40 ans de ténacité des femmes : continuer la route pour lui donner tout son sens

Introduction

On nous a rappelé, à quelques reprises aujourd’hui, la réalisation, en octobre 2006, du colloque L’accès des femmes aux ministères ordonnés dans l’Église catholique : une question réglée? qui avait été organisé par le Centre justice et foi en collaboration avec L’autre Parole, le Centre St-Pierre ainsi que Femmes et Ministères. Cet événement faisait suite à une table ronde, publiée dans Relations en septembre 2006. Il me semble important de rappeler que ces prises de parole se réalisaient après plusieurs années de silence de la part de nos organisations sur cette question. Nous avions peut-être, malgré nous, intériorisé-e-s au fil des ans l’interdiction de poursuivre le débat qui avait été imposée par Jean-Paul II en 1994.

Depuis 2006, de différentes façons, nous avons repris la parole. Et le dynamisme que nous constatons aujourd’hui à Femmes et Ministères est certainement aussi une des raisons de célébrer. Ce Réseau est très important pour la question des femmes en Église au Québec. Je tiens à remercier les femmes de  Femmes et Ministères pour cette journée, bien sûr, mais aussi pour le grand nombre de réflexions et de textes que vous nous proposer régulièrement par votre site Internet. Cela est extrêmement utile et aidant pour continuer la route.

Je voudrais aussi rappeler que l’un des éléments importants du Synode des évêques de 1971 a été le fait que ce fut le premier synode pour lequel les textes préparatoires ont été rendus publics et que des experts laïcs, hommes et femmes, y ont pris la parole. Des démarches ont aussi été faites pour la première fois dans les conférences épiscopales pour faire en sorte que les  textes soient étudiés, discutés et enrichis. La déclaration du cardinal Flahiff émane d’ailleurs de cette démarche réalisée sérieusement par les femmes canadiennes et québécoises ainsi que d’un réel débat qu’elles ont eu avec nos épiscopats. L’Église institution n’a malheureusement pas été très loin dans ce qu’aurait pu permettre une telle ouverture pour l’avenir de l’Église. Mais la possibilité de se prononcer, alors offerte pour les laïcs, est restée et, doit rester, une pratique fondamentale de cette Église de baptisé-e-s que nous voulons contribuer à faire advenir.   

Éléments de synthèse

En prenant connaissance de vos commentaires et suggestions sur les cartons, je constate d’abord un grand réalisme de la part de vous toutes et tous. Il n’y a pas d’embellie à l’horizon et nous en aurons probablement encore pour un bon moment à devoir vivre, dans cette Église, avec des voies étroites et insatisfaisantes pour les femmes, voies à partir desquelles le regard ne peut pas se projeter aussi loin que nous aspirions à le faire. Il n’y a que la plongée au plus profond de soi et la solidarité avec d’autres qui peuvent donner la volonté et la liberté nécessaires pour ouvrir un avenir.

Plusieurs d’entre vous ont repris la belle expression « espérance têtue » d’Yvonne Bergeron. Un qualificatif de notre espérance qui affirme clairement ce qui vous anime, mais qui dit la détermination qui doit être la nôtre pour continuer. Pour ce faire, il faut donc trouver de la nourriture à notre espérance. Cela n’est possible, vous l’avez affirmé et j’y crois profondément, qu’en fondant encore et toujours notre action sur l’essentiel de notre foi : la résonnance de l’Évangile dans nos vies.

Vos commentaires et suggestions montrent aussi une tension qui persiste. Devons-nous continuer à investir au sein des structures ecclésiales ou devons-nous faire des pas de côté, explorer de nouvelles pistes, poser des gestes de transgression? J’aurais envie de vous inviter à aller là où le cœur vous appelle et là où vous vous sentez capables d’investir sans vous détruire, sans vous éteindre. Je continue à croire que les deux façons de porter la question, à l’intérieur ou à l’extérieur, sont importantes et qu’elles ont besoin l’une de l’autre. Il y a aussi dans les questions exprimées sur les cartons l’importance d’une intelligence de la foi. Où que nous œuvrions, nous devons accepter de soulever et d’affronter des questions difficiles, des remises en questions, des doutes qui sont des étapes nécessaires et saines de toute démarche croyante.

Nous devons tenter de mettre en œuvre un autre modèle de rapport femme-homme, d’église à petite échelle dans nos milieux.Ce n’est certainement pas suffisant pour changer les dynamiques de pouvoir dans l’Église. Mais c’est essentiel pour que nous ayons le courage de continuer à mener les luttes nécessaires par rapport aux structures de pouvoir et aux structures patriarcales. Pour moi, le Centre justice et foi est cette expérience qui tient à flot mon espérance malgré ses imperfections, les limites que je rencontre ou que mes collègues peuvent rencontrer.

Nous devons aussi je crois déplacer le point central de notre engagement. Nous devons nous resituer continuellement dans une mission qui est d’abord et avant tout celle de Dieu-e et non celle de l’Église. Dans un récent texte pour Femmes et ministères, je mentionnais avoir été touchée et dynamisée par les propos du Père général de la Compagnie de Jésus au Québec cet été. Dans sa conférence Adolfo Nicolàs a rappelé que la mission à laquelle nous participions toutes et tous est celle de Dieu et qu’il n’y avait pas de limites que nous pouvions imposer à l’Esprit. Il souffle où il veut et il faut discerner qui sont les meilleures personnes pour répondre à la mission dans laquelle nous nous engageons et pour occuper les fonctions dont le monde et l’Église ont besoin.

Adolfo Nicolàs insistait aussi sur le fait que cette compréhension de la mission appelle à un détachement et implique un partage des responsabilités bien sûr, mais surtout du pouvoir et du contrôle de la mission. Nous ne devons jamais cesser de questionner la détention du pouvoir et les structures qui sont oppressantes, qui nous empêchent de faire éclater la vie en abondance, qui nous empêchent d’être pleinement dans la mission. Nous devons réaliser une vigilance constante pour que les structures de pouvoir, qui sont encore très patriarcales dans l’Église catholique, n’affaiblissent pas cette volonté de faire justice et de travailler dans une pleine égalité.

Nous devons mettre toutes nos quêtes, nos questionnements, nos pratiques de foi et d’Église à l’épreuve du test de la justice.C’est probablement aussi une des faiblesses importantes du Synode de 1971. Paul VI avait d’abord convoqué un synode sur le sacerdoce ministériel. Il a décidé plus tard d’y ajouter le thème de la justice dans le monde pour souligner les 80 ans de Rerum Novarum. Mais les évêques n’ont pas su appliquer une réflexion sérieuse de justice à l’enjeu du sacerdoce. C’est ce qu’ont essayé de faire les femmes d’ici dans leurs mémoires à la CECC et c’est ce qu’on peut lire à travers la déclaration du cardinal Flahiff. Mais cela n’a pas été retenu par le Synode.

Plusieurs de vos interventions écrites rappellent aussi que l’essentiel est « de miser sur la mission » et que cette mission est au cœur du monde. Nous devons être attentifs au fait que « le peuple a faim » et c’est ce qui doit nous interpeller, déterminer nos priorités et guider notre façon de faire Église. Nous ne devons pas être tournés vers nous-mêmes mais vers les besoins immenses du monde.

C’est toujours aujourd’hui « dans une perspective masculine et par une Église cléricale » que l’on définit le statut et le rôle des femmes. Nous ne devons pas attendre qu’on nous autorise ou qu’on nous demande notre avis. Nous devons affirmer la perspective qui émane de l’expérience des femmes. Nous devons dire à partir de nos mots, de nos réalités ce qui concerne les femmes et le monde.

Certaines personnes ont soulevé l’enjeu de la transmission, de la relève pour porter cet engagement, ces questions, cette parole. Nous avons peut-être, en nous regardant, le sentiment que la relève n’est pas au rendez-vous. Mais je crois qu’il faut accepter que pour les plus jeunes croyantes et croyants qui partagent nos convictions religieuses et sociales, les défis qui sont les leurs sont autres. C’est la pertinence même du christianisme dans notre société qui est leur questionnement quotidien. Je me rassure en me disant que nous sommes encore nombreuses à avoir de l’énergie pour poursuivre la route. Je n’ai rien à envier de la créativité, du dynamisme et de l’énergie d’une Annine Parent. Je crois qu’il fat poursuivre la vigilance et que les plus jeunes sauront nous rejoindre ponctuellement et elles-ils prendront le relais à leur façon plus tard sur la route.

Conclusion

Finalement il faut certainement faire mémoire, et vous l’avez aussi rappelé dans vos suggestions, de la longue histoire de l’Église qui montre bien que dans chaque traversée du désert – dans les moments où l’Église s’est affadie en s’éloignant de l’utopie et de l’audace de l’Évangile – il y a eu des femmes et des hommes de foi qui se sont laissés transformer profondément par ce Dieu-e qui est Parole et Vie. Ils et elles ont donné naissance à des courants spirituels neufs, à des formes nouvelles de communautés, à des engagements qui ont touché le cœur des femmes et des hommes de leur époque et les ont mobilisés. Ces expériences signifiantes et nécessaires pour le monde et l’Église d’aujourd’hui sont en gestation. Peut-être en découvrirons-nous toute l’importance un peu plus tard, comme nous en faisons l’expérience si souvent dans toute démarche de révision de vie. Un printemps de la foi est probablement en gestation et se lèvera peut-être comme le printemps arabe, le mouvement des indignés et les initiatives « Occupons Wall Street, Montréal, etc. », qui forcent notre admiration. Il faut garder l’Espérance!

Élisabeth Garant, directrice du Centre justice et foi et de la revue Relations.
Le 29 octobre 2011 

Synthèse des réactions des participantes et des participants lors de la rencontre tenue à Québec et organisée pas Femmes et Ministères pour souligner 40 ans de ténacité des femmes en Église à l’occasion du 40e anniversaire de la déclaration du cardinal George B. Flahiff en faveur de l’ouverture des ministères ordonnés aux femmes lors du synode de Rome en 1971.

Élisabeth Garant
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A propos Élisabeth Garant

Directrice générale du Centre justice et foi et de la revue Relations, Élisabeth Garant a été récipiendaire du prix des Journées sociales 2011 en reconnaissance de son engagement pour la justice dans la société et dans l’Église. Elle a été missionnaire laïque au Japon et coopérante en Haïti. Elle détient une maîtrise en service social de l’Université de Montréal.
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