Des femmes audacieuses

« Je vous donnerai des pasteur[e]s selon mon coeur »(Jr 3, 15)

Publié en mai 2020 dans Échanges  – Revue des amis de Charles de Foucault, 6/1, 18-19  et reproduit avec les permissions requises

Dès les origines du christianisme, des femmes jouent un rôle majeur dans les communautés non seulement comme mécènes, mais également comme rassembleuses, animatrices et collaboratrices de Paul. Que l’on pense à Phoebé, à Lydie, à Prisca et à d’autres. Et dès les premiers siècles, il existe des femmes diacres dans notre Église. Le site Web Womenpriests le documente abondamment et la professeure Phyllis Zagano, membre de la [première] Commission vaticane sur le diaconat féminin s’en fait la défenderesse et la promotrice à travers de nombreux articles, conférences et vidéos. Ces femmes diacres ont des rôles semblables à ceux de leurs confrères diacres. Elles sont ordonnées par un évêque à l’intérieur d’un rituel comprenant une invocation à l’Esprit et l’imposition des mains. À côté de ces ordinations diaconales féminines, il ne faut pas négliger les ordinations presbytérales. Des recherches historiques et archéologiques lèvent de plus en plus le voile sur la possible existence de femmes prêtres.

Malheureusement, au fil du temps, avec l’influence de la société de l’époque reconnue pour sa cristallisation des rôles attribués aux hommes et aux femmes, les limites imposées aux femmes resurgissent de nouveau : la sphère publique est réservée aux hommes, la sphère privée aux femmes. Dans l’Église, cette vision valorise la maternité et exclut d’emblée les femmes de la prêtrise.

Depuis le début du XXe siècle, ce clivage entre les rôles attribués aux unes et aux autres s’est atténué, du moins en Occident. Et des femmes qui discernent un appel à la prêtrise ou au diaconat1 se manifestent de plus en plus ouvertement. Toutefois, certains milieux, dont le Vatican, continuent à figer les rôles des hommes et des femmes dans cette logique de répartition de fonctions innées. C’est ce que sous-tend principalement le canon 1024 du Code de droit canonique : « Seul un homme baptisé peut recevoir validement l’ordination ».

Mais les femmes sont tenaces; elles l’ont toujours été. Parmi ces femmes tenaces se retrouvent celles qui militent pour l’accessibilité des femmes à la prêtrise ou au diaconat. Certaines travaillent dans l’ombre pour cette cause, d’autres militent plus ouvertement. Car les preuves historiques sont là pour démontrer l’existence de femmes diacres au cours de l’histoire. Et l’argumentation théologique vaticane défendant la non-ordination des femmes ne tient plus la route.

Au fil des ans, une forme de militance s’organise pour faire évoluer le débat. En Angleterre au début du XXe siècle, l’Alliance Jeanne d’Arc, un groupe d’abord formé pour l’obtention du droit de vote des femmes, élargit son action à l’Église pour revendiquer l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce groupe demande, dès les années 1960, l’accessibilité des femmes au diaconat (1961) et à la prêtrise (1963). Lors du concile Vatican II, des femmes se manifestent pour faire avancer la question et l’Alliance Jeanne d’Arc y réclame la parité juridique des femmes et des hommes dans l’Église catholique romaine.

Dans la foulée de ce Concile, des espoirs surgissent, des réflexions s’amorcent et se poursuivent. Au Québec et ailleurs au Canada, des femmes font bouger l’institution catholique et des évêques adhèrent à ce mouvement. Des femmes impliquées en pastorale, des femmes de la base et des théologiennes se regroupent pour faire avancer le volet de la pleine participation des femmes en Église. Et elles réussissent à plusieurs niveaux jusqu’à l’arrivée de Jean-Paul II « au pouvoir ». Ce pape vient ralentir les ardeurs de tous les progressistes qui espéraient donner un voix à tous et à toutes.

Mais les femmes ne lâchent pas. Devant la fermeture institutionnelle au dialogue, l’ordination devient peu à peu un choix inévitable pour certaines militantes, une ordination qu’elles veulent, non pour renforcer un nouveau cléricalisme, mais pour être au service du Peuple de Dieu. Cette option n’est pas le fruit d’une génération spontanée. Elle est le fruit de réflexions, de discernement, d’études et de plusieurs années d’engagement en Église.

Des femmes ont donc décidé de répondre à leur appel et se sont fait ordonner, selon ce qu’elles affirment, par des évêques qui se situent dans la succession apostolique. Elles expliquent leur désobéissance à la loi canonique par leur référence à la parole biblique : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29). Elles évoquent également les nombreuses situations où Jésus enfreignait les lois inhumaines déclarant : « Le sabbat a été fait pour les êtres humains, et non les êtres humains pour le sabbat » (Mc 2, 27).

On compte actuellement plus de 200 femmes ordonnées prêtres qui s’affirment de tradition catholique sans cependant être reconnues par Rome. Elles sont réparties sur 5 continents. Il en existe une au Québec, Linda Spear de Sutton, une à Sudbury en Ontario, Marie Bouclin, et quelques-autres dans le reste du Canada. Ces femmes cherchent à vivre une Église plus inclusive, adaptée au monde d’aujourd’hui et centrée sur le Christ. Leur parcours n’est pas banal. Il mérite qu’on s’y arrête. Voici un bref aperçu du cheminement de deux d’entre elles, soit Ida Raming d’Allemagne et Patricia Fresen, originaire d’Afrique du Sud.

Ida Raming, théologienne bien connue, engage toute sa vie pour tenter d’éclairer cette question et faire changer la loi canonique. Elle écrit des articles et des livres concernant les ministères et l’histoire des femmes en Église. Sa thèse de doctorat s’intitule « La femme exclue du ministère sacerdotal – tradition conforme à la volonté de Dieu ou discrimination? ». D’abord publiée en allemand en 1973, elle sera éditée en anglais en 1976 et rééditée en 2004. Elle y démontre que l’exclusion des femmes du ministère presbytéral repose sur l’idée de leur infériorité en s’appuyant sur certains passages bibliques pour légitimer cette discrimination. Elle y analyse et réfute l’exigence du caractère masculin comme obstacle à l’accessibilité des femmes à l’ordination2.

Convaincue depuis longtemps d’être appelée à devenir prêtre tant par la soif de Dieu qui l’habite que par le reflet que les siens lui renvoie, elle a toujours été très active pour cette cause. Déjà en 1963, avec la théologienne Iris Müller, elle soumet une requête au concile Vatican II pour qu’il y ait une discussion sur le sujet et demande, argumentation théologique à l’appui, que les femmes soient admises à l’ordination. Elle travaillera une bonne partie de sa vie à la mise sur pied et au soutien d’un groupe de partage, d’entraide et d’appui à celles qui croient être appelées à un ministère ordonné. Finalement, après toutes ces années de lutte sans issue, toute tentative de dialogue avec les instances vaticanes ayant échoué, elle fait sienne l’idée que le seul moyen d’atteindre cet objectif est la transgression du canon 1024.

Ida Raming est non seulement une chercheuse, mais une pasteure militante reconnue par ses pairs. Au congrès de la Women Ordination Worldwide [WOW] en 2001, j’ai pu constater que cette Ida Raming que je connaissais par ses écrits théologiques était aussi une rassembleuse, une pasteure pour certaines personnes réunies dans cette assemblée pour faire mémoire. Le pas vers l’ordination qu’elle et d’autres franchiront l’année suivante sera l’aboutissement d’une longue marche, une marche de plus de 40 ans.

Patricia Fresen possède 45 années de vie religieuse à son actif chez les Dominicaines en Afrique du Sud. Docteure en théologie, ses premiers indices d’un appel à la prêtrise lui viennent dans la foulée de ses études théologiques et de son enseignement alors qu’elle était la seule femme membre de la faculté de théologie du Séminaire St John-Vianney de Pretoria. Elle y expérimente alors la discrimination reliée au genre. Ce qu’elle a vu et vécu au Séminaire lui ont montré les ravages que le patriarcat et le système hiérarchique ont imprimé à l’Église pendant des siècles. Parallèlement aux souffrances vécues, son désir de servir comme prêtre grandit de plus en plus. Elle décrit ainsi les premiers balbutiements de son appel :

Le désir d’ordination a grandi en moi depuis environ 25 ans. Je me rappelle ce désir montant soudainement en moi à plusieurs occasions. Ordinairement, je l’étouffais me disant que ce devait être mon imagination, car comment Dieu pouvait-il m’appeler moi, une femme, à la prêtrise? C’est défendu par l’Église qu’une femme soit ordonnée; sûrement que Dieu ne m’appelait pas à quelque chose de défendu par la loi de l’Église! Néanmoins, le désir, le sentiment d’avoir les bons talents pour ce ministère, remontaient en moi encore et encore3.

Des séminaristes, des prêtres, des amis et même un évêque lui ont reflété leur reconnaissance d’un appel à la prêtrise. Pour réaliser sa vocation, elle a dû quitter sa communauté à laquelle elle reste profondément attachée, s’exiler en Allemagne et vivre en étrangère dans un pays lointain avec un visa provisoire. Elle devint coordonnatrice de la formation pour les femmes se préparant au presbytérat à l’intérieur du Roman Catholic Women Priests [RCWP].

Les femmes qui ont choisi d’être ordonnées ont toute mon admiration. Le chemin emprunté n’est pas facile. Il est toutefois bien interpellant. Il leur a valu l’excommunication et le rejet dans certains milieux. Ces femmes méritent d’être connues et reconnues. L’Église aurait intérêt à entrer en conversation avec elles. À mes yeux, elles sont des prophètes de notre époque avec lesquelles il est nécessaire d’amorcer un dialogue.

Pauline Jacob,
Asbestos, mai 2020

1 Pauline Jacob, Appelées aux ministères ordonnés, Ottawa : Éditions Novalis, 2007.

2 Ida Raming, « Ida Raming ». Dans Ida Raming, Gertrud Jansen, Iris Müller & Mechtilde Neuendorff, Zur Priesterin berufen [Appelée à être une femme prêtre] (pp. 78‑89), Thaur : Druck und Verlagshaus Thaur, 1998.
Women Priests, [en ligne]. [http://www.womenpriests.org/fr/called/raming.asp] (15 février 2020)

3 Patricia Fresen, « Why I wanted to be ordained » [Pourquoi je voulais être ordonnée], Catholic New Times, 30 novembre 2003.

Jacob Pauline
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A propos Jacob Pauline

Responsable du site du réseau Femmes et Ministères de 2007 à 2024, Pauline Jacob, théologienne féministe, poursuit depuis plus de 25 ans des recherches sur l'ordination des femmes dans l’Église catholique. Elle détient un Ph. D. en théologie pratique et une maîtrise en psychoéducation de l’Université de Montréal. Autrice d'« Appelées aux ministères ordonnés » (Novalis, 2007) et coautrice de « L’ordination des femmes » (Médiaspaul, 2011), elle a à son actif plusieurs articles.
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6 réponses à Des femmes audacieuses

  1. Gauthie dit :

    Merci Pauline pour tout le travail que tu fais pour éduquer et faire remettre en question les idées reçues. Comme tout ça prend du temps! Et oh combien l’Église regrettera de de pas avoir agi plus tôt lorsqu’on verra un regain d’intérêt et de ferveur quand les femmes seront ordonnées suivant leur appel!!!
    Merci!
    Adèle

  2. Denise Simard Toupin dit :

    Chère Pauline

    Cette quête de justice dont tu fais preuve depuis si longtemps pour les femmes qui reçoivent l’appel à la prêtrise est admirable!
    L’ ouverture de l’Eglise à ce sujet est essentielle, vitale …je souhaite vivement que l’Esprit éclaire ces ténèbres profondes où nous maintiennent par profit ou ignorance ceux qui sont censés être de bons et vrais pasteurs.
    Courage…les voies de Dieu sont surprenantes parfois!

  3. Michel Couillard dit :

    Bravo Pauline. Qu’est-ce qu’un homme laïc peut ajouter à cette réflexion, sinon que comme baptisé, on ne peut pas et qu’on ne doit pas rester muet devant cette injustice. Une double injustice commise contre celles qui sont appelées et aussi contre tous les membres de l’Église. Pour paraphraser Saint Paul, l’Église, pour bien voir et pour bien comprendre, a besoin de ses deux yeux, le féminin autant que le masculin.

    • Pauline Jacob dit :

      Merci Michel pour ton commentaire. J’apprécie ton support constant lorsqu’il est question de l’accessibilité à l’égalité des homme et des femmes dans l’Église et dans la société.

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