Des femmes et des enfants à la dernière Cène

Que de fois n’avons-nous pas entendu des commentaires concernant les illustrations du dernier repas de Jésus, représentations abondantes dans notre très catholique société québécoise du siècle dernier : « Où sont les femmes? »; « Il y avait sûrement des femmes pour ce repas »; « Pensez que des hommes juifs de cette époque auraient préparé un repas? ». Qu’avons-nous retenu des illustrations qu’on nous a alors présentées? Qu’est-ce que notre mémoire en a absorbé avec les conséquences qui en découlent et ce, dans une Église qui en véhicule la représentation comme vérité? C’est ce à quoi tente de répondre la moniale bénédictine Joan Chittister dans un de ses textes (1999) « Un image vaut mille mots » y rappelle-t-elle.

La célèbre Cène de Léonardo da Vinci, peinte près de 1500 ans après l’Événement, a produit un réel impact sur la plupart d’entre nous. Nous en avons retenu la présence de Jésus et de douze hommes même si des femmes et des enfants s’y retrouvaient sûrement. Car il s’agissait probablement d’un Seder juif traditionnel, un événement de nature familiale rassemblant des hommes, des femmes et des enfants.

Chittister évoque la réaction d’une fillette de quatre ans devant une telle reproduction. « Où sont toutes les mères et les enfants? », demande cette petite avec toute la candeur et la naïveté d’une enfant de cet âge. Elle perçoit déjà l’incohérence de cette représentation. Comme bien souvent dans l’Église institutionnelle, les femmes y demeurent invisibles.

Le groupe irlandais BASIC (Brothers And Sisters In Christ), fusionné depuis 2012 avec We Are Church Ireland [WAC Ireland], a voulu contrer cette représentation inadéquate du dernier repas de Jésus. Il a alors chargé l’artiste polonais Bohdan Piasecki de peindre cet Événement comme un repas juif de la Pâque y incluant la présence de femmes et d’enfants. L’œuvre a été réalisée en 1998.

Dans la présentation de cette œuvre originale, WAC Ireland rappelle l’anachronisme de la peinture de Da Vinci : l’artiste y représente treize hommes italiens de la Renaissance en costume oriental dans un palais florentin assis sur des banquettes autour de tables, mangeant un repas de poisson et de pain ordinaire et ce, sans la présence de femmes et d’enfants.

Nous sommes loin d’une célébration juive de la Pâque en Palestine au temps de Jésus. Nous y retrouverions plutôt Jésus et ses disciples allongés autour d’une table basse et mangeant un repas composé de pain sans levain, d’agneau rôti et d’herbes amères. Et il y aurait des femmes et des enfants puisque le Seder est un repas familial qui exige, selon les lois entourant ce repas, que des enfants posent des questions à leurs parents sur le sens du repas de la Pâque.

Cette image a marqué notre imaginaire beaucoup plus que nous ne nous ne le réalisons. Elle nous a en quelque sorte aveuglés sur les conséquences à tirer de ce dernier repas de Jésus, comme le rappelle Chittister.

Merci au au groupe We are church Ireland pour cette illustration qui vient nourrir notre imaginaire dans l’actualisation de cet Événement.

Pauline Jacob,
Asbestos, le 9 avril 2019

Sources :

Chittister, Joan (1999, 2 avril). A picture to redraw the world’s canvas [Une image pour redessiner la toile du monde]. National Catholic Reporter, [en ligne]. [http://www.natcath.org/NCR_Online/archives2/1999b/040299/040299a.htm] (6 avril 2019)

Piasecki, Bohdan (1999). The Last Supper. We are church Ireland, [en ligne]. [http://wearechurchireland.ie/last-supper/] (9 avil 1999)

N.B. « Last Supper »  est reproduit avec les autorisations requises.
Vous pouvez vous procurer la reproduction de « Last Supper »  sur le site de We Are Church Ireland

Jacob Pauline
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A propos Jacob Pauline

Responsable du site du réseau Femmes et Ministères de 2007 à 2024, Pauline Jacob, théologienne féministe, poursuit depuis plus de 25 ans des recherches sur l'ordination des femmes dans l’Église catholique. Elle détient un Ph. D. en théologie pratique et une maîtrise en psychoéducation de l’Université de Montréal. Autrice d'« Appelées aux ministères ordonnés » (Novalis, 2007) et coautrice de « L’ordination des femmes » (Médiaspaul, 2011), elle a à son actif plusieurs articles.
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2 réponses à Des femmes et des enfants à la dernière Cène

  1. Marcel Francoeur dit :

    Comme, selon toute probabilité, Jésus n’a pas pu célébrer la Pâque d’avril 30, il s’agissait d’un dernier repas dans la tradition des maîtres qui célébraient leur départ au milieu de leurs disciples les plus fidèles. Ceux et celles qui célébrèrent leur «adieu» à Jésus étaient très probablement les mêmes «120 frères et soeurs» d’Actes 1,15. C’est À ELLES ET EUX TOUS que Jésus a laissé l’eucharistie (ce que nous appelons « Église ») et non à 12 célibataires « prêtres » (dont je suis…).

  2. Père Félix Coulibaly dit :

    Si les femmes étaient présentes à la Cène, alors le « FAITES CELA EN MÉMOIRE DE MOI  » s’adresse aussi non pas seulement en tant que RÉCIPIENDAIRES DE L’ACTE MÉMORIEL MAIS AUSSI EN TANT QUE ACTRICES DE L’ACTE MÉMORIEL.

    IL EST DONC ENVISAGEABLE DE DIRE OUI À L’ORDINATION DES FEMMES.

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