Le point de vue du Pape sur les femmes dans l’Église a semé la frustration, la colère et les larmes

Le rite et sa justification : le rêve de François pour les femmes dans le dernier document papal ressemble davantage à une vision cauchemardesque.

La réaffirmation par le pape François de l’exclusion des femmes de l’ordination (les ordres sacrés) dans sa récente exhortation LAmazonie bien-aimée (Querida Amazonia) m’a rappelé un commentaire entendu lorsque j’étais encore adolescente. « Les seuls ordres que tu recevras seront des ordres te disant quoi faire », avait déclaré un jeune camarade de classe à qui j’avais confié mon sentiment naissant de vocation à la prêtrise. C’était il y a 45 ans.

Dans L‘Amazonie bien-aimée, le pape François fait référence à ses nombreux rêves pour la région sous une forme belle, inspirante et poétique. Pourtant, en ce qui concerne le chapitre 4 de son rêve ecclésial, il y a un changement de style très net. On ne peut que supposer qu’un autre rédacteur soit à l’origine de ce chapitre, mais, quoi qu’il en soit, l’exhortation apostolique postsynodale est signé par François.

J’ai entendu plusieurs personnes parler de frustration, de colère, de désolation, de consternation et même de larmes face à la description des femmes et de leurs rôles dans l’Église contenue dans ce dernier document papal; plusieurs affirmant que leur route s’arrêtait là.

Pour de nombreuses femmes – et d’hommes qui les soutiennent – ce rêve spécial du Pape ressemble davantage à une vision cauchemardesque.

La théologienne Tina Beattie considère que les vues de François s’appuient sur une « idée figée du féminin ». Une vision figée du féminin qui écarte des femmes comme moi.

François parle souvent d’ouvrir des portes et de dialoguer, mais cela ne s’applique pas à l’ordination des femmes : la porte que saint Jean-Paul II a claquée violemment et abusivement sur nos visages en 1994 doit être maintenue fermement fermée.

Nous refuser toute forme de reconnaissance

En ce qui concerne le dialogue et le discernement, où et quand les femmes catholiques romaines se sentant appelées à la prêtrise ont-elles été écoutées par François ou ses prédécesseurs?

Au cours des dernières décennies, l’attitude officielle a été de nous éviter, de nous refuser toute forme de reconnaissance, de nous rendre invisibles et sans voix dans les forums officiels de l’Église.

Notre sentiment d’être appelées est traité a priori comme une illusion égoïste, une soif de pouvoir condamnable, une incapacité à accepter notre féminité, le produit d’une mentalité cléricale, une menace diabolique pour l’Église.

Nous sommes des femmes dangereuses à garder à l’écart. Aucune étreinte chaleureuse pour nous de la part de notre Mère l’Église, une Église dirigée par des hommes.

Je ne faisais pas partie des femmes qui ont versé des larmes en lisant les dernières paroles du Pape sur ce que les femmes peuvent et ne peuvent pas être, peuvent et ne peuvent pas faire. Toutes mes larmes, pourtant abondantes et pleines de désespoir, ont été versées il y a longtemps.

Ces paroles n’avaient plus aucun pouvoir sur moi, elles n’avaient plus le pouvoir de me blesser. Pour dire les choses franchement, je ne me reconnais pas dans la vision que le Pape a des femmes et ce, depuis très longtemps.

L’adolescente avec une vocation de prêtre est devenue une grand-mère qui a trouvé à maintes reprises que les déclarations et les diktats papaux sur les femmes étaient ridiculement inexacts, sévèrement limitatifs, lamentablement enveloppés dans des éloges fantaisistes du génie féminin, « la codologie déguisée en théologie » (Mary McAleese).

Pour moi, ces paroles ont perdu toute leur autorité. On a constaté qu’elles étaient fausses, qu’elles ne donnaient pas la vie et qu’elles n’étaient pas libératrices. Je respecte le pape François et je le trouve inspirant à bien des égards, mais ceci ne s’étend pas à son point de vue sur les femmes.

Les mains de Dieu

Ma vie, vécue à la lumière de la foi, m’a conduite à la même conclusion que celle à laquelle était parvenue sainte Thérèse d’Avila, docteure de l’Église, il y a quelques siècles : en ce qui concerne les femmes, les hommes d’Église essaient toujours de lier les mains de Dieu. Et ils échouent toujours… Car Dieu ouvre aux femmes des portes qu’aucun homme, même un pape, ne peut fermer.

En réponse au rêve ecclésial du pape François, je fais aussi un rêve. Qu’un jour prochain les femmes ne soient plus l’« autre » ecclésial et que les mains, les pieds, les visages et les lèvres des femmes, en fait leurs corps sexués tout entiers, soient reconnus comme étant aussi semblables au Christ que les hommes le sont et qu’elles soient reconnues comme de véritables représentations sacramentelles du Christ.

Nous ne sommes pas moins le corps du Christ et, en vérité, nous pouvons et devons dire : « Ceci est mon corps. »

François nous exhorte à ne pas couper les ailes de l’Esprit saint. La levée de l’interdiction de l’ordination des femmes serait un bon début.

Dublin, le 3 mars 2020
Traduction réalisée par Pauline Jacob
Texte d’abord paru en anglais dans le Irish Time. Il est traduit et reproduit avec l’autorisation de l’auteure.

Soline Humbert

A propos Soline Humbert

Détentrice d'une maîtrise en théologie oecuménique, Soline Humbert est accompagnatrice spirituelle, auteure de nombreux articles et militante pour l'ordination des femmes. Elle est membre du groupe catholique irlandais We Are Church Ireland et chercheure pour le Wijngaards Institute for Catholic Research. Ses recherches portent sur le genre, la sexualité et la réforme de l'Église. Elle a été porte-parole pour le congrès « WOW 2001 » du Women's Ordination Worldwide [WOW] à Dublin.
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7 réponses à Le point de vue du Pape sur les femmes dans l’Église a semé la frustration, la colère et les larmes

  1. Rita Gagné dit :

    Comment comprendre cette fixation? Depuis longtemps, je n’y arrive pas…

  2. À votre réflexion, j’aimerais présentée cette citation biblique, lieu où Jésus s’identifie à la maternité féminine par cet art d’accoucher dans ce passage de la souffrance à la joie (maïeutique). Je suis touchée par cette strophe identitaire, oubliée dans la réflexion sur la question de l’égalité ministérielle, femme-homme. En Jean 16, 20-21, JESUS dit ce qui suit, l’heure venue: “Vous serez tristes mais votre tristesse se changera en joie. LA FEMME sur le point d’accoucher s’attriste parce que son heure est venue, mais lorsqu’elle a donné jour à l’enfant, elle ne se souvient plus de ses douleurs”. On y découvre alors l’identité féminine offerte à ses disciples comme soutien à sa passion.
    Merci et solidarité!

    • Claudette Cousineau dit :

      Désolée, je ne vois pas le lien entre l’accession à la prêtrise et l’accouchement.

      • Vous remarquerez qu’en Jean,16, 20-21, c’est Jésus lui-même qui identifie sa passion à la maïeutique, l’art d’accoucher. “ “En vérité, en vérité, je vous le dis, vous gémirez et vous vous lamenterez et le monde se réjouira. La FEMME sur le point d’accoucher s’attriste, parce que son heure est venue; mais lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant, elle ne se souvient plus de ses douleurs, elle est tout à la joie d’avoir mis un être humain au monde. C’est ainsi que vous êtes maintenant[…]; mais je vous verrai à nouveau, votre cœur se réjouira et cette joie nul n’est vous la ravira.” Et Jésus leur révélait que son Père leur accorderait toutes demandes faites en SON NOM (Jean 23-24). Et, lors de sa passion, c’est à sa mère qu’il attribuait cette qualité de disciple (Jean 19, 26-27). MARIE, première disciple. Saint Augustin, SS Jean-Paul II. Redemptoris Mater,

  3. Christophe dit :

    Savez vous qu’ils existent plusieurs confessions chrétiennes qui admettent les femmes dans les ministères depuis longtemps ? Sur le plan théologique, elles offrent au moins la même liberté de penser et ne sont pas très différentes. Par exemple, l’Eglise Protestante Unie peut très facilement vous accueillir, comme elle m’a accueilli moi doublement rejeté par l’Eglise Catholique Romaine. Avec le sacerdoce universel tout le monde peut être amené à donner les sacrements dans la joie et le respect de l’autre. Cette église refuse de se mettre en avant ou n’ose pas, et fait très peu de prosélytisme (c’est contre sa nature), mais rien n’empêche d’oeuvrer à l’oecuménisme. Et je n’aurais peut être pas quitté l’Eglise Catholique si les femmes y étaient respectées.
    Par ailleurs, je vous invite à relire Gn 3… Très clairement l’égalité homme-femme est le premier pas pour instaurer le Royaume sur terre. La domination masculine est le résultat de notre chute mais que l’on doit autant sinon plus à la passivité d’Adam.
    Fraternellement

    • Jean-Pierre dit :

      Rions un peu! Autrement dit, si on suit ce raisonnement, Dieu devrait recréer le Paradis et inviter l’Église catholique romaine à revivre la Genèse du monde en mangeant le fruit qui donne la connaissance du bien et du mal pour pouvoir se débarrasser du « pépin » qu’elle a toujours dans la gorge!

  4. Nous portons l’espérance d’une possible ouverture. Je crois en l’unité’visible’ des églises chrétiennes dans les ministères.

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