Les femmes à part entière dans l’Église

Dans le cadre des célébrations de son 150e anniversaire, en cette année 2017, le diocèse de Rimouski s’est donné un logo portant l’inscription suivante :

L’Église diocésaine de Rimouski :
Nourrie par ses racines – Audacieuse pour l’avenir

Or, parmi les événements destinés à célébrer le jubilé, il y a eu, à l’occasion de la Journée de la Femme, le 8 mars dernier, un colloque sous le thème : Visage féminin de notre Église. Colloque au cours duquel j’ai livré une communication intitulée : « Les femmes à part entières dans l’Église », dont je prolonge la réflexion dans cet article.

J’ai fait de chacune des branches de l’inscription du logo le plan de mon article, qui est donc à deux volets : 1) L’Église nourrie par ses racines et 2) Audacieuse pour l’avenir. Je les applique pour jeter un faisceau de lumière sur le thème, Visage féminin de l’Église, avec cette réserve cependant : je l’applique moins pour parler du visage féminin de l’Église actuelle que pour dire ce que ce visage devrait être réellement. En l’occurrence, un visage que l’on pourrait placer à côté de son visage masculin, sur un même plan, où ces deux visages ne se distingueraient que par leurs traits respectifs, propres à leur nature masculine d’une part, et féminine d’autre part; mais qui ne se distingueraient nullement quant à leur statut, leurs privilèges, leurs fonctions et leurs pouvoirs. Bref, des visages qui cohabiteraient dans une essentielle égalité à tous ces égards. Ce serait faisable et c’est que je tenterai de démontrer.

Pour atteindre cet objectif, je propose, dans un premier temps, de revenir à la racine de la foi chrétienne, c’est-à-dire, au cœur du mouvement initié par Jésus, lui-même, pour voir quelle place a été réservée à la femme dans ce mouvement, de même que dans les toutes premières communautés chrétiennes, dont on retrouve des témoignages dans les lettres de Paul et dans les Actes des Apôtre. Or, dans la foulée de ce qu’on y découvrira, je formulerai alors quelques propositions audacieuses pour l’avenir de la femme au sein de l’Église. Des propositions évidemment inscrites dans le sillage et dans la logique du mouvement de Jésus précisément.

1. UNE ÉGLISE NOURRIE PAR SES RACINES

On répertorie, dans le Nouveau Testament, un nombre étonnant de femmes actives, dans les Évangiles, dans les Actes des Apôtres, ainsi que dans les lettres de Paul. Je compte en présenter quelques-unes. Mais pour bien évaluer les rôles qu’on leur voit alors attribués dans l’entourage de Jésus, mais aussi dans la toute première communauté chrétienne, il convient, en préalable, de rappeler brièvement ce qu’était la condition sociale de la femme, en Palestine, à cette époque-là.

1.1 Condition de la femme au temps de Jésus

Précisons d’emblée que la femme était une mineure du berceau à la tombe. Que du berceau à la tombe, elle était effectivement toujours sous la tutelle d’un homme; de son père d’abord, de son mari ensuite, dont elle devient la propriété (elle faisait partie de ses biens) – et rappelons ici qu’elle était donnée en mariage dès qu’elle était nubile, c’est-à-dire physiquement apte à procréer, soit vers l’âge de douze ans –. En cas de veuvage, elle tombait sous la gouverne de son fils, dans la mesure où celui-ci était en âge d’assumer une telle responsabilité. On comprend donc la vie misérable d’une veuve sans un tel fils, alors qu’elle se retrouve sans aucun soutien matériel.

La femme de la ville ne peut traverser le seuil de la porte sans être voilée et elle n’a pas le droit d’adresser la parole à un homme en public. Celle de la campagne, par contre, peut sortir sans être voilée; ce, en raison des fonctions qui lui sont attribuées, dont : travailler au champ, s’occuper du bétail et même aller vendre les produits au marché.

L’épouse, quant à elle, n’a pour ainsi dire de reconnaissance que dans la maternité; car l’homme doit absolument avoir une descendance, un fils de préférence comme premier-né. D’où le drame de la femme stérile, car évidemment la stérilité lui est toujours imputée. La stérilité est donc, pour elle, objet d’humiliation et de grande souffrance.

Notons également que le mari peut toujours répudier son épouse, les motifs de répudiation étant quasi illimités. Enfin, advenant que la femme perçoive des revenus, elle ne peut en disposer. Elle ne peut, non plus, témoigner en cour; sa parole est sans valeur.

1.2 Les femmes dans l’entourage de Jésus

Dans un tel contexte d’exclusion sociale des femmes, il est tout à fait étonnant d’en retrouver autant dans l’entourage de Jésus. Mais ce qui étonne encore davantage, c’est le genre de relation qu’il a entretenu avec elles. Non seulement les intègre-t-il dans sa mission, mais il les libère de situations discriminatoires en raison de leur genre.

Voici des exemples de libération particulièrement éloquents. Or, chaque femme qui va être nommée devient, en quelque sorte, le prototype d’un préjugé social et religieux infligé aux femmes; et chaque intervention de Jésus en leur faveur se fait abolition de ce préjugé.

La veuve de Naïn (Lc 7,11-17)

La veuve, par définition, n’a plus de mari et, ayant été mariée, n’est plus sous la garde de son père. Or, dans le cas présent, le fils qui doit normalement assumer sa protection meurt. Comprenons donc, dans cette circonstance, que le fait de redonner vie au fils de la veuve de Naïn n’est pas d’abord un acte de compassion envers ce fils, mais bien envers la mère qui, sans lui, se retrouve sans ressources. Ce faisant, Jésus la libère donc d’une situation matérielle et sociale aliénante. Il la libère d’une situation de misère. Bref, il la libère du poids social qui s’abattait sur la veuve.

Hémorroïsse et la fille de Jaïre (Lc 8,40-56)

Ce récit de Luc évoque le cas d’une femme atteinte d’hémorragies depuis douze ans et celui de la fille unique de Jaïre, chef de la synagogue, morte à l’âge de douze ans. Ce que cette femme et cette fille ont en commun, c’est le déni à chacune du droit à la maternité. En guérissant la première de ses hémorragies, Jésus lui redonne la possibilité d’avoir une vie conjugale normale, et de ce fait, la possibilité de procréer. À la deuxième, qui meurt juste au moment où elle atteint sa nubilité et qui, par conséquent, n’aurait eu qu’une vaine existence, il redonne sens à son passage en ce monde. Ainsi donc, en leur rendant ce droit à la maternité, Jésus les libère toutes les deux de ce stigmate qui les afflige.

Marthe et Marie (Lc 10,38-42)

Le cas Marthe et de Marie est fascinant. Ces femmes, les deux sœurs de Lazare (selon Jn 11,1-45), accueillent Jésus dans leur demeure en l’absence d’homme. Autrement dit, Jésus a des amies de femmes, qu’il se permet de visiter. Mais ce qui retient particulièrement l’attention, c’est le rôle attribué à Marie dans ce récit. Elle s’assoit aux pieds de Jésus et reçoit son enseignement. Ce qui, de prime abord, peut apparaître comme une position d’humilité, est en réalité la position privilégiée, réservée à la minorité d’hommes qui ont la possibilité de s’instruire. Car le droit à l’enseignement était strictement réservé aux garçons. De par cet accueil qu’il réserve à Marie, Jésus lui reconnait donc un droit égal à celui des hommes, soit de développer son intelligence, la libérant par la même occasion du préjugé voulant que son intelligence ne vaille pas celle d’un homme.

Qui plus est, l’instruction confère des privilèges, dont ceux d’interpréter, d’enseigner et même de diriger. Bref, l’instruction confère un certain pouvoir. Or, même si Marie ne peut exercer ce pouvoir dans le contexte social de son temps, l’intervention de Jésus indique déjà qu’il doit être reconnu dans un autre contexte où les conditions le permettent. Le nôtre, aujourd’hui, en Église, par exemple.

Marie de Magdala1 et les autres femmes disciples

Cet enseignement que Marie, sœur de Marthe, a reçu dans l’intimité de sa demeure, on peut déduire que Marie de Magdala, elle, l’a reçu tout au long de la route qu’elle a parcourue en compagnie de Jésus. Car, qu’on se le dise, il y eut des femmes qui ont suivi Jésus depuis la Galilée jusqu’à Jérusalem (Lc 8,1-3; 23,49.55; Mt 27,55-56; Mc 15,40-41; Jn 19,25). Or, dans la Bible, on utilise le verbe ‘suivre’ pour marquer la relation du disciple à un maître. Ce qui implique, ici, qu’il y a eu des femmes parmi les disciples de Jésus. Ce qui, dans le contexte du temps, défie les normes rigides quant au statut de la femme. Ce qui est tout à fait impensable, car une femme ne pouvait tout simplement pas suivre un maître sur la route. Or, à deux reprises, vers la fin de l’Évangile de Luc (23,49.55), on peut en trouver la confirmation : d’abord au moment de la mort de Jésus, puis au moment de sa sépulture.

Tous ses familiers se tenaient à distance, ainsi que les femmes qui suivaient Jésus depuis la Galilée et qui regardaient.

Les femmes, qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, suivirent Joseph d’Arimathée.

Marie de Magdala était l’une de celles qui avaient effectivement suivi Jésus. Mais de toute évidence, elle avait un rôle de leadership au sein du groupe. On la retrouve sur toutes les listes de femmes et elle est toujours nommée la première. Or, être nommé en tête de liste est un indice de l’importance du rôle du personnage dans son entourage.

Cette libération accordée aux femmes, celle de pouvoir ainsi suivre un maître, est d’une importance capitale. Elle est d’une telle importance pour l’époque, que si on se donnait la peine d’en mesurer la portée dans le contexte d’aujourd’hui, il n’y aurait plus d’obstacle à l’intégration des femmes à part entière dans l’Église.

Femme adultère (Jn 8,1-11)

Il y a aussi le fameux cas de « la femme adultère ». La loi juive disait que, pris en flagrant délit, l’homme et la femme devaient, tous les deux, être tués (Lv 20,10; Dt 22,22-24). Ici, les scribes et les pharisiens n’y amènent pourtant que la femme. On connait bien l’astuce de Jésus, qui invite celui qui est sans péché à lui lancer la première pierre, pendant qu’il se penche pour écrire sur le sable. Quand il relève la tête, il n’y a plus que la femme devant lui.

Pourquoi la femme seule aurait-elle été lapidée, comme si elle avait été la seule coupable? Jésus avait tout simplement rétabli la justice, rendant cette justice égale et pour la femme et pour l’homme. De plus, par sa façon de gérer la situation, il montrait que la honte portée par cette femme s’étendait aussi sur ceux qui l’accusaient qui, par leur retrait, se reconnaissaient eux-mêmes pécheurs.

La Samaritaine (Jn 4,1-42)

L’épisode de la Samaritaine est l’une des interventions de Jésus en faveur des femmes parmi les plus éloquentes, mais aussi l’une des plus provocatrices. Même ses disciples, pourtant habitués aux libertés de leur Maître face à la loi, en furent stupéfiés. D’abord, parce que Jésus s’adressait à une femme en public; ce qui était interdit. Mais aussi parce qu’elle était Samaritaine. Or, les Juifs éprouvaient un profond mépris à l’endroit des Samaritains qu’ils considéraient comme un peuple bâtard, en raison du métissage de leur race, depuis l’invasion assyrienne, plus 750 ans auparavant, alors qu’ils avaient été mêlés à des colons étrangers. Un métissage qui avait aussi entrainé un syncrétisme religieux, à savoir, que les Samaritains avaient intégrés des croyances et des pratiques païennes à leurs traditions israélites originales; ce qui était vertement décrié par les Juifs.

Jésus offrait donc une double, voire une triple libération à cette femme. Tout d’abord, il montre qu’une femme peut avoir une conversation avec un homme en public. Il dénonce également le racisme du peuple juif à l’endroit des Samaritains, car pour lui, la valeur d’une personne ne se jauge pas à l’aune de ses origines raciales; ni sur la base de ses croyances religieuses, d’ailleurs. Mais encore, il la libère d’une réputation aliénante liée à son lourd passé libertin. Et pour comble, il en fait la missionnaire par qui la foi en Jésus pénétra, pour la première fois, en Samarie. Car consécutivement au témoignage de cette femme dans son entourage, beaucoup de Samaritains prièrent Jésus de rester avec eux.

Les femmes présentes à la croix et au tombeau (Lc 23,49.55; Mt 27,55-56; Mc 15,40-47; 16,1-2; etc.)

Après le dernier repas avec ses disciples, alors qu’il s’était retiré avec eux à Gethsémani pour prier, Jésus est arrêté par des gardes armés mandatés par le Grand-prêtre. Or, au moment de l’arrestation, les disciples, pris de peur, – car habituellement, les plus proches collaborateurs d’un maître condamné à mort sont aussi exécutés avec lui – l’abandonnèrent et se sauvèrent. L’état de la recherche actuelle suggère qu’ils remontèrent aussitôt vers la Galilée.

Par ailleurs, les femmes, elles, qui n’étaient pas présentes au moment de l’arrestation, auraient assisté à distance à la descente de la croix et à la mise au tombeau. Et les quatre Évangiles témoignent unanimement que le dimanche matin, elles se seraient rendues au tombeau2 et en auraient donc découvert la vacuité avant qu’aucun homme ne s’y soit rendu.

Des femmes récipiendaires d’apparitions (Mt 28,9-10; Jn 20,11-15)

Selon les Évangiles de Matthieu et de Jean, des femmes auraient été les premières bénéficiaires d’apparitions. En Matthieu, on nomme Marie de Magdala et l’autre Marie, alors qu’en Jean, on ne nomme que Marie de Magdala. Ici, je ne me prononce pas sur l’historicité de ces apparitions aux femmes. Je dis simplement que ces deux évangélistes n’ont hésité à leur en attribuer. Et ce n’est pas peu dire, car selon le sens initial de l’apparition, le bénéficiaire se trouvait, de ce fait, investi d’une mission. Ce qui signifierait que les femmes, premières bénéficiaires d’apparitions, avant les disciples, auraient été chargées les premières d’annoncer la résurrection, évènement fondateur de la foi chrétienne. Le Ressuscité n’apparaitra aux disciples qu’après, soit sur une montagne en Galilée selon Matthieu et à Jérusalem, selon Luc et Jean.

1.3 Travail d’apprivoisement par Jésus

Quand on prend en considération ce qui a été dit plus haut sur le statut de la femme et sur sa réclusion sociale à l’époque de Jésus, il faut conclure que Jésus a dû s’adonner à un travail d’apprivoisement colossal pour intégrer toutes ces femmes dans sa mission. Un travail qui, de prime abord, ne se discerne pas nécessairement à travers la brièveté des textes nommant les femmes. Un travail qu’il faut néanmoins admettre. Et non seulement faut-il l’admettre, mais il faut aussi s’efforcer de le recréer. Il a fallu d’abord qu’à cet égard, Jésus éduque ses propres disciples. Peut-on imaginer la force de l’enseignement de Jésus et sa ténacité pour amener ces hommes à changer de mentalité? Eux, si profondément enracinés dans leur culture d’exclusion des femmes. Oui, peut-on imaginer tous les enseignements, toutes les explications, qu’il a dû leur donner pour qu’ils comprennent et qu’ils acceptent? Mais cet inlassable enseignement, ce travail d’apprivoisement, il a aussi dû le faire dans son milieu, auprès des familles, des époux, et même de ces femmes, celles qui en sont finalement venues à le suivre.

Jésus ne faisait rien de moins que d’abolir des frontières. Rien de moins que de jeter des murailles par terre. Ne nous demandons pas pourquoi les autorités juives ont réclamé sa mort. Leur crédibilité en était minée et leur autorité sapée. En termes de libération et d’avant-gardisme, c’était rien de moins qu’un tsunami.

Mais évidemment, Jésus ne pouvait pas envoyer ces femmes en mission comme il l’a fait avec ses apôtres. Ç’aurait été les jeter dans la gueule du loup. Ce n’est pas parce qu’il avait réussi à faire comprendre à ses proches que les hommes et les femmes étaient égaux qu’il pouvait les mettre en danger en les envoyant dans des milieux qui n’avaient pas été sensibilisés à cette réalité, dont l’ensemble de l’Empire romain, par exemple. C’est pourquoi il a repoussé les limites aussi loin qu’il était possible de le faire et qu’il a, de ce fait, ouvert à tous les possibles, quand les sociétés permettraient une complète intégration des femmes, dont la nôtre aujourd’hui.

1.4 Témoignages de Paul et des Actes des Apôtres

Ce travail d’éducation de Jésus auprès de ses disciples a été une réussite. En voici quelques preuves, dans l’église primitive.

Saint Paul, ce pharisien fougueux, au départ si attaché à la tradition, écrira dans sa lettre aux Galates, quelque vingt ans la mort de Jésus :

Ga 3:26-28 26 Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ. (…) 28 Il n’y a plus ni Juif, ni Grec; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre; il n’y a plus l’homme et la femme; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ.

Il proclame encore, dans sa première lettre aux Corinthiens (1 Co 7,1-5), l’égalité intégrale entre l’homme et la femme dans le couple, tant au niveau des droits que des devoirs. Nous y découvrons, en effet, l’un des plus beaux témoignages de mutualité homme/femme que l’on puisse retrouver dans la Bible. En voici l’extrait :

1 Co 7 1 Venons-en à ce que vous m’avez écrit. Est-il bon pour l’homme de s’abstenir de la femme? 2 Pour éviter tout dérèglement, que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari. 3 Que le mari remplisse ses devoirs envers sa femme, et que la femme fasse de même envers son mari. 4 Ce n’est pas la femme qui dispose de son corps, c’est son mari. De même ce n’est pas le mari qui dispose de son corps, c’est sa femme. 5 Ne vous refusez pas l’un à l’autre, sauf d’un commun accord et temporairement, afin de vous consacrer à la prière; puis retournez ensemble, de peur que votre incapacité à vous maîtriser ne donne à Satan l’occasion de vous tenter.

Ce que Paul préconise relativement aux rapports homme/femme dans ses recommandations aux chrétiens de Corinthe vaut également pour les chrétiens des autres communautés qu’il a fondées. Or, ces communautés s’échelonnent à travers tout l’empire romain, où le statut social de la femme n’était guère plus enviable que dans le pays de Jésus. Ce qui implique que Paul a si bien compris la position de Jésus envers les femmes qu’il l’adopte avec la même audace, peu importe l’endroit où il annonce l’Évangile. Autrement dit, c’est un message qui vaut universellement. Qui vaut partout et tout temps, là où on a le courage de l’annoncer, de le promouvoir.

La cohérence de Paul est notable également quand il écrit aux Romains et qu’il leur recommande d’accueillir Phoébé, une diaconesse, qui est la chef de la délégation en route vers la communauté romaine3.

Rm 16:1-2 Je vous recommande Phoebé, notre sœur, diaconnesse de l’Église de Cenchrées. 2 Accueillez-la dans le Seigneur d’une manière digne des saints, aidez-la en toute affaire où elle aurait besoin de vous. Car elle a été une protectrice pour bien des gens et pour moi-même.

Il y a encore plusieurs mentions de femmes chrétiennes actives dans la première communauté, comme il en est fait état dans le livre des Actes des Apôtres4, lequel est écrit vers 85-90, et qui témoigne justement des premiers pas de la communauté chrétienne.

1.5 Dans l’Église d’aujourd’hui

1.5.1 La position du Vatican

Le seul argument évoqué par les papes Jean-Paul II et François pour exclure les femmes du sacerdoce et, par la même occasion, de la gouvernance de l’Église s’inspire de celui inscrit dans le document Inter insigniores de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, publié en 1976, où on lit que Jésus a exclusivement choisi des hommes comme apôtres. Sur la base de cet argument, dans sa lettre apostolique, Ordinatio Sacerdotalis, en date du 22 mai 1994, Jean-Paul II écrit :

L’Église estime ne pas avoir autorité pour conférer le sacerdoce aux femmes; cela doit être considéré ainsi définitivement par tous les fidèles.

Le 28 octobre 1995, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a déclaré la décision de Jean-Paul II rétroactivement infaillible par la force du Magistère ordinaire et universelle. Son contenu doit, en conséquence, être tenu pour vrai, toujours et partout.

Le 1 novembre 2016, le pape François a confirmé cette position quand, à bord de l’avion, il a répondu à la question d’une journaliste suédoise, qui l’interrogeait sur le sujet :

Le saint pape Jean-Paul II, a-t-il, a eu le dernier mot limpide sur ce sujet et il tient, il tient.
La journaliste a alors insisté :
Pour toujours?
Le pape a répondu :
Si on lit soigneusement la déclaration de saint Jean-Paul II, cela va dans cette direction.

Le pape François endosse donc la position traditionnelle de l’Église, excluant de ce fait la possibilité, maintenant et toujours, que les femmes puissent être ordonnées prêtres dans la religion catholique.

Je fais une parenthèse ici pour dire que ce pape, François, dont on ne cesse de louer les mérites, à juste titre, pour son humilité et sa proximité des pauvres, est, à mon humble avis, plus dangereux pour la cause des femmes que ces prédécesseurs, justement parce qu’il est foncièrement bon et parce qu’il est déterminé à faire le ménage dans la Maison. On objectera alors qu’on ne peut pas tout exiger de lui à la fois et qu’il ne peut pas tout changer d’un coup. Attention! En évoquant la pérennité de la position de Jean-Paul II et en l’endossant explicitement, il a bel et bien, lui-même, fermé la porte à l’accès au sacerdoce pour les femmes. Il dit explicitement que cela ne peut être changé, ni aujourd’hui, ni dans le futur. Peut-on alors louer sans réserve – je dis bien, sans réserve – la justice de ce pape quand il perpétue une injustice à l’endroit de la moitié des fidèles qui forment l’Église catholique?

On a applaudi, dernièrement, sa soi-disant ouverture quand il a annoncé qu’il songeait à mettre sur pied un comité qui étudierait la possibilité de permettre aux femmes d’accéder au diaconat. Et là encore, comprenons bien : Il songe à mettre sur pied un comité qui étudierait la possibilité d’ouvrir le diaconat aux femmes. Eh bien, moi, je n’accueille pas ça comme une bonne nouvelle, mais plutôt comme une insulte.

Bref, quand on évoque l’argument à savoir que Jésus n’a pas choisi de femmes parmi les Douze, c’est précisément parce qu’on est à court d’argument. C’est parce qu’on ne sait plus comment justifier l’exclusion actuelle des femmes.

Or, brandir l’immuabilité de cet argument, celui à savoir qu’il n’y avait que des hommes parmi les Douze, est d’autant plus vexant pour les femmes que l’Église s’est permis de promulguer des dogmes depuis les premiers siècles de son histoire. Je vous fais grâce d’une énumération exhaustive et ne me contenterai plutôt que de ne nommer les plus connus, dont les suivants :

1.5.2 Les dogmes dans l’Église

  • Le dogme de la Trinité, dont la première partie, statuant sur la divinité de Jésus, est promulgué au Concile de Nicée en 325 et la deuxième partie, statuant sur la divinité de l’Esprit, n’advient qu’en 381, au Concile de Constantinople.

  • En 431, au Concile d’Éphèse, on décrète que Marie est la mère de Dieu.

  • Au Concile de Latran, en 1215, on définit le dogme de la transsubstantiation.

  • En 1854, une bulle pontificale du pape Pie IX définit le dogme de l’Immaculée Conception.

  • En 1870, au Concile Vatican I, on proclame l’infaillibilité papale.

  • En 1950, l’Assomption de Marie est établie par La Constitution Apostolique MunificentissimusDeus de Pie XII.

Allez donc, sur la base d’une exégèse scientifique, chercher les fondements de tous ces dogmes dans le Nouveau Testament! Et allez donc, surtout, les ancrer dans le ministère de Jésus!

Le célèbre dominicain, Marie-Émile Boismard, grand exégète de l’École Biblique de Jérusalem, estimait à juste titre que :

Croire que les dogmes étaient présents à l’origine relève de la mentalité moderne. On a toujours tendance à analyser les textes du Nouveau Testament pour y retrouver la foi de l’Église actuelle. Dans le monde sémitique, la foi est avant tout l’engagement d’une personne vis-à-vis de Dieu. Quand on passe dans le monde grec, elle se transforme : au lieu d’être une adhésion à une personne, elle devient adhésion à des vérités, à des dogmes.5

Ainsi donc, si l’Église a pu se permettre de prendre ses distances par rapport aux écrits du Nouveau Testament pour définir des dogmes chaque fois qu’elle l’a jugé approprié, jusqu’à promulguer le dogme de l’infaillibilité papale, et bien qu’elle recoure à ce même pouvoir pour rendre justice aux femmes. Car il me semble que la pirouette serait d’autant moins périlleuse de se prononcer sur la légitimité de l’accès des femmes au sacerdoce que de se prononcer sur l’Assomption de Marie; ou encore, sur son Immaculée Conception. Et si on s’entête à justifier l’exclusion des femmes au sacerdoce sous prétexte qu’il n’y avait pas de femmes parmi les Douze, eh bien, qu’on fasse appel à l’infaillibilité papale pour modifier la situation, comme on l’a fait pour décréter les autres dogmes qui n’ont justement pas d’ancrage biblique.

Voilà donc étalée, ici, l’ironie de la position de l’Église en matière d’exclusion des femmes au sacerdoce.

Bref, il n’y a aucun facteur, que ce soit d’ordre anthropologique ou théologique, qui empêche l’intégration des femmes à part entière dans l’Église. Il n’y aurait qu’un pas à faire pour y arriver, alors que, pour ce qui en est des dogmes, on a introduit des corps étrangers dans la foi par rapport au dépôt original. On se doit donc de rectifier cette situation tout simplement par fidélité à Jésus, en poursuivant le travail qu’il a lui-même initié.

2. UNE ÉGLISE AUDACIEUSE POUR L’AVENIR

Ma devise, quand il s’agit de fonder mes positions face à l’Église, je la puise précisément du Nouveau Testament. Elle s’inspire de Pierre alors qu’on le fait comparaitre devant le Sanhédrin et que le Grand-Prêtre lui interdit d’enseigner le nom de Jésus. De concert avec les autres apôtres, il répond : « Il me faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». (Ac 5,29)

Cette devise –« Obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes »– est particulièrement à propos dans la lutte des femmes pour leur intégration à part entière dans l’Église. Obéir à Jésus plutôt qu’aux hommes qui dirigent l’Église, aujourd’hui, si l’on admet que Jésus s’est fait la voix de Dieu. Car Dieu n’a-t-il pas authentifié, entériné, cautionné tout ce que Jésus a dit et fait quand Il l’a ressuscité? La résurrection de Jésus, rappelons-le, c’est l’approbation globale et intégrale par Dieu de sa mission.

Alors si l’on doit s’en remettre à Dieu, par l’intermédiaire de Jésus, plutôt qu’aux hommes, et bien je dis aux femmes : Prenez votre place. N’attendez plus qu’on vous la donne. Personnellement, j’en suis là. Je donne priorité au mouvement de Jésus plutôt qu’à la tête dirigeante de l’Institution ecclésiale, quand ma conscience me dit qu’elle lui fait faux bond. N’est-ce pas logique et raisonnable? Et j’ai la ferme conviction qu’en ce qui a trait à l’exclusion des femmes du sacerdoce, de la gouvernance de l’Église et de l’exercice de ministères précis, on fait faux bond à Jésus. Or, le scandale c’est qu’on ose légitimer cette exclusion par devoir de fidélité à Celui que, ce faisant, on trahit.

Femmes, comment alors être audacieuses pour l’avenir? Avant de formuler des propositions concrètes, il me faut préciser, en préambule, ce qui me semble être l’obstacle majeur à l’intégration des femmes à part entière dans l’Église, c’est surtout la pratique sacramentelle dans sa forme actuelle. C’est une vision figée de la sacramentaire, laquelle, quoiqu’on en dise, est en rupture, à bien des égards, avec le mouvement de Jésus.

2.1 La pratique sacramentelle dans sa forme traditionnelle

La définition du sacrement telle que nous l’avons apprise dans le petit catéchisme de notre enfance, à savoir que « Le sacrement est un signe sensible, institué par Jésus-Christ, pour nous donner la grâce »6 a certes connu des modifications dans la formulation des définitions subséquentes, mais le sens qu’on lui attribue, c’est-à-dire, celui qui se dégage de la pratique actuelle, ne s’écarte pas de façon significative du sens qu’on lui a reconnu depuis toujours dans l’Église officielle.

Par ailleurs, je fais une parenthèse, ici, pour rendre justice à de nombreux théologiens et théologiennes contemporains, spécialistes de la sacramentaire, qui ont surtout présenté les sacrements sous l’angle de la symbolique; ce avec quoi je suis entièrement d’accord. Mais dans la communauté chrétienne, en général, on a continué d’entourer la pratique sacramentelle de mystère, alors qu’il n’y en a pas à l’origine. Ou encore, on l’a tellement enrobée de sacré que sa gestion requiert des pouvoirs spéciaux et en conséquence, elle demeure la chasse gardée d’hommes consacrés. Or, pour changer la situation, il faudrait que ceux qui détiennent ces « pouvoirs » d’administrer les sacrements soient les premiers initiateurs de ce changement nécessaire et qu’à cet égard, ils se fassent éducateurs du peuple.

Enfin, si on s’y penche de plus près, comment pouvons-nous justifier cette approche voulant que les sept sacrements aient été institués par Jésus de Nazareth? Surtout dans la forme figée qu’on leur connaît dans la plupart des communautés.

Et si on osait redonner un nouveau souffle aux sacrements? Ce serait, je crois, la voie toute désignée pour les femmes d’entrer de plain-pied dans cette Institution qu’est l’Église, avec les mêmes droits et privilèges que sont ceux dévolus aux hommes ordonnés.

2.1 Une pratique sacramentelle renouvelée

Prenons seulement quelques exemples pour illustrer ce que pourrait être une pratique sacramentelle démystifiée et renouvelée.

2.1.1 Le pardon

Quelqu’un, un homme, une femme, accompagne un malade tout au long de sa maladie, jusqu’au dernier moment de sa vie. Ladite personne fait une démarche de foi avec ce malade, qui lui confie ses inquiétudes, ses craintes face à la mort. Et – pourquoi pas? –, qui lui avoue certaines bêtises commises au cours de sa vie; des bêtises qu’elle regrette. Bref, cette personne finit par dire quelque chose comme : « J’espère que le bon Dieu me pardonnera toutes mes bêtises. En tout cas, je lui en demande bien humblement et bien sincèrement pardon ».

Eh bien, si j’étais cette personne accompagnatrice, je lui dirais sans l’ombre d’une hésitation : « Pars en paix. Tous tes péchés te sont pardonnés ». Je le ferais non pas en raison d’un pouvoir particulier que je détiens de pardonner les péchés, mais sur la base de la connaissance que j’ai de Jésus. Ma parole n’en serait pas une de pouvoir, mais bien une de témoignage en la miséricorde de Dieu; cette miséricorde que Jésus nous a fait connaître. Autrement dit, le contenu de ce témoignage se résumerait à ceci : « Je connais assez mon Jésus pour savoir qu’il te pardonne tout ». Et nous aurions vécu ensemble une expérience de pardon. Un sacrement du pardon, si vous préférez.

Voilà ce que pourrait effectivement être un sacrement du pardon, décapé de ses strates mystérieuses. Un sacrement humanisé, renouvelé et signifiant.

Mais non, pour que tout soit en règle, selon la pratique traditionnelle, il faut introduire un prêtre, qu’il soit connu du malade ou étranger, cela n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est que ce personnage détient un pouvoir, celui de prononcer les paroles et faire les onctions qui produisent les soi-disant effets escomptés. La dimension magique de ce pouvoir a donc préséance sur la dimension humaine de la rencontre. Et ça, ça ne ressemble pas à Jésus.

Mais plus encore, l’exemple du mourant ne s’impose pas. Au contraire, un tel témoignage de pardon pourrait se faire au cours de la vie régulière, dans la mesure où la personne « pénitente » et la personne accompagnatrice le fassent dans des conditions de foi et de sincérité.

2.1.2 Le Mémorial de la Cène

Je propose un autre exemple, celui-là relativement à l’Eucharistie. Et ici, c’est vraiment, mais vraiment, la chasse gardée de l’homme investi du pouvoir sacerdotal.

Premièrement, pour faire référence à l’événement, le terme « messe » était plus approprié que « eucharistie », car « messe » vient du latin  missa (mittere, « envoyer ») qui signifie « renvoi ». Le même mot a donné « mission ». Alors que le mot « eucharistie » est issu du grec eucharistein et signifie « rendre grâce » ou « bénir ». Ce que ne constitue donc que l’étape préliminaire à l’offrande du pain et de la coupe par Jésus à ses disciples.

Par contre, pour faire référence à l’évènement fondateur, ni « messe » ni « eucharistie » ne me semblent des appellations aussi appropriées que la suivante : « Mémorial de la Cène ». On comprendra mieux ce point de vue à partir de ce qui va suivre.

Mais d’abord ce préalable.

Au soir de ce dernier repas avec ses disciples, alors que Jésus sait pertinemment que ses heures sont comptées, parce qu’il est traqué, parce que les autorités religieuses veulent s’en débarrasser pour diverses raisons dont : le fait qu’il se tienne avec des gens inscrits sur les listes noires, qu’il enfreint les règles du sabbat, qu’il parle contre le Temple, qu’il a fait une colère dans le Temple en ce moment même où des Juifs affluaient de tout l’Empire romain, etc. Considérant que son arrestation est une question d’heures, que son exécution est inévitable, quelle a bien pu être sa principale préoccupation justement en ce moment ultime de sa fin imminente? Était-ce que ses disciples l’adorent quand il ne serait plus là, comme on le fait d’ailleurs au cours des eucharisties? Ou était-ce de s’assurer qu’après son départ, ils poursuivent sa mission de justice? La réponse semble assez évidente. On devine effectivement que son plus urgent désir était bien que ses disciples prennent la relève et qu’ils poursuivent sa mission. Une réponse qui va maintenant nous orienter pour la compréhension de la portée de ses paroles sur le pain et le vin au soir de son dernier repas avec les disciples.

Ainsi, sur la base de cette réponse, – à savoir qu’il a voulu que ses disciples prennent la relève et non qu’ils l’adorent – revoyons brièvement les paroles de la Cène. Mais cela exige encore un mot d’explication sur les différences anthropologiques qui nous séparent aujourd’hui du monde sémitique de Jésus.

Dans le monde sémitique, la dichotomie corps/âme, laquelle relève de la philosophie grecque dont nous sommes tributaires, n’existe pas. Alors que pour les Grecs, le corps désigne la chair périssable; pour les Juifs, le corps réfère à la personne dans son intégralité, incluant son intelligence, ses qualités, ses talents, ses traits physiques et psychologiques; mais c’est également ce qu’un être humain devient au fil des ans, dans la mesure où cet être humain est marqué par ses choix, ses luttes, ses succès, ses défaillances, etc. Alors que le sang, toujours dans le monde juif, c’est la vie. On croit effectivement que la vie coule dans le sang7 .

Ajoutons enfin que les sémites avaient tendance à parsemer leurs propos et leurs discours de métaphores, de comparaisons, de symboles. Un langage que Jésus a d’ailleurs, lui-même, abondamment utilisé tout au long de sa mission.

Ainsi quand, à table avec ses disciples, Jésus prend le pain et rend grâce (eucharistein), et qu’il dit : « Ceci est mon corps », il dit en réalité : « Ce pain représente ce que je suis ». Autrement dit, le pain symbolise sa personne et tout ce qu’il a fait au cours de sa vie. En invitant ses disciples à manger ce pain, Jésus leur dit : « Si vous mangez ce pain, vous communiez à ma personne et à ce que j’ai fait ». Ou encore : « Vous êtes en accord avec ce que je suis ». C’est donc à un engagement qu’il convie ses disciples. On comprend alors qu’à ce moment-là, où il est sur le point de mourir, ce n’est pas à l’adorer qu’il les invite, mais bien à prendre la relève, à s’engager.

Je vous cite les paroles d’un éminent exégète états-unien, Gordon Fee :

Cela dépasse à la fois l’intention de Jésus et le cadre à l’intérieur duquel lui et ses disciples se trouvent que d’imaginer qu’un changement advient, ou était destiné à advenir dans le pain lui-même.

Et dans la même veine, le commentaire du Père M.-Émile Boismard :

Le pain n’est pas physiquement changé en corps du Christ, mais reste ce qu’il a toujours été : du pain. On reste donc au plan du symbole.

Après les paroles sur le pain, Jésus prononce les paroles sur la coupe : « Ceci est mon sang »; ce qui signifie : C’est ma vie. En fait, en les invitant à boire la coupe, Jésus leur dit quelque chose comme : Voulez-vous vous alimenter, vous énergiser à ma vie?

On peut évidemment appliquer au vin les mêmes remarques qu’ont formulées G. Fee et M.-É. Boismard à propos du pain, à savoir que : « Cela dépasse à la fois l’intention de Jésus et le cadre à l’intérieur duquel lui et ses disciples se trouvent que d’imaginer qu’un changement advient, ou était destiné à advenir dans le (vin) lui-même »; et que « Le (vin) n’est pas physiquement changé en (sang) du Christ, mais reste ce qu’il a toujours été : du (vin). On reste donc au plan du symbole ».

Au terme du repas, Jésus invite les siens à refaire ces gestes en mémoire de lui. Or, « faire mémoire », n’était pas un simple effort de réminiscence, un simple effort de se souvenir, mais faire mémoire de Jésus, c’était faire revivre ce qu’il a été et perpétuer ce qu’il a accompli. Autrement dit, faire mémoire, c’était une invitation à faire ses œuvres.

Bref, après la résurrection et le départ de Jésus, le lieu privilégié, le lieu par excellence pour les disciples de renouveler leur engagement à la suite de Jésus et à poursuivre ses œuvres, c’était de se rassembler et de faire mémoire de ce dernier repas. C’était de s’engager en refaisant les gestes et en prononçant les paroles sur le pain et le vin. C’était affirmer, en mangeant le pain : « Nous communions à son corps, c’est-à-dire, à sa personne et à ses œuvres »; c’était affirmer en buvant à la coupe : « nous communions à son sang, c’est-à-dire, nous nous alimentons à sa vie ». Il n’était donc pas question de l’adorer, mais bien de s’engager. Et cela vaut pour aujourd’hui.

Or, tout ce raisonnement pose de sérieuses questions :

  1. Faut-il un statut spécial et un pouvoir particulier pour faire mémoire du dernier repas de Jésus avec le désir de s’engager à sa suite?

  2. Quelqu’un peut-il m’empêcher, moi, femme, laïque, de faire mémoire du dernier repas de Jésus pour mieux ancrer mes propres choix et mes engagements dans ses traces?

Et voilà que des réponses logiques, dans la cohérence de ce qui précède, viennent secouer la prétention qu’il faille être investi d’un pouvoir particulier, en l’occurrence, du pouvoir sacerdotal pour faire Mémoire de la Cène. Et voilà que les fondements mêmes du sacrement de l’ordre, dans sa facture actuelle, sont remis en question. Et voilà surtout que le dogme de la transsubstantiation s’envole en fumée.

Enfin, j’avoue avoir, à multiples reprises, présidé au Mémorial de la Cène et avoir enseigné à de nombreux groupes à le faire également. J’ai reçu beaucoup de témoignages, émanant de communautés chrétiennes, de chrétiens très engagés, que cela a été fait au sein de leurs groupes et de leurs communautés.

CONCLUSION

Jésus n’a pas voulu qu’on restaure un système similaire à celui qui l’a condamné à mort, alors que c’est ce qu’on a fait, mais il a voulu que l’on mène une vie de justice envers tous les êtres humains. Que l’on pratique les œuvres de justice humaine, sociale, à tous égards, sans s’arroger de pouvoir indus et surtout, en bannissant l’exclusion.

Que devons-nous faire alors? Adopter des pratiques qui correspondent à nos convictions sans attendre de permission pour le faire. Arrêtons de soulever le prétexte que telle ou telle pratique n’est pas autorisée par l’Église et demandons-nous plutôt si elle est souhaitée par Jésus. Demandons-nous si telle pratique génère la vie. Aussi longtemps qu’elle génère la vie, elle poursuit l’œuvre de Jésus. Posons-nous toujours la seule et véritable question : Qu’est-ce que Jésus ferait à ma place? Et la réponse est évidente : Il opterait pour une pratique qui fait grandir la vie dans le respect de tous les êtres humains, hommes et femmes, à part égale. Et il accorderait les mêmes droits et les mêmes privilèges aux femmes qu’aux hommes.

Et il dirait aux femmes qu’elles n’ont surtout pas à attendre de permission de personne pour accomplir ses œuvres. Alors, hommes et femmes, soumettons sans cesse notre jugement au discernement et armons-nous de bonne volonté pour perpétuer les œuvres de Jésus.

NOTES

1 Il ne faut pas confondre Marie de Magdala et la pécheresse non identifiée de Lc 7,36-50. La traditionnelle confusion vient sans doute du fait que Marie de Magdala soit nommée en Lc 8,2, immédiatement après l’épisode de la pécheresse, laquelle n’est jamais identifiée, alors qu’on dit de Marie de Magdala qu’il en était sorti sept démons. En raison de ce dernier détail, la possession de Marie a été associée à la situation de péché de l’autre femme. Pourtant, les démons dans les Évangiles ne sont pas des êtres qui incitent au péché, mais sont plutôt considérés comme les causes ou les explications de maladies physiques et mentales. Or, dire de Marie qu’elle a été délivrée de sept démons peut signifier qu’elle a été guérie d’une maladie incurable, considérant la valeur symbolique du chiffre sept, lequel signifie la plénitude.

2 Dans l’Évangile de Jean, seulement Marie de Magdala serait allée au tombeau (Jn 20,1)

3 Dans le chapitre de clôture de cette même lettre, il nomme plusieurs femmes collaboratrices et amies (16,1-16) : Phoébé, Prisca, Marie, Junias (apôtre, i.e, envoyée avec son mari, Andronicus), Persis, la mère de Rufus, Julie et Olympas. De même, dans la première lettre aux Corinthiens, Paul fait mention d’autres femmes chrétiennes actives, dont : Chloé (1,11), commerçante dont certains membres de son personnel rencontrent Paul à Éphèse; celles qui participaient à la mission (9,5). En Philippiens (4,2), il parle d’Évodie et de Syntyché, qui auraient, toutes les deux, « lutté avec lui pour l’Évangile. »

4 En voici quelques-unes : Lydie, commerçante en pourpre, qui a offert l’hospitalité à Paul (16,14-15,40); Damaris (17,34); Marie, mère de Jean, surnommé Marc, chez qui on se réunit pour la prière (12,12); les quatre filles de Philippe qui sont prophétesses (21,9); dans le discours de Pierre suivant la Pentecôte, il est dit que «les fils et les filles (…) les «serviteurs et les servantes» prophétiseront auprès avoir reçu l’Esprit Saint (2,17-18).

5 Marie-Émile Boismard o.p., À l’aube du christianisme. Avant la naissance des dogmes, Paris, Cerf, 1998.

6 Catéchisme catholique, Édition canadienne, QC, 1931, question no 731.

7 Lév 17,11 : «Oui, la vie de toute chair est dans le sang»; v. 14 : «Car la vie de toute chair, c’est son sang».

Odette Mainville

A propos Odette Mainville

Odette Mainville est bibliste et professeure retraitée de la faculté de théologie et de sciences des religions de l'Université de Montréal. Spécialiste du Nouveau Testament, elle s'intéresse particulièrement aux recherches sur le Jésus historique et au thème de la résurrection. Conférencière recherchée, elle est l’auteure de nombreuses publications concernant l’interprétation biblique, mais aussi de trois romans québécois.
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6 réponses à Les femmes à part entière dans l’Église

  1. Lorraine Couture dit :

    Un immense merci, chère dame! Votre exposé est captivant!

    J’ai spécialement apprécié vos sentences sur les dogmes de l’Église qui, hélas, ont troublé la vie de bien des catholiques…

    Je découvre avec bonheur vos autres écrits!

    Cordialement,
    Lorraine Couture

    • Odette Mainville dit :

      Bonjour Lorraine
      Votre commentaire est très apprécié. La récompense est grande quand on constate que notre contribution peut apporter quelque éclairage ou libérer un tant soit peu la pensée.

  2. Jean-Luc B dit :

    Excellente réflexion qui contribue à (re)démontrer à la suite du Nouveau Testament que le Christ n’est pas venu fonder une religion avec ses dogmes déshumanisés, mais qu’Il appelle chacun de nous (hommes et femmes) à participer à sa Vie, la Vie de l’Éternité.

    Et quoi de plus beau et de plus grand que d’expérimenter personnellement cette Vie d’amour et de justice qui dépasse tout ce qu’il est possible d’imaginer ou de penser ?

  3. Odette Mainville dit :

    Merci, Jean-Luc, de votre commentaire fort à propos, que je signerais volontiers.

  4. Anne-Joelle Philippart dit :

    Un grand merci pour cet article qui nourrit l’espoir de voir des femmes agir, rapidement, au niveau de la transmission des sacrements. Oui, cet article donne à persévérer. Il est comme ce pain auquel nous communions – renouvellement de notre engagement, nourriture pour tenir, intuition de sa présence – et ce vin qui énergise nos vies comme l’eau d’une source jaillissante en vie éternelle. Franchir ce pas suggéré ….hum hum !

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