Le principe de Pou : être signe d’amour

Dans son livre intitulé CONFESSION D’UN CARDINAL, l’auteur, Olivier Le Gendre, fait raconter une histoire peu banale à son cardinal : l’histoire de Pou. Pou est un homme malade atteint du sida et stigmatisé par son entourage évidemment. Le cardinal en question se rend à son chevet accompagné de l’auteur et les deux passent trois heures auprès du malade sans parler car le malade ne parle pas leur langue.

En sortant, le cardinal pose la question suivante à l’auteur : « Pourquoi pensez-vous que je vous ai amené auprès de cet homme en fin de vie? » L’auteur répond : « Vous vouliez me mettre en contact avec la misère humaine. » Le cardinal lui dit alors qu’il se trompait. Il voulait simplement montrer à Pou, lui le pauvre homme en phase terminale, que des occidentaux, des riches s’intéressaient à lui. Cette présence lui redonnait de la dignité, une dignité qu’il croyait perdue CAR C’EST CE QUE SA RELIGION LUI ENSEIGNAIT! Et Olivier Le Gendre définit ainsi le principe de Pou : il s’agit de la présence efficace de l’amour de Dieu relayé par les chrétiens auprès de ceux et de celles qui en ont besoin. Le principe de Pou, selon Olivier Le Gendre, s’oppose au principe de Constantin qui pense l’Église à travers des chiffres et par son organisation. POU EST L’IMAGE DE TOUS CES HUMAINS QUI ONT BESOIN DE RESSENTIR LA TENDRESSE DE DIEU.

Ce principe de Pou s’apparente aux thèses de la pastorale d’engendrement. On évangélise dans l’amour et non en faisant la morale, en donnant des leçons aux autres. Et aujourd’hui, en Église, nous vivons une problématique : la hiérarchie de l’Église est perçue comme froide, moralisante, distante alors que les communautés ecclésiales sont perçues comme chaleureuses et accueillantes. Et c’est la hiérarchie qui est contestée et qui donne une image déformée de la vie en Église. Dans les communautés, on accueille les blessés de la vie, les personnes ayant vécu un divorce ou une rupture, on accueille les personnes vivant des engagements amoureux plus particuliers alors que les discours officiels de l’Église se font régulièrement plus jugeurs, plus moralisateurs. On ne parle pas au peuple comme parle un professeur d’université voire un théologien, on lui parle au cœur come sait le faire un véritable pasteur. D’ailleurs, si on peut tirer une leçon de la dernière campagne électorale, ce serait la suivante : deux chefs nous parlaient comme des professeurs et des sermonneurs, un autre, plus jovial, a passé la rampe haut la main par la force de son sourire, de son discours, de son courage. En Église, on veut sauver la théologie, le dogme, l’organisation de la structure ecclésiale, mais on investit peu d’énergie dans l’approche pastorale. Les chefs de l’Église nous sermonnent sur la dictature du relativisme , mais le peuple n’écoute pas car le peuple n’aime pas les jugeurs et les casse-pieds, le peuple aime ceux qui les aiment et savent lui parler au cœur et faire appel à ce qu’il y a de noble en lui. On ne peut pas passer son temps à accuser ce peuple qui fait son possible pour vivre les défis de la vie actuelle.

Le principe de Pou me rejoint au plus haut point et me fait réfléchir comme pasteur au sein de l’Église. Comment notre Église peut- elle redevenir signe de l’amour et de la tendresse de Dieu et cesser son discours froid et accusateur. Comment notre Église saura-t-elle s’ouvrir à toutes les familles spirituelles qui la composent; quand mettra-t-elle autant d’énergies à conquérir les plus progressistes, les plus prophétiques et cela dans la tendresse et l’admiration, qu’elle en met pour faire une place à sa branche la plus intégriste et conservatrice? L’Église n’est pas la propriété de quelques personnes assoiffées de contrôle et de pouvoir, elle est signe pour toute l’humanité d’un Royaume dont elle est signe et témoin mais dont elle n’a les titres de propriété. Comment dans ce monde actuel, objet de la bienveillante englobance du Dieu de Jésus-Christ, être signe d’amour et de la tendresse de Dieu comme Église. Il appert que nous connaissons des solutions possibles pour réagir devant la baisse des effectifs pastoraux par exemple, mais on n’ose pas l’audace des premiers chrétiens que nous rencontrons dans la lecture des Actes des Apôtres. On passera à l’acte quand il sera trop tard. Et cela ne sera pas la première fois que cela se passera de cette façon au sein de notre Église. Nous en avons manqué des bateaux dans le passé et c’est dommage que nous soyons incapables d’en tirer des leçons. La crise actuelle est loin d’être terminée mais on veut la régler par des discours de mise au point, d’intimidation et de mise au silence des collèges épiscopaux par exemple. On dit que la question de l’ordination des femmes est réglée à jamais ainsi que celui de l’ordination d’hommes mariés. Est-ce que cette question a été réglée en concile œcuménique? Je ne le pense pas. On ne peut laisser à une seule personne le poids d’une telle décision.

En terminant, je pense que la véritable solution aux problèmes actuels de l’Église ne réside pas tant dans le remaniement des structures organisationnelles que dans l’approche pastorale des personnes, selon le principe de Pou. Je pense à l’approche de Mère Thérésa, à celle de Jean Vanier. Leur approche a consisté à démarrer leur action prophétique au ras du sol, en-dehors des sentiers balisés de la pastorale normative. Ces personnes sont devenues des signes de l’Amour et de la Tendresse de Dieu dans la simplicité des moyens mais en engendrant des personnes au sein du Royaume. Ces prophètes n’ont pas fait de discours pour nous mettre en garde de tout relativisme mais ils nous ont marqués par l’audace de leurs gestes et de leurs engagements au nom des valeurs de l’Évangile. Revenir aux fondements du christianisme c’est privilégier la personne à la structure, c’est engendrer dans la foi et non encadrer et contrôler au nom de la structure, c’est cesser de nier l’évidence actuelle de la situation de l’Église et se laisser interpeler par les prophètes d’aujourd’hui qui lancent des appels à la mission. Je rêve qu’un jour des pasteurs, des évêques se fassent proches et aimants, acceptent de passer trois heures ou trois jours pour redonner de la dignité aux personnes désespérées…comme ce cardinal et son compagnon auprès de Pou. Décidément l’histoire de Pou m’a chaviré le cœur et m’a appris une autre fois encore qu’on engendre dans la foi et dans le Royaume seulement si on engendre dans l’amour et dans la tendresse de Dieu.

Pierre-Gervais Majeau, ptre-curé, diocèse de Joliette

Lettre d’opinion publiée dans L’Action d’Autray  le 31 mai 2011
et reproduite avec la permission de l’auteur.

Les derniers articles par Pierre-Gervais Majeau (tout voir)
Ce contenu a été publié dans Les femmes en Église. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.