Un autre modèle d’exercice de la relation pastorale

Je suis agente de pastorale et donc une laïque mandatée par l’évêque du diocèse de Saint-Jérôme (Québec) pour répondre aux besoins d’une paroisse et ce, depuis maintenant 16 ans dans la région de Saint-Eustache. Après trois ans comme agente de pastorale, j’ai été nommée responsable de la plus petite paroisse du territoire. Deux ans plus tard, on me demandait de prendre simultanément la responsabilité de deux paroisses de Saint-Eustache pendant un an alors que se préparait, en janvier 2003, la fusion des quatre paroisses de la ville en une seule et grande paroisse. Je suis alors devenue la coordonnatrice de cette nouvelle paroisse qui est la plus grande de notre diocèse. Cette fusion, à la fois pastorale et administrative était en préparation depuis déjà quelques années. Nous sommes donc alors passés de quatre équipes pastorales, quatre conseils de fabrique et quatre équipes administratives, à une seule équipe pastorale mais aussi à un seul conseil de fabrique et une seule équipe de soutien. Il fallait donc que cela se prépare, au niveau de l’organisation naturellement mais aussi au niveau des mentalités.

Responsable de paroisse ou coordonnatrice?

D’abord pour les différences entre responsable et coordonnatrice: Le plus souffrant a été qu’on réduisait notre rôle d’animation spirituelle d’une paroisse (donc de pasteur) à  un rôle d’animation (pure). On enlevait donc le caractère spirituel de notre tâche.

Ensuite, logiquement, c’est le rôle de coordination qui s’élargit avec le nouveau titre de coordonnatrice en nous donnant entièrement la responsabilité de l’équipe pastorale et du plan d’action paroissial et pastoral. Finalement, dans le rôle d’administration qui nous incombe,  la responsabilité des liens entre les marguilliers et les autres équipes de la paroisse ainsi que la responsabilité des membres du personnel de soutien devient clairement sous la coordonnatrice. De plus, la majorité des coordonnatrices sont aussi présidentes du conseil de Fabrique et, avec les marguilliers, voient à la gestion des budgets. Donc pour résumer les trois aspects du rôle de la coordonnatrice : Animation, coordination et administration.

Le prêtre modérateur

Une petite précision d’abord. Dans les deux description de rôles, aussi bien dans la description du prêtre que dans la mienne, il est dit qu’il doit exister un lien très étroit entre le prêtre modérateur et la coordonnatrice. Il y a donc dans cette relation, des exigences particulières au niveau d’une collaboration étroite.

Voici maintenant les principaux éléments de la description du rôle du prêtre modérateur qui se divise aussi en trois points :

Il est d’abord ministre de la Parole et comme tel doit veiller à ce que tout soit fait dans la fidélité à la Tradition et à l’enseignement de l’Église.

Il est ministre des sacrements.

Et finalement il est pasteur et ainsi, est celui qui répond à l’évêque. On dit qu’en tant que pasteur, il doit participer aux équipes de la paroisse et y apporter un soutien spirituel mais on ne fait pas référence à une proximité avec les paroissiens et paroissiennes. 

De plus, au point de vue administratif, il est membre d’office naturellement du Conseil de Fabrique.

Diocèse

Je tiens d’abord à exprimer ma gratitude à Mgr Charles Valois. C’est vraiment grâce à cet homme audacieux, visionnaire, cet homme qui croyait qu’une diversité de ministères vécus en coresponsabilité entre prêtres et laïcs permettrait une Église plus dynamique, que le diocèse de Saint-Jérôme a été pendant si longtemps innovateur et avant-gardiste.

Dès 1980, une ordonnance pour les conditions de travail est mise en place dans notre diocèse et déjà six laïques sont responsables de paroisse.  En 1986, Mgr.Valois reconnaît comme une instance officielle le Conseil des agents et agentes de pastorale laïques (équivalent du presbytérium) . En 1993 dans le dernier rapport de Mgr Valois, il y avait dans le diocèse cent deux prêtres et cent soixante-trois laïcs dont 80% étaient des femmes.

Naturellement, comme partout ailleurs, le diocèse de Saint-Jérôme doit gérer la décroissance et la diminution de ses effectifs pastoraux. En 2011, nous relevons dans notre diocèse vingt-quatre paroisses seulement (la très grande majorité ont été unifiées), trente prêtres sur les soixante-dix-neuf vivants sont nommés dans les paroisses. Les autres sont retraités et certains rendent des services dans le cadre de ministère occasionnel. On trouve aussi soixante-sept agents ou agentes de pastorale dont douze sont coordonnatrices.

Malgré tout nous continuons ensemble de demeurer créatifs pour tenter de continuer et même de toujours mieux répondre aux besoins du Peuple de Dieu.

Partage des dossiers

Je vais aborder maintenant mon expérience personnelle.

De façon très concrète, je vous parle un peu du partage des dossiers entre le prêtre modérateur et moi.

Je suis responsable de toutes les équipes de la paroisse. C’est donc moi qui gère l’ensemble du personnel. L’équipe pastorale étant la principale équipe, nous mettons en place ensemble les plans d’action annuels. Nous avons des rencontres régulières aux deux semaines environ.

Il y a plusieurs équipes bénévoles dans notre paroisse qui sont aussi de ma responsabilité. Je vois à les réunir, les former, les accompagner…

Et naturellement tout le bloc administratif est aussi sous ma responsabilité et c’est d’ailleurs très exigeant.

Je suis aussi responsable du dossier de communication (journal hebdomadaire, site web).

De par ma formation, j’offre aussi de l’accompagnement spirituel et depuis cette année, j’ai ajouté à ma tâche l’accompagnement des adultes qui demandent la confirmation.

Je suis présente à toutes les célébrations spéciales dans l’année et deux fois par mois aux célébrations dominicales afin de garder un contact vivant avec les membres des assemblées. J’y prends régulièrement la parole pour les informer.

Le prêtre modérateur est présentement responsable des dossiers mariage et du dossier de l’accompagnement des aînés ou des malades. Il est naturellement responsable du dossier liturgie, dossier dans lequel je participe pour l’élaboration des célébrations spéciales ou des temps forts. Naturellement il est ministre des sacrements. Comme nous avons quatre communautés chrétiennes, il a le soutien d’un ministre occasionnel mais il est présent au moins deux fois par mois dans chacune des communautés. Il fait la majorité des homélies. De plus, en autant que c’est possible, il participe aux rencontres des équipes, minimalement l’équipe pastorale et le Conseil de Fabrique. 

Quelques conditions gagnantes à partir de ma propre expérience et celles d’autres dont j’ai été témoin.

Un premier élément important pour le succès d’une telle aventure : avoir la bonne personne au bon endroit. La personne à qui on demande d’être coordonnatrice doit posséder certaines qualités de base dont un leadership naturellement, des qualités relationnelles, des connaissances ou, au moins, des aptitudes en administration.

Pour le prêtre, en plus de ses qualités de base, le plus important selon moi est de posséder l’ouverture et la volonté d’accepter que son rôle changera et qu’il devra partager des responsabilités qui ont été longtemps siennes seulement. J’ajouterais qu’au moins l’un ou l’autre doit être visionnaire, capable d’organisation et de planification.

Le premier prêtre avec qui j’ai travaillé croyait de façon sans équivoque à l’importance des laïcs et à leur engagement à plusieurs niveaux. Il démontrait une très grande ouverture à cette expérience qui, pour lui, était la deuxième. Nous avons travaillé ensemble pendant trois ans. Cependant, son âge et son engagement à temps partiel comme prêtre de communauté faisait en sorte qu’il était peu présent aux paroissiens et paroissiennes, peu présent à moi qui débutais et avais tout à apprendre. Il était cependant très respectueux de mon rôle et mettait peu ou pas d’entraves à mes initiatives. J’ai pris un rôle de pasteur, presque par la force des choses puisque j’étais moi présente et je dois admettre que mon cœur de pasteur était comblé. Je dirais que cela a été pour moi une expérience d’apprentissage parfois difficile mais tout de même enrichissante. Je me suis découvert des forces et des talents nouveaux.

En août 2002, alors que la fusion ou l’unification des quatre paroisses en une seule était prévue pour janvier suivant, une nouvelle relation de coordonnatrice et de prêtre modérateur s’établissait. Le prêtre avec qui j’étais alors appelée à travailler était plus jeune et malgré une influence moins grande de Vatican II sur sa vision d’Église, démontrait quand même dès le départ une belle ouverture à cette nouvelle collaboration. Il était alors curé de la paroisse mère et donc avait des liens privilégiés avec cette communauté. Il a accepté de délaisser ce rôle de curé pour travailler avec une coordonnatrice. Il a été d’un très grand soutien particulièrement en me laissant une grande place surtout au sein de la communauté de Saint-Eustache qui avait été habitué à avoir leur curé et qui accueillait pour la première fois une femme leader de leur communauté. Nous avons travaillé ensemble pendant neuf ans. Au fil de ces années, naturellement il y a eu des hauts et des bas… énormément de dialogue, d’échanges puisque nous nous étions donné certaines règles dont la principale :se dire les choses au fur et à mesure. Cela n’a pas été toujours facile pour lui de laisser aller le « prestige » du curé et de partager la parole avec une femme. Je sentais que c’était souvent un choix qu’il avait à faire et refaire mais il l’a fait en grande partie avec beaucoup de grâce. Nos personnalités et nos charismes étaient différents mais se complétaient bien. Nous avons su partager nos responsabilités à partir de ces différences et le respect de l’autre devait toujours être au rendez-vous. Nous avons développé une grande complicité, une responsabilité véritablement partagée et éventuellement une amitié qui dure encore. Et là encore, j’ai pu continuer à assumer un véritable rôle de pasteur dans nos quatre communautés chrétiennes toujours vivantes.

Depuis août dernier, je travaille avec un nouveau prêtre. L’expérience est récente et nous sommes toujours en rodage. C’est un homme très différent de son prédécesseur; c’est un prêtre qui s’implique à tous les niveaux. Il est aussi passionné que moi et quoique nous ayons des forces très différentes nous partageons aussi des talents communs et il y a donc un danger plus grand pour nous deux de nous retrouver à faire les mêmes choses. En même temps, je sens de sa part comme de la mienne l’ouverture nécessaire à faire les ajustements qui s’imposent. Je me sens bien épaulée et je suis convaincue que, autant que le prêtre avec qui j’ai collaboré durant neuf ans était l’homme de la situation pour permettre le passage à l’unification et vivre ces premières années avec douceur, autant ce nouveau collaborateur est aujourd’hui l’homme de la situation pour faire face aux très grands défis qui nous attendent maintenant.

Pour résumer les conditions essentielles sont : la volonté des deux personnes à travailler ensemble, accepter de faire les efforts nécessaires pour maintenir la communication et le respect et pour viser l’acceptation de l’autre. J’ajouterais qu’une vision semblable est importante. (Il faut réaliser qu’il appartient quand même aux deux responsables d’influencer la vision pastorale qui guidera les actions d’une paroisse. C’est selon moi, un des rôles les plus importants qui nous incombe). Et finalement, j’ajouterais qu’une certaine chimie entre les deux, même si elle n’est pas absolument nécessaire, facilite grandement les rapports.

Équipe pastorale

En plus des qualités premières et de la relation essentielle à bâtir entre la coordonnatrice et le prêtre modérateur, je dirais qu’un élément très important est aussi la force de l’équipe pastorale. Solidaires les uns des autres nous pouvons faire avancer des choses.

Je pense entre autres au fait que notre équipe s’est tenue debout pour continuer d’offrir à nos paroissiens et paroissiennes le sacrement du pardon avec absolution collective alors que notre évêque avait aboli la pratique.

Malheureusement aujourd’hui, réalités financières le voulant, notre équipe pastorale a diminué. En plus du prêtre et de moi-même, nous avons aujourd’hui six agents de pastorale dont deux sont bénévoles. Comme équipe nous tentons de nous rencontrer au moins une fois par deux semaines alors que Michel et moi nous rencontrons au moins une fois par semaine pour garder le contact et assurer un suivi de nos actions.

Les paroissiens et paroissiennes

 Avant l’unification,  trois des quatre communautés de notre paroisse avaient déjà des responsables laïques et une équipe pastorale. Mais dans la paroisse mère, c’était du jamais vu et de plus, les membres de cette communauté sont plus âgés et surtout plus traditionnels. Je dois admettre que cela n’a pas été facile. J’étais perçue comme une intruse et les gens recouraient très peu à moi. C’est là que l’ouverture et le soutien du prêtre modérateur a été des plus précieux. Ce fut une phase importante. Neuf ans plus tard les gens appellent encore le prêtre curé mais ils savent très bien que je suis là. J’ai fait ma place et en très grande majorité les gens m’apprécient et reconnaissent mon apport important à la vie de la paroisse.

Des responsabilités réelles aux paroissiens et paroissiennes.

Afin de respecter notre souhait de conserver vivantes chacune des quatre communautés de notre paroisse, nous avons dû faire des choix en conséquence. Nous avons mis en place une nouvelle structure, qu’on a appelée équipe d’animation dans chacune des communautés. Un membre de chacune de ces équipes est responsable de la liturgie, un autre de la fraternité et un autre de l’engagement social mais elles forment une équipe et travaillent ensemble. Elles sont le lien essentiel entre les responsables de la paroisse et les communautés.

Deux ans après l’unification, nous avons aussi mis en place un conseil d’orientation afin de soutenir le prêtre et moi ainsi que les membres de l’équipe pastorale et voir avec eux les orientations que nous souhaitions prendre à la paroisse Saint-Eustache.

Nous avons donc, par ces équipes, élargi le schème traditionnel en offrant de plus en plus à des personnes bénévoles des responsabilités réelles. Tout ne repose plus seulement sur le prêtre et la coordonnatrice, ni même sur l’équipe pastorale mais bien sur l’ensemble de ces équipes, à partir de leurs responsabilités différentes et complémentaires

Il ne faut pas se leurrer, l’avenir est peu prometteur en fait de ressources aussi bien humaines que financières et nous avons à composer avec une Église qui reposera en grande partie sur un engagement réel des personnes. Je dis souvent à l’équipe pastorale qu’éventuellement nous serons tous et toutes des coordonnateurs et des formateurs de bénévoles.

Évaluation plus globale de l’expérience

Des expériences semblables sont vécues dans douze des vingt-quatre paroisses du diocèse de Saint-Jérôme et je crois que la majorité d’entre elles  sont positives. Les gens sont de plus en plus conscients des réalités et s’ouvrent à ces nouvelles façons de faire. Il demeurera toujours un très grand respect pour les membres du clergé mais il existe aussi une reconnaissance de plus en plus grande de l’apport des laïcs dans l’Église d’aujourd’hui.

Conclusion

Pour terminer, à la question de ce colloque Vivons-nous dans une Église sans pasteurs?, j’oserais dire non parce que ce rôle, selon moi, appartient aujourd’hui à beaucoup plus de personnes que les prêtres. Il ne faut pas viser les immenses communautés chrétiennes et plutôt susciter à l’intérieur d’elles des leaders (des pasteurs). Il faut redécouvrir l’intuition de Vatican II que l’Église c’est nous et que chaque baptisé a non seulement un rôle mais aussi une responsabilité de participer à cette Église à partir des charismes qu’il ou elle a reçu.

Si l’Église officielle ne peut pas soutenir nos efforts en faisant des changements drastiques nécessaire, tels que l’ordination des hommes mariés et des femmes, pouvons-nous espérer au moins une refonte du droit canon. Pouvons-nous espérer des évêques qui osent eux aussi se lever debout et exprimer une dissidence respectueuse afin de se sentir plus libres de prendre en considération les réalités du peuple pour lequel ils sont les premiers pasteurs?

Et si cela aussi  est impossible, pouvons-nous entre nous oser cette dissidence en favorisant dans nos paroisses au moins certaines décisions qui font sens avec les réalités qui sont les nôtres, comme la décision de conserver nos célébrations du pardon avec absolution collective ou encore celle de conserver ouvertes nos quatre communautés chrétiennes et d’y accompagner et y former des personnes pour présider des célébrations de la  Parole dominicales mensuelles afin de favoriser le rassemblement du dimanche même si nous n’avons pas les prêtres nécessaires. Pouvons-nous faire des choix qui tentent d’assurer et de former la relève de nos communautés chrétiennes.

Je suis persuadée que les leaders de paroisse, s’ils ont la volonté et l’audace et se sentent soutenus par des personnes comme vous, peuvent susciter des décisions qui assureront cette relève. Naturellement, il nous faut aussi investir dans  un tournant, un tournant vers les adultes, en favorisant les groupes de partage de foi, des groupes d’évangile, des groupes de réflexion sur la foi, des formations pour les adultes etc. afin d’aider des hommes et des femmes à découvrir, à articuler leur foi pour éventuellement les inviter à entendre un appel à participer à la vie de leur communauté et en devenir des pasteurs à leur façon. Pour cela, il nous faut investir nos effectifs réduits vers les adultes de nos communautés et leur offrir le plus de lieux ou d’outils possibles afin qu’éventuellement ils entendent l’appel qui est le leur.

Entre temps, mon appel à moi est clair et je tente d’y répondre au quotidien et j’ajouterai que je suis très fière du visage d’Église et du visage de Dieu que la paroisse Saint-Eustache propose.

 Ce texte a été présenté le 7 mai 2011 au colloque du réseau Culture et Foi : Une Église sans pasteurs? et publié sur le site de Culture et Foi . Il est reproduit avec les permissions requises.

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