Le droit d’être elles-mêmes

C’est le féminisme des années quatre-vingt qui m’a ouvert les yeux.  Plus précisément, il m’a révélé ce que je pressentais depuis bien longtemps sur l’être de la femme.  Célibataire par choix, je ne comprenais pas vraiment pourquoi on définissait la femme uniquement par rapport à sa nature biologique.  « Si je ne prends pas mari et n’ai pas d’enfant, qui suis-je alors ? » me demandais-je fréquemment.  Ma question n’était pas pour autant angoissante, car la présence de femmes dans les communautés religieuses me rassurait.  Mais en quelque part, au fond de moi, je me sentais piégée.


Sous le regard des spécialistes : médecins, psychologues, psychiatres, sociologues, économistes et hommes de loi, la nature de la femme a été objet de définitions diverses qui ont été figées durant longtemps dans des concepts étroits formulés par des hommes.  Bien sûr, ils reconnaissaient à la femme des qualités remarquables comme le don de soi, la générosité, la soumission, l’amour, le service… qualités dites féminines qui englobaient toutes les femmes dans un dénominateur commun.

La nature biologique de la femme semblait déterminer radicalement son destin.  Qu’est-ce qui correspondait le plus à son être de femme?  Qu’est-ce qui pouvait le mieux contribuer à son plein épanouissement féminin?  La fonction de reproduction de la femme conférait deux fins à son destin : La femme était faite pour l’homme et pour la maternité… Ainsi la compréhension de son être profond devenait dépendant du regard et de la volonté de l’homme.

SE REGARDER ELLES-MÊMES

La montée du féminisme a provoqué chez les femmes un questionnement fondamental sur l’essence même de leur être de femme.  Elles en avaient assez d’être fixées et encadrées dans de nombreux stéréotypes qui étaient de moins en moins admissibles dans l’évolution d’une société démocratique.  Aujourd’hui, elles tentent de se regarder elles-mêmes.  Leur questionnement les invite à entrer dans I’intériorité. Ce ne sont plus les yeux masculins qui ont la priorité du regard, mais bien leurs propres yeux.  Maintenant, la femme ne se sent plus objet d’études, car elle est devenue le sujet de ses interrogations, de ses observations, de ses analyses, de la compréhension d’elle-même au cœur de son être de femme.  Les femmes se sont approprié la définition de leur être.

À la lumière de leurs réflexions, elles ont compris la nécessité de traverser certaines étapes individuellement et socialement pour parvenir à la plaine réalisation de leur être féminin : découvrir son individualité; approfondir son identité; affirmer son autonomie; promouvoir l’égalité dans les rapports homme/femmes; s’engager dans la solidarité à soutenir les femmes collectivement.

Découvrir son individualité

L’humanité est constituée d’hommes et de femmes à la fois semblables comme humains et différents selon le sexe.  La race, l’ethnie, la culture, la religion et l’hérédité façonnent aussi les êtres si bien que selon les lieux et les époques les hommes et les femmes sont à la fois semblables et différents.  Mais il faut observer les êtres pour découvrir que chaque individu, qu’il soit homme ou femme, naît avec ses caractéristiques propres et une personnalité unique.  Il est donc pratiquement impossible de définir les hommes et les femmes de façon globale.

Le discours sur les femmes a été longtemps tenu par les hommes seulement.  Commençant à prendre conscience d’elles-mêmes, les femmes ont tenté de définir les caractéristiques de leur individualité et, ce faisant, de nommer les caractéristiques propres à chacune d’elles.  Toutes les femmes n’ont pas les mêmes qualités, capacités intellectuelles, talents et vertus… C’est souvent dans un grand éclat de rire que des femmes ont avoué que  contrairement à l’opinion largement répandue, telle ou telles n’était pas patiente, n’aimait pas le travail ménager, ne souhaitait pas avoir plusieurs enfants.  Plusieurs se révoltaient de vivre dans un climat social de soumission au mari, d’être nommée en public comme étant la femme de …

Approfondir son identité

La démarche d’approfondissement de son identité est souvent accompagnée de grandes souffrances.  C’est la réponse à la question la plus difficile que les femmes doivent se poser : « Qui suis-Je? » C’est aussi une porte de sortie de soi, de libération pour prendre sa place personnelle dans la société et dans l’Église.  Un questionnement difficile parce que, bien souvent, il va à l’encontre des opinions reçues : celle du mari, du curé, de la parenté, de la société et de l’Église.

Trouver son identité, son moi profond.  Pour y parvenir, il faut savoir entrer en soi-même, se mettre à l’écoute de ses besoins, de ses goûts, de ses ambitions et identifier ce qui nous est tout à fait personnel.  Unifier tous les éléments de sa personnalité de manière à pouvoir affirmer : « je suis moi et pas une autre ».  Le reflet que font les autres sur soi pour dire qui l’on est en termes de qualités, de talents, de capacités diverses, peuvent être justes ou pas. Néanmoins, il n’est qu’un moyen parmi d’autres pour aider la femme à parfaire la connaissance d’elle-même.  La femme doit être très prudente face aux opinions émises sur elle-même.  Car très souvent elles sont subjectives.  Certes, la famille, l’entourage, la communauté, le ou la thérapeute peuvent apporter une bonne collaboration.  Mais, personne n’a la réponse ultime.  Ce n’est qu’après avoir éliminé tous les stéréotypes qui entravent sa liberté que la femme peut en arriver à établir son identité.

Affirmer son autonomie

Affirmer son autonomie, c’est se diriger dans la vie sans dépendance, sans l’autorisation de…, sans attendre que l’autre décide à sa place.  L’autonomie, c’est savoir s’apprécier sans recourir fréquemment à l’approbation de l’autre.  L’autonomie, c’est aussi la capacité de subvenir personnellement à ses besoins.  Et cela passe ordinairement par l’autonomie financière. Peu importe si la femme a choisi de travailler à l’extérieur. D’être travailleuse au foyer ou collaboratrice de son mari dans l’entreprise.  La femme autonome développe un style de relation avec son conjoint et l’autorité qui se situe dans la ligne du partenariat.  À l’inverse d’une attitude de soumission, son comportement est marqué par le dialogue, la négociation, l’ouverture, la pensée dynamique et la prospective.

Promouvoir l’égalité

À travers ces étapes de la découverte de soi, les femmes ont saisi progressivement la signification véritable de leur être féminin.  Leur nature biologique qui semblait avoir fixé leur destin à tout jamais dans des rôles spécifiques, ne répondait plus à l’ultime question de leur existence.  En quelque part, la découverte de leur personnalité les rapprochait de l’homme, c’est-à-dire de l’essence de la nature humaine.

Personne humaine à l’égal de l’homme, la femme prend conscience qu’elle est une personne libre, capable d’assumer son existence.  Créée à l’image de Dieu, la femme reçoit sa vocation de son Créateur tout comme l’homme.

La personnalité de la femme se fonde dans cette essence profonde qui la fait être image de Dieu, qui la relie d’emblée, en même temps que l’homme, avec l’homme, de la même façon que l’homme, à l’Être absolu, Créateur.  Cette relation fondamentale et créatrice arrache la femme à toute aliénation, à toute inauthenticité mythologique, à tout destin d’instrument ou de moyen dont on voudrait constituer sa « nature ».  L’aliénation de tout être humain, homme ou femme, est à jamais rendue sacrilège, monstrueuse;  elle est oubli ou négation de cette relation réelle qui le constitue dans sa liberté-image de Dieu » (Yvonne Pellé-Douël, Être femme, Paris, Seuil, 1967, p.99)

La vocation de la femme l’invite donc à l’accomplissement de sa personnalité, non seulement en fonction des rôles reliés à sa nature, mais aussi en rapport avec ses qualités et ses aspirations profondes dans l’exercice plénier de sa liberté.  Sa vocation humaine, sa vocation de fille de Dieu, cet appel qu’elle peut ressentir à suivre le Christ, à entrer dans la vie divine, peut dorénavant la conduire dans des lieux, des responsabilités et des fonctions jadis réservés aux hommes seulement. C’est pourquoi l’évolution de la femme depuis ces dernières années a provoqué un bouleversement profond des mentalités dans la société et dans l’Église.  On a vu le visage de la société civile et religieuse se transformer par l’apparition de femmes de plus en plus nombreuses sur le marché du travail, dans des secteurs professionnels et dans des postes d’autorité.  Les femmes, fidèles à leur identité propre, se sentent désormais partie prenante de l’évolution de la société et de l’Église dans tous les secteurs de la vie humaine et chrétienne.  Loin de vouloir prendre la place de l’homme, elles cherchent tout simplement à prendre leur place selon leur vocation propre.

Pour la femme, promouvoir l’égalité ne veut pas dire remplacer l’homme comme dans un rapport de force où il y a un gagnant ou un perdant.  Vouloir vivre et travailler en égalité avec l’homme n’est que l’expression de l’essence même de la femme, être humain à part entière.

S’engager dans la solidarité

Travailler à établir l’égalité entre les hommes et les femmes, c’est une question de justice.  C’est pourquoi les femmes se rendent solidaires de leurs consœurs dans toutes les revendications où la justice est en cause.  Elles sont solidaires également quand il s’agit d’exprimer leur opinion sur des questions qui les concernent prioritairement la contraception, l’avortement, la violence faite aux femmes, les techniques de reproduction, l’amour, le mariage, etc. Aujourd’hui le discours tenu par les hommes est perçu comme venant du dehors, c’est-à-dire comme étant partiel et pas suffisamment crédible lorsque les femmes sont le sujet fondamental des questionnements et des recherches.

La solidarité implique l’engagement.  Dans la société et dans l’Église, on a vu se multiplier les groupes d’aide et les maisons d’accompagnement pour les femmes en difficulté financière, psychologique et autres.  La lutte contre toutes les injustices faites aux femmes, en particulier contre la pauvreté et la violence conjugale, fait partie du quotidien de beaucoup de femmes engagées dans la société et dans l’Église.  

L’apport spécifique des femmes dans l’Église

Depuis une quinzaine d’années, les femmes sont devenues participantes de la vie de l’Église dans des postes d’animation pastorale qui leur confèrent des responsabilités dans les communautés chrétiennes et dans les organismes diocésains.  La récente recherche-action effectuée par le Réseau Femmes et Ministères intitulée Voix de femmes, voies de passage  (L. Baroni, Y. Bergeron, P. Daviau, M. Laguë, Montréal, Éditions Paulines, 1995, 260 p.) démontre avec preuves à l’appui que les femmes sont de véritables agents de changements dans l’Église.

Si le visage de l’Église se transforme, ce n’est pas parce que les femmes se pensent supérieures aux hommes et possèdent un quelconque génie féminin.  C’est uniquement parce que leur apport, presqu’inexistant dans le passé, enrichit l’Église par les qualités propres à l’être féminin et les personnalités de chaque femme en particulier.  Le visage de l’Église reflète maintenant la contribution d’hommes et de femmes qui tentent d’œuvrer dans un véritable partenariat.

Ainsi les femmes, proches de la vie par leur nature, tiennent compte justement de la vie, du vécu quotidien des chrétiennes et des chrétiens dans leur manière d’éduquer la foi et d’évangéliser.  Soucieuse de solidarité, elles manifestent de la facilité à travailler en équipe et à faire des rassemblements dans les communautés chrétiennes. 

Enclines à être plus proches de la vie que des lois, les agentes de pastorale sont préoccupées par les questions d’éthique et de justice sociale.  Leurs questionnements dérangent les autorités et incitent à des transformations qui, avec le temps, deviendront effectives dans l’Église. 

Le droit d’être elles-mêmes

Les femmes qui prennent leur place dans la société et dans l’Église ont eu un long chemin à parcourir.  Un chemin qui se situe en premier lieu à l’intérieur d’elle-même, à la recherche de leur individualité et de leur identité.  Ce sont les premiers pas à franchir pour pouvoir trouver sa voie dans une société et une Église majoritairement dirigées par des hommes.

Lorsqu’elles s’en tiennent uniquement à leur destin et aux rôles qui découlent de leur nature, les femmes vivent une certaine aliénation et une sorte d’écrasement dans leur manière de vivre.  Mais en revanche, celles qui ont découvert leur vocation humaine et chrétienne à partir de leur être de femme  parviennent alors à l’accomplissement d’elles-mêmes et apportent une contribution légitime dans l’évolution de la société et de l’Église.

•    Extrait de Les femmes et l’Église, sous la direction de Denise Couture, Montréal, Fides, 1995

Rolande Parrot

A propos Rolande Parrot

Cofondatrice du réseau Femmes et Ministères, Rolande Parrot est au service de l’Église depuis plus de 40 ans, comme journaliste, directrice de la défunte revue « L’Église canadienne », responsable des communications (diocèse de Saint-Jean-Longueuil, Assemblée des évêques catholiques du Québec). Elle est récipiendaire du Prix Marie-Guyart (2008) pour sa fructueuse carrière de communicatrice en Église. Elle est l'auteure de nombreux articles concernant l'Église et la question des femmes en Église.
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