l’être-femme ou à l’être-homme. Force est de constater que le rapport homme-femme représente « le lieu le plus significatif de la non-inculturation de l’Évangile ».

Toute discrimination, à l’égard des femmes sous prétexte que Jésus était un homme vient d’une connaissance selon la chair : c’est une injure aux croyantes baptisées, et c’est en même temps, et peut-être plus encore, une injure au Christ. C’est à cause de notre méconnaissance du Frère aîné que toutes ses sœurs sont méconnues dans leur dignité15.

Aussi les fidèles ont-ils le devoir de questionner, entre autres, la discipline ecclésiale qui  fait de « la ressemblance naturelle avec le Christ », c’est-à-dire la ressemblance sexuelle, la condition première pour l’accès au sacerdoce16.

Questionner l’interprétation traditionnelle du choix des Douze par Jésus

 L’essentiel de l’argumentation traditionnelle se concentre en un point précis : Jésus n’a appelé que des hommes, des Juifs plus précisément, pour former le groupe des Douze. Un geste interprété dans le sens d’une volonté divine manifestée. En fidélité à cette compréhension, « l’Église ne se considère pas autorisée à admettre des femmes à l’ordination sacerdotale »17. Dès lors, comment expliquer que, tout au long des siècles, des non-Juifs ont été ordonnés sans que cette pratique n’ait été jugée dérogatoire à la volonté de Jésus? Au nom de quel principe d’interprétation parvient-on à dissocier deux éléments d’un même geste et  affirmer ainsi que pour l’un il y a volonté de Dieu et pour l’autre pas?

Ces questions embarrassantes mettent à nu la pratique d’une discrimination sexuelle. Le reconnaître serait une avancée dans l’Église.Une reconnaissance appelant, par le fait même, la levée de l’interdiction de débattre de l’ordination des femmes. Le climat d’ouverture permettra alors de mieux entendre les voix demandant, au nom même de la fidélité au Message du Christ, la révision de la position de l’Église en vue d’admettre les femmes au sacerdoce. Sans prétendre représenter lasolution-miracle aux nombreuses difficultés que connaît aujourd’hui l’Église, l’évolution de sa règle disciplinaire aura toutefois le grand mérite de respecter en tout point l’égale dignité entre les  membres de la Communauté des disciples du Christ et ainsi se retrouver en droit fil avec l’Évangile. 

 


NOTES DES RÉFÉRENCES

1 JEAN-PAUL II, Ordinatio sacerdotalis. Lettre sur l’ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes, Cité du Vatican, Libriria editrice Vaticana, 1994, n. 4, p. 8

2. JEAN-PAUL II avance que «l’impossibilité pour les femmes d’obtenir le sacerdoce concerne la constitution divine elle-même de l’Église», dans Ordinatio sacerdotalis, n. 2 et 4, p 3 et.8.

3. Quelques-unes des questions soulevées par Marie-Jeanne BÉRÈRE, « L’ordination des femmes dans l’Église catholique: les décisions du magistère », dansRevue de droit canonique, 46 (1996), p.16 (p. 7-20).

4. Entretien accordé à la télévision de Bavière, le mercredi 16 août 2006. Texte reproduit sur Internet: zenitfrancais@zenit.org.

5. Pour s’assurer de la compréhension de notre position par un large public, nous emploierons les termes prêtre et sacerdoce sachant bien qu’ils ne sont pas employés au début de l’Église. Les appellations prêtre et sacerdoce étant associées, dans la majorité des religions, à la notion de médiation. Le prêtre (hiéreus en grec) étant le médiateur entre les hommes et Dieu.

Pour sa part, la communauté chrétienne primitive confesse qu’elle n’a qu’un seul prêtre, le Christ. Il est l’unique Médiateur, nul besoin de recourir à d’autres prêtres pour avoir accès à Dieu (voir Lettre aux Hébreux ,10,20-21; cf. 2,17). Aussi ses responsables sont-ils appelés diacre(diaconos en grec), ancien(presbyteros en grec) etsurveillant (episcopos en grec ).

6. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique post-synodale, Je vous donnerai des pasteursPastores dabo vobis sur la formation des prêtres dans les circonstances actuelles (coll. L’Église aux quatre vents), Montréal, Fides, 1992, n. 35. Les caractères italiques appartiennent à la citation.

7. « On dit parfois et on écrit dans des livres ou des revues que des femmes se sentent une vocation sacerdotale. Un tel attrait, si noble et compréhensible qu’il soit, ne constitue pas encore une vocation. Celle-ci en effet ne saurait se réduire au seul attrait personnel, qui peut demeurer purement subjectif », SACRÉE CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, L’admission des femmes au sacerdoce ministérielInter insigniores (coll. L’Église aux quatre vents), Montréal, Fides,1976, n. 6, p. 17.

8. Ce sont les mots mêmes du Catéchisme romain (Catéchisme du Concile de Trente (1545-1563), cité par Michel SAUVAGE, « Vocation », dans Dictionnaire de Spiritualité, t. 16, Paris, Beauchesne, 1993, col. 1095. Tandis que la déclaration  L’admission des femmes au sacerdoce ministérielInter insigniores soutient ceci: « Le sacerdoce étant un ministère particulier dont l’Église a reçu la charge et le contrôle, l’authentification par l’Église se trouve indispensable: elle fait partie constitutive de la vocation: le Christ a choisi  “ceux qu’il voulait” (Mc 3, 13)», n. 6, p. 17.

9. Constitution de lÉglise dans le monde de ce tempsGaudium et Spes, n. 29 paragraphe 2.  JEAN-PAUL II fait écho à cet enseignement : « la nécessité absolue de refuser toutes les formes, si diverses de discrimination, qui hélas! continuent de diviser la famille humaine, discriminations raciales, économiques, sociales, culturelles, politiques, géographiques, etc. (…) ». Exhortation post-synodale La vocation et la mission des laïcs dans l’Église et dans le mondeChristifideles laïci,Ottawa, Conférence des Évêques catholiques du Canada, 1988, n. 37, p. 107.

10. JEAN-PAUL II, La vocation et la mission des laïcs dans l’Église et dans le monde, Christifideles laïci, n. 37, p.107-108.

11. Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium, n. 32.

12. La vocation et la mission des laïcs dans l’Église et dans le mondeChristifideles laïci, n. 37, p. 107. 

13. JEAN-PAUL II, La vocation et la mission des laïcs dans l’Église et dans le mondeChristifideles laïci, n. 51, p, 154. La citation découle des affirmations qui la précédent : « Dans la participation à la vie  et à la mission de l’Église, la femme ne peut recevoir le sacrement de l’Ordre, et donc, ne peut remplir les fonctions propres au sacerdoce ministériel. C’est là une disposition que l’Église a toujours reconnue dans la volonté précise, totalement libre et souveraine, de Jésus-Christ qui a appelé des hommes à être ses Apôtres; c’est une disposition qui peut s’éclairer par le rapport entre le Christ  Époux et l’Église son Épouse ».

14. Cité par M. DUJARIER, « L’Église-Fraternité chez les Pères de l’Église », dans Mission de l’Église, n. 111 (1996), p. 52-53.

15. René JAOUEN, « Le point de vue de l’anthropologie », dans Pleins feux sur le partenariat. Actes du Symposium. Le partenariat hommes et femmes en Église (coll. F), Montréal, Éditions Paulines,1997, respectivement p. 102 et p. 100.

16. « Il n’y aurait pas cette « ressemblance naturelle » qui doit exister entre le Christ et son ministre si le rôle du Christ n’était pas tenu par un homme : autrement, on verrait difficilement dans le ministre l’image du Christ », dans L’admission des femmes au sacerdoceInter insigniores, n. 5, p. 13. C’est l’application de la théorie des signes sacramentels, lesquels doivent, selon Thomas d’Aquin, représenter ce qu’ils signifient par une ressemblance naturelle.

17.  Introduction, L’admission des femmes au sacerdoceInter insigniores, p. 5.

Montréal, le 19 juin 2007.

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