Réflexions comme feuilles au vent…

Ces mots reçus de Pauline : « Avent, Noël, idéalement en lien avec la question des femmes en Église ou des femmes tout court », dansent en moi une valse à plusieurs temps. D’autres mots, certains faits, sont entrés dans la danse : de Mgr Grech : Pandémie, vie de l’Église, quelle leçon?Fratelli Tutti de François; publications de Dominique Collin, OP, dont : Le christianisme n’existe pas encore, puis candidature d’Anne Soupa, messes virtuelles, rapports tablettés depuis le Rapport Dumont jusqu’à Risquer l’avenir1. Folle farandole…

J’accueille la suggestion de revenir à la maison comme quelque chose de neuf… dont il ne faudrait pas s’emparer trop vite pour offrir des programmes d’appoints aux « maisonnées » qui espèrent un prochain retour au temple. Comment se préparer plutôt à accueillir ce qui naîtra depuis les maisons? Après quelle durée de gestation? J’écris espérant ouvrir un chemin… et préciser la question lancinante qui me taraude.

Vers une écoute plurielle de l’inouïe «musique de l’Évangile»2….?

Habitée par la musique de l’Évangile de Luc, l’intuition que j’ai désiré mettre en lumière dans Homme et femme à la lumière de l’Évangile de Luc… me revient au cœur comme porteuse de notes nouvelles. À la lumière masquée de la pandémie qui réalise, à notre insu, la sortie du temple souhaitée par pape François, je suggère d’écouter à plusieurs, distance assumée, les chapitres 1 et 2 de l’Évangile de Luc et, à leur lumière, les deux premiers chapitres des Actes des Apôtres… Ils sentent Avent et Noël pour qui attend une délivrance de l’Église en « mode branchée » comme disent certains!

Espérant la réflexion commune qui peut naître d’une écoute plurielle, j’écoute à nouveau, prêtant plus attention, cette fois, au jeu répétitif des allers/retours entre temple et maison(s) où s’harmonisent femmes et hommes…3

Du temple à la maison…

L’expérience de long mutisme vécue par Zacharie (nom qui signifie mémoire), neuf mois et huit jours, ouvre l’aventure.

Identifié par sa fonction de prêtre, Zacharie est, en second lieu, présenté comme mari d’Élisabeth (nom qui signifie promesse), tous deux qualifiés irréprochables vs commandements et observances, mais sans enfant car Élisabeth est dite stérile… Zacharie accède seul au sanctuaire, le peuple laissé dehors… Un ange dit à Zacharie qu’il sera père d’un enfant à qui il donnera le nom de Jean (nom qui signifie grâce, gratuité). Pour avoir voulu connaître la teneur du « cela » annoncé, il est réduit au silence sans pouvoir parler4…Du temple, plus rien ne parle donc au peuple qui attend…

Ses jours de service terminés, Zacharie rentre à la maison et, peu après, l’épouse laissée stérile se révèle enfin féconde… Six mois de grossesse s’écoulent et arrive Marie, fiancée mystérieusement fécondée. Seule résonne la parole des femmes. Tout se passe dans et entre deux ventres. Zacharie, muet, est témoin en sourdine. L’enfant de la vieillesse tressaille de la présence de l’autre, nouvellement engendré. Élisabeth proclame la première béatitude et, de Marie, monte le chant qui couronne tous les psaumes dans un tressaillement de joie, car Dieu se souvient (nom de Zacharie) de sa miséricorde, il accomplit sa promesse (nom d’Élisabeth) non sans renverser ce qui allait de soi depuis longtemps…

Passe presque inaperçue la naissance de Jean sinon pour voisins et proches parents… Une autre semaine de mutisme pour Zacharie avant d’apprendre le « pas encore su »… qu’il ne peut connaître de lui-même. Le jour vient de circoncire l’enfant, de lui donner un nom. Irait de soi qu’on le nomme Zacharie comme son père, mais non! Élisabeth prend la parole, elle dit avec assurance : « Non, il s’appellera Jean! », nom jamais porté dans la parenté. Zacharie valide en écrivant  sur tablette: « Jean est son nom ».

Zacharie a donc appris cet inouï, fortement rappelé dernièrement dans l’encyclique Fratelli Tutti : l’identité, inviolable, est donnée par Dieu dans un nom ou don unique. Zacharie a compris : l’enfant né de lui et d’Élisabeth est avant tout fils de Dieu, car engendré dans leur chair par le Souffle créateur. Zacharie ouvre la bouche; la langue déliée, il annonce grande nouveauté, à la surprise de tous. Rempli du Souffle saint, instruit du sens des prophéties, il parle à son tour, dans sa maison, d’un Dieu qui se souvient et tient promesse; il annonce de l’inédit pour Jean : non pas hériter d’une fonction, mais être prophète au-devant de celui qui vient manifester un Dieu plein de miséricorde…

Des maisons au temple en passant par une mangeoire

L’histoire de Jésus commence dans la maison de Marie qui est seule mais… fiancée à Joseph (nom qui signifie croissance). Saluée « comblée de grâce », Marie entend une Parole : elle concevra un fils qui sera Fils de Dieu; il se nommera Jésus (nom qui signifie Dieu sauve)…Sans consulter ni fiancé, ni savants docteurs, elle adhère à la Parole écoutée. « Qu’il m’arrive selon ta Parole » : quelle belle réponse à la Parole de Dieu, mémoire et promesse! Marie court aussitôt constater comment le « tout est possible pour Dieu » se réalise dans la maison de Zacharie car Élisabeth est au sixième mois…

La naissance de Jésus occupe un large espace. Elle concerne un monde en ébullition; tous sont en marche, chacun vers son lieu de naissance… Joseph et sa fiancée enceinte aboutissent, par la force des choses, à une mangeoire de Bethléem (nom qui signifie maison du pain) où bêtes et humains accueillent le nouveau-né. Comment ne pas faire de lien?

Un seul verset souligne la circoncision de l’enfant alors nommé Jésus. Est plutôt mise en lumière sa première visite au Temple pour y être présenté. La scène occupe un espace disproportionné alors que rien de ce rite n’est noté pour Jean.

Cette première présence de Jésus au Temple est quelque chose d’inouï qui donne à penser… Pas question de grand-prêtre! L’homme qui, de sa maison, arrive au Temple où sont déjà présents Marie, Joseph et l’enfant, se nomme Syméon (de Shema’, mot qui signifie écoute). Il attendait la consolation promise. Poussé au temple, ce jour-là, par l’Esprit, il préside à l’accueil. Il reçoit dans ses bras l’enfant offert, lui reconnaissant la place centrale; il bénit Dieu et sait qu’il pourra maintenant partir en paix. Sage, il prévient Marie qu’elle souffrira, car tout enfant peut remettre douloureusement en question la génération qui l’a porté et mis au monde. Surprise inouïe! Anne, (nom qui signifie grâce), une veuve, 84 ans d’âge, en permanence au Temple, gardienne du feu, copréside la célébration. Elle loue Dieu et parle de l’enfant à quiconque attend la délivrance de Jérusalem, comme on attend celle d’une femme enceinte! Qu’apprendre de ce retour au temple?

On retrouve la petite famille dans la maison, un lieu de croissance (sens nom Joseph). Jésus atteint douze ans; son retour au temple crée un remous… Oubliant parents et parenté, il demeure au temple trois jours de plus. Réalisant que Jésus n’est plus de la caravane, parmi les leurs, Marie et Joseph rebroussent chemin et le trouvent parmi des docteurs stupéfaits de l’intelligence et des réponses du jeune homme. Marie cache mal un reproche : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela? Ton père et moi, nous te cherchons angoissés ».

Marie et Joseph retournent à la maison avec Jésus, sans comprendre la portée de son : « Pourquoi donc me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père». À la maison, Jésus reste soumis tout en grandissant en sagesse, en taille, en grâce, le temps qu’il lui faut pour ajuster sa sagesse à celle du Père qui l’envoie non pas juger le monde, mais l’aimer…

Baptisé comme tout le monde et après avoir entendu la parole du Ciel : « Tu es mon fils; moi aujourd’hui, je t’ai engendré », Jésus, dans la trentaine, vise désormais Jérusalem. En route, il arrête dans des maisons, invité ou s’invitant à des repas. Il fait escale dans des synagogues. Un jour de sabbat, il affirme que, quand on a vraiment faim, on peut manger le pain réservé aux prêtres (6, 1-5)!

Arrivé à Jérusalem, Jésus pleure sur la ville et, de retour au Temple, indigné, il fait le grand ménage avant d’y passer ses journées (19, 41ss). Il souligne la présence d’une veuve qui dépose dans le tronc tout ce qu’elle a pour vivre. Il annonce que, du temple, il ne restera rien. Le peuple l’écoute. Les chefs religieux cherchent motif pour l’arrêter.

Jésus réalise ensuite, dans une maison, son ardent désir de vivre un dernier repas avec les siens, d’identifier à son corps et à son sang le pain et le vin quotidiens; il demande qu’on continue à faire ce partage en mémoire de lui. Peu après, les pauvres siens, assoiffés de préséance, discutent entre eux! Quelques heures plus tard, Jésus est en croix quand se déchire le voile du Sanctuaire. Il dit : « Père, en tes mains, je remets mon esprit »…!

De la maison aux nouveaux temples…

La première pentecôte s’est passée dans la maison de Zacharie, la deuxième se vit aussi dans une maison… Ce jour-là, le feu éclate en langues qui sont partagées entre chacune des personnes présentes. Chacune reçoit sa langue de feu et, dans son langage à elle, pourra être comprise par quelqu’un d’autre… L’Esprit de Jésus, remis entre les mains du Père, est généreusement répandu selon la promesse…

On continuait cependant de fréquenter le temple pour l’enseignement et le partage des biens, mais la fraction du pain, signe de la présence de Jésus, se passait, dans les maisons; geste qui le fit reconnaître par les disciples d’Emmaüs… Les deux compagnons avaient sûrement vécu ce partage du pain, sur la route avec lui… Cette fraction du pain est devenue signature-mémoire de la présence de Jésus sur la route…

Mais on dirait que tout a peu à peu basculé… Les communautés s’étant multipliées, des temples-églises, fièrement érigés, ont remplacé le signe que Jésus avait donné pour identifier la présence d’une communauté : « aimez-vous les uns les autres comme… ». On a importé la signature juive, adopté aussi quelque chose des empereurs… La fraction du pain a été tournée en sacrifice offert sur un autel. On a institué des ordres hiérarchiques avec pouvoir réservé de présider au sacrifice appelé messe. Avec pain sans levain. On a dû traduire en mots compliqués ceux bien ordinaires de la signature de Jésus. On a ordonné des prêtres « ad missam »5… pour écouler les offrandes de messes… Chaque prêtre peut même « dire sa » messe…!

Des temples aux maisons?…Pour quel retour au temple!

Quelques souvenirs tenaces : Lors d’une retraite aux prêtres, l’un d’eux, d’origine étrangère, avança que revenir vraiment du sacrifice au repas serait faire place aux femmes… Lors d’une rencontre d’enfants évoquant le récit des disciples d’Emmaüs, un garçon demanda où est allé Jésus quand il disparut des yeux. Une fillette répondit : « Dans le pain! »…Je me souviens aussi d’un homme qui s’est levé dans une assemblée et a rappelé : Jésus n’a pas dit qu’il serait enfermé quelque part où aller le rencontrer, mais que là ou deux/trois sont rassemblés, lui serait là…

Pandémie aidant, messes virtuelles multipliées, la question qui me travaille depuis longtemps s’est un peu précisée en route, mais en a réveillé tant d’autres, bien actuelles, rattachées à elle… Tendinite retardant la remise du texte, la question-clé s’est imposée presque de nuit, ce 14 décembre. J’ose la confier, difficilement écrite de la main gauche… :

Le renouveau souhaité, depuis longtemps en douleurs d’enfantement, se réalisera-t-il sans qu’on ait osé toucher sérieusement à la messe célébrée au temple vs ce qui était « fraction du pain » au cœur des maisons, signature de la présence réelle de Jésus dans un Corps en croissance, animé par son Souffle, mémoire active, comme il l’a promis…?

La pandémie réussira-t-elle à nous affamer de réel? J’espère une réflexion commune sur le « comment cela se fera-t-il? » Pour ma part, comme c’est sérieux, j’entends écouter à nouveau la « musique de l’Évangile » et toute inspiration de l’Esprit de Jésus en chacun, chacune…

Noël nouveau! Que l’année 2021 soit meilleure!

Trois-Rivières, le 15 décembre 2020

NOTES

1 Comité de recherche de l’Assemblée des évêques du Québec sur les communautés chrétiennes locales (1992). Risquer l’avenir : bilan d’enquête et prospectives. Rechercheet rédaction par une équipe de l’Institut de pastorale de Montréal. Montréal : Fides. 

2 Pape François invite à écouter « la musique de l’Évangile » (Fratelli Tutti, no 278) . Dominique Collin invite à en goûter l’inouï.

3 Je rappellerai la signification fort importante des noms en hébreu…

4 Lire Is 48, 6-7 

5 Pour dire des messes…

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A propos Rita Gagné

Détentrice d’une maîtrise en théologie, Rita Gagné, religieuse ursuline, possède une longue feuille de route : enseignante au secondaire et à l’école normale; responsable de l’éducation de la foi des adultes et coordonatrice de la pastorale d’ensemble (diocèse de Gaspé); conférencière; animatrice de retraites et de sessions diverses. Elle est l’autrice de commentaires spirituels de la Parole de Dieu, entre autres, « Homme et femme à la lumière de l’Évangile de Luc » (Médiaspaul, 2013).
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6 réponses à Réflexions comme feuilles au vent…

  1. Angèle Gagné dit :

    Chère Rita,
    Merci de cette longue réflexion qui est comme du sel qui se dilue dans du levain et donne saveur au pain! Je me range du côté de tes inspirations et intuitions !
    Moi aussi je me pose cette question de Marie devant le presqu’impossible: .
    Comment CELA se fera-t-il? Mais … RIEN n’est impossible à Dieu!
    Que nos maisons deviennent des lieux de fécondité !
    Que la Parole s’infiltre en nous … comme un soluté hors veine… cela fait mal parce que il prend un autre chemin !
    Bonne Année et continue ta mission ! même avec ta main gauche!
    Angèle Gagné osu (la connais-tu?)

  2. Diane Foley osu dit :

    Magnifique! Réflexion très profonde, très bien conduite, à la Rita. Ton style si poétique m’a demandé au début de relire quelques lignes, pour décoder le message dans toute sa concrétude, si riche et si complexe aussi. Puis, tout a coulé de soi dans ma lecture.

    Je suis partante pour la fraction du pain dans chaque maisonnée où deux ou trois sont réuni-es au nom de Jésus !

    Je suis partante aussi pour rompre le pain afin de nourrir la croissance des personnes plus que leur piété.

    Je suis partante pour l’égalité « hommes/femmes et femmes/hommes » vécue et à la maison et au Temple !

    Une question : comment favoriser le peuple « en-dehors du Temple » à rompre le pain dans ses maisons ?

    Une interpellation : peut-être bien en commençant par la nôtre…

    J’ai hâte de pouvoir te dire : Ris, t’as Gagné !

  3. Pierrette Martineau dit :

    Merci pour cette longue et belle réflexion du Temps de l’Avent et de Noël. Depuis longtemps, j’imagine que notre célébration du dimanche pourrait se dérouler autour de la table de la cuisine, animée par un homme ou une femme qui s’y connaît…
    Voyant la chapelle de l’Oratoire St-Joseph de Québec « remplie » de 25 femmes et d’un célébrant, j’ai pensé un moment que l’Église du Québec devrait se donner un autre visage. Le texte de Mgr. Grech m’a remise en appétit de retrouvailles.
    Et votre réflexion basée sur une connaissance des mots et de l’histoire m’a laissée toute ébahie. Est-ce qu’on aura le temps de voir des changements?
    Il nous reste l’espérance.

  4. Soline Humbert ( Vatinel) dit :

    Merci bien Rita pour cette belle reflexion.
    La fraction du pain à la maison?
    Nous le faisons depuis des années en Irlande…à la grâce de Dieu!
    Moi-même j’ai commencé à l’Epiphanie 1996.
    Alors faites confiance à l’Esprit Saint et ouvrez des chemins neufs d ‘Espérance.
    Magnificat!
    Soline

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