Les relations femmes et hommes dans l’Église – « N’éteignez pas l’esprit »

Il y a cette question qui nous tenaille…

Depuis les cinquante dernières années, le débat sur l’égalité des relations hommes-femmes dans l’Église s’est singulièrement agité, les efforts de changement se sont multipliés, les recherches n’ont cessé d’approfondir la réflexion sous des angles différents. Par ailleurs, de nombreuses femmes « se disent » appelées au ministère ordonné, mais, jusqu’à ce jour, on leur refuse même le discernement vocationnel accordé aux hommes. Or l’accessibilité à toutes les fonctions constitue une facette de cette égalité. Si la volonté de progresser demeure présente et que des pas sont faits dans la bonne direction, le blocage systémique reste entier. L’enjeu est de taille pour l’Institution ecclésiale car il s’agit d’un test d’humanisation et de cohérence évangélique. Comment peut-elle avancer que le sexisme est un mal dans notre monde alors que dans sa propre organisation elle le confirme? Et quand elle affirme en même temps que c’est l’Esprit qui appelle et qu’il n’appelle que des hommes, alors émerge une question incontournable : De quel Esprit s’agit-il? 

Il y a aussi une « mémoire » toujours vivante…

Rappelons brièvement l’« esprit de Yahvé qui se mouvait au-dessus des eaux » (Gn 1, 2) et qui guidera le peuple d’Israël tout au long de son histoire. Ce Souffle saint (rûah yâhweh féminine en hébreu et pneuma en grec) dont les images (vent, air, eau, feu) cherchent à traduire la gratuité, l’action multiforme et l’être de mouvement impossible à enfermer dans des définitions. Et si l’Église, en son fondement, vient du Nazaréen, elle est aussi née de l’expérience de l’accueil de son Esprit (Ac 2). La puissance de libération présente en Jésus continue de dynamiser les disciples. Transformés par l’expérience de la Pentecôte, ils se rassemblent pour prier, faire mémoire de lui et apprendre à vivre selon sa logique. N’est-ce pas en effet au cœur de sa pratique de libération que Jésus témoigne d’une relation singulière avec son Dieu qu’il appelle Abba (papa) et qu’il confesse agir sous l‘impulsion de son Esprit (Lc 4, 18-21)? Accompagnées par cette rûah (Ac 1, 8), les premières communautés chrétiennes s’organisent. Elles donnent une forme historique à leur expérience bouleversante du Souffle qui convertit les relations avec Dieu (vivre en fils et en fille dans la tendresse du Père proclamée en Rm 8, 15-17), avec les autres (dans la communion attestée en 1 Co 12, 4-31) et avec le monde (par une espérance active vers l’accomplissement évoqué en Rm 8, 22-24). Car la création est toujours en action. Encore convoqués par l’Esprit pour une même mission d’humanisation, nous demeurons aujourd’hui dans ce mouvement à la suite du Nazaréen, conscientes et conscients qu’à nous aussi s’adresse l’invitation de Paul : « N’éteignez pas l’Esprit » (1 Th 5, 19).

Il y a encore des signes particulièrement éloquents…

  • Reconnaissons ici ce dynamisme imprévisible au cœur de nos vies. Cela renvoie à ce que nous sommes au quotidien : ce qui nous anime, nous déstabilise, nous fait rebondir, nous entraîne ailleurs et nous apparaît comme une source d’approfondissement et de renouvellement. En ces lieux particulièrement, l’Esprit de l’incarnation nous rejoint comme énergie vitale invitant à d’autres compréhensions et expressions du vécu. À cet inouï qui peut encore advenir… À ce chapitre d’ailleurs, certaines pratiques de femmes sont surprenantes par leur qualité, leur créativité et leur originalité allant parfois jusqu’à la dissidence. Elles révèlent de multiples charismes, des forces remarquables et d’audacieuses initiatives prophétiques. Concernant les relations hommes-femmes, c’est dans ce même mouvement qu’elles cherchent à discerner pour elles et leur communauté ce qui peut être ferment d’égalité ou signe de « conversion ». Cela les rend attentives aux changements qui se produisent dans l’Église et surtout à ceux qui ne partent pas de l’expérience des femmes. Capables d’y reconnaître l’Esprit, elles peuvent aussi débusquer les entraves à leur dignité et la persistance d’une discrimination comme, par exemple, le fait que soit refusé aux femmes le discernement vocationnel accordé aux hommes. Ce faisant, en effet, l’Institution ecclésiale ne passe-t-elle pas à côté des orientations dynamiques du Souffle au profit de l’interprétation de légistes autorisés? N’ignorons pas l’Esprit!

  • Signalons également cette liberté radicalement souveraine. En cherchant à accueillir « l’étonnant » dans nos vies et notre monde, nous identifions une capacité libératrice inqualifiable. Tellement salutaire et si précieuse : « Alors tenez bon et n’allez pas vous remettre sous le joug de l’esclavage » (Ga 5, 1). De vérité et d’audace, une telle liberté n’autorise aucunement l’Église à définir elle-même ce que sont les femmes. C’est dans leur propre histoire, avec leur communauté et leur Dieu/e que celles-ci découvrent combien leur existence est toujours entraînée vers de nouveaux horizons. Soufflant où il veut (Jn 3, 8), l’Esprit du Ressuscité déjoue toute prévision humaine et ne supporte aucune contrainte, y compris celle de l’Institution. Il peut frayer librement avec les femmes aussi. Mémoire subversive de Jésus-Christ, il rend effectives sa parole, sa personne, sa vie entière dont sa pratique foncièrement libératrice concernant leurs conditions sociales et religieuses. En regard de l’égalité hommes-femmes, comment ne pas souligner ici cet axe fondamental de la pensée paulinienne : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni l’homme ni la femme; car vous n’êtes qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28). Énoncé de principe clair, audacieux et incisif : cette participation à la vie du Ressuscité est la racine d’une libération capable d’affranchir de toute forme de domination et d’aliénation humaine, y compris celle de l’exclusion des femmes. N’arrêtons pas cette poussée libératrice!

Il y a surtout l’urgence des gestes à poser…

  • Un incontournable : libérer l’argumentaire théologique. Nous voilà au cœur du blocage institutionnel. Pour tenter de concilier l’exigence évangélique d’égalité et les structures antiféministes, des hommes d’Église ont avancé des justifications et soutenu des déclarations dont il faut questionner les assises théologiques. Avec le temps l’étau s’est resserré car, depuis 1994, le débat concernant l’exclusion des femmes du ministère ordonné doit être « définitivement clos »1. La question est verrouillée. Mais la vérité ne s’impose pas à coup d’argument d’autorité. L’Institution doit donc cesser de référer à la volonté de Dieu pour en faire la garante de ses structures inadéquates. Elle doit cesser de faire de l’Esprit du Vivant le fondement d’une stabilité figée et le protecteur de son ordre patriarcal qui confine les croyantes à des rôles obligés. Or le point de départ pour dénouer cette impasse n’est-il pas le fait que les ministères soient des dons de l’Esprit (1 Co 12, 4-11) au service de toute la communauté et avec son assentiment? C’est donc sur le ministère dans toute son ampleur (sa raison d’être, sa conception, ses modalités…) qu’il faut revenir pour se libérer de l’exclusion, des inégalités et des pouvoirs aliénants. Quand le Vatican prendra-t-il en compte le sensus fidei et reconnaîtra-t-il la valeur théologique de toutes ces recherches porteuses d’affranchissement pour la pratique et le discours? Ne bâillonnons pas le Souffle!

  • Un travail au quotidien : la transformation radicale du vivre ensemble. Une transformation structurelle qui concerne toute l’Église et chaque communauté croyante. Pour y arriver il ne suffit pas de rappeler avec insistance que ni l’organisation, ni l’ensemble doctrinal, ni les traditions, ni les lois ne sont des absolus. Dans l’Église, concernant la condition des femmes, s’impose de toute urgence une volonté théologique et politique de changement assortie d’un courage d’agir. Ce qui veut dire en clair faire tomber les barrières juridiques qu’elle-même a érigées en inscrivant l’infériorité des femmes dans le Code de droit canonique (canon 1024). Cela limite dans ses conséquences le langage universel de Ga 3, 28 et piège essentiellement les relations hommes-femmes. Cela touche aussi le pouvoir très lié au ministère ordonné dans son exercice et sa conception. Or en matière d’égalité, il n’existe pas de demi-mesure. En principe comme dans les faits2. Mais bien sûr le changement des lois ne suffit pas : c’est tout l’univers du vivre ensemble qui est finalement en cause : comportements, culture, valeurs, parité des rapports… Et sur ce plan combien il importe, dans les communautés, soit d’enclencher un processus de transformation, soit de maintenir ou de renforcer celui qui existe déjà. Ne piégeons pas l’Esprit!

Et finalement il y a toujours l’espérance… Enjeu majeur, l’égalité femmes et hommes demeure une réalité primordiale dans laquelle est engagé l’équilibre de toutes les sociétés. Et comme la création, l’humanisation est toujours en cours d’accomplissement où le Souffle continue de s’activer. Or l’espérance n’est-elle pas une manière de vivre en fidélité à cette énergie vitale qui incite à quitter des voies familières pour des chemins inédits? En ce temps de Pentecôte, que le feu de l’Esprit explose en flammes de vie dans nos communautés! Que l’Église accueille de façon neuve ce Souffle libérateur! Solidaire en humanité, qu’elle rende concrètement possible l’égalité maintenant! Que l’audace de la rûah envahisse l’Institution!

Yvonne Bergeron, CND
Sherbrooke, mai 2018 

NOTES

1 Jean-Paul II, L’ordination exclusivement réservée aux hommes, par. 4.

2 Égalité est entendue ici au sens où l’organisation ecclésiale offre les mêmes possibilités aux femmes et aux hommes.

Yvonne Bergeron

A propos Yvonne Bergeron

Détentrice d'un Ph. D. (théologie), Yvonne Bergeron, c.n.d., est engagée dans différentes causes sociales. Jadis professeure à la faculté de théologie et d'études religieuses de l'Université de Sherbrooke, puis coordonnatrice du Service de la pastorale sociale du diocèse de Sherbrooke, cette ancienne membre du réseau Femmes et Ministères sait allier rigueur intellectuelle et action. Elle est l'auteure de « Partenaires en Église, Femmes et hommes à part égale » (Paulines, 1991) et de nombreux articles.
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5 réponses à Les relations femmes et hommes dans l’Église – « N’éteignez pas l’esprit »

  1. Royal Saint-Arnaud dit :

    Quel propos plein de lucidité et d’une cohérence solide. Comment comprendre que ces messieurs instruits du Vatican sont incapables d’analyser honnêtement ce sujet? Il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre.

  2. Lise Baroni dit :

    Je reconnais bien ici la force de pensée, la solide compétence, la lucidité du regard et l’impressionnante liberté de mon amie Yvonne. L’intensité de son espérance me touche toujours beaucoup malgré les milles et un recommencements à encore et encore réaliser… Merci à toi Yvonne et à toutes les femmes qui chaque jour donnent des mains et un corps (individuel et collectif) à cette espérance.

  3. François Paré dit :

    Chère Yvonne, avant d’aller me recueillir auprès de notre amie Marie, permets-moi de citer un peu longuement Lucetta Scaraffia qui est bien proche de l’oreille de François:
    «Il ne s’agit donc pas seulement d’obtenir des reconnaissances sacro-saintes, ni d’accéder à des positions sociales influentes, tout à fait méritées, mais d’aller au cœur même de la théologie chrétienne. Et les femmes l’ont fait, même si on fait comme si de rien n’était et que leur contribution est considérée comme un ajout, un surplus – comme le sont souvent leurs cours d’exégèse ou de théologie dans les universités pontificales – qui ne change rien au noyau fondamental de la tradition. On continue donc à ne pas voir la révolution qui est en marche. Le silence, l’indifférence, la cécité sont les armes les plus fortes que la culture catholique officielle utilise contre la production culturelle féminine.» in Du dernier rang, Les femmes et l’Église, 2016, p 59
    Heureusement qu’il y a les audaces de « l’hôpital de campagne » sur le terrain des communautés périphériques. Je t’embrasse

  4. Merci Madame Bergeron,

    La plus grande action que l’Église catholique romaine pourrait faire dès maintenant, semaine où les pasteurs chiliens ont remis leur demission au Vatican en masse:

    – Une Réforme de l’Église catholique romaine sous les trois (3) axes suivants:

    «Semences organisationnelles et théologiques pour la Réforme de l’Église catholique romaine»:

    I) La ré-insertion des ministères féminins comme au Ier millénaire chrétien;

    II) La ré-instauration du libre choix en matière d’abstinence; et

    III) La décentralisation du pouvoir ecclésiastique avec diminution de niveaux hiérarchiques pour un accès plus direct à Dieu.

    Graduée en théologie,
    Postulante au baccalauréat en théologie/sciences des religions/gérontologie
    Université Laval

    Je termine mon baccalauréat en théologie/sciences des religions/gérontologie présentement avant d’entreprendre ma maîtrise en ce sens. Je suis toujours à la recherche de groupes travaillant pour l’intégration des femmes au sein de la Grande Église chrétienne.

  5. Denise Lamarche, CND dit :

    Le 18 juin 2018,

    Chère Yvonne,

    Je me pardonne difficilement de n’avoir pas lu ton article plus tôt. Je compte aussi sur ton indulgence.

    Quel bon texte! J’admire la cohérence qui le caractérise. Je savoure le bon résumé que tu fais de chaque paragraphe: « N’éteignez pas l’Esprit. » ;
    « N’ignorons pas l’Esprit » ; « N’arrêtons pas cette pousse libératrice » ; « Ne bâillonnons pas le Souffle » ; « Ne piégeons pas l’Esprit » ; «Que l’audace de la rûach ensevelisse l’Institution ». Il me semble qu’il y a là matière à une très belle session et même à une retraite..

    Merci à toi, Yvonne et reviens-nous avec d’autres textes aussi enrichissants.

    Denise Lamarche, CND

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