La Bible et les femmes

Il y aura bientôt 33 ans, Jean Paul 1er, ce pape au court pontificat, avait osé évoquer Dieu/e comme notre mère. « Il est notre père; même plus, il est notre mère[1] », avait-il énoncé lors de l’angélus à Saint Pierre de Rome. Une telle affirmation avait dû en surprendre plusieurs. Pourtant, le/la Dieu/e[2]  de la Bible n’est ni homme ni femme. Il est le Tout-Autre. Et il prend souvent le visage d’un père. Mais, dans plusieurs versets, Dieu/e prend également le visage d’une femme. Il se présente, entre autres, sous les traits d’une sage femme (Is 66, 9), d’une mère en train d’accoucher (Is 42, 14), d’une mère qui allaite (Is 66, 12). Jésus se compare même à une mère poule qui veut rassembler ses poussins (Mt 23, 37; Lc 13, 34). Paul compare son travail de pasteur à celui d’une mère qui nourrit ses enfants et leur prodigue tous ses soins (1 Th 2, 7b.11 12a). Et il vous fera sans doute plaisir d’apprendre, vous Amis de Saint-Benoît, qu’une dévotion à Jésus notre mère, a été cultivée par des moines cisterciens du XIIe siècle et qu’un moine bénédictin, Anselme de Canterbury (1033-1109), a écrit une prière où il présente Jésus comme une mère pour l’âme :

Mais vous, Jésus, Seigneur bon, n’êtes-vous pas aussi une mère? N’êtes-vous pas aussi cette mère qui, comme une poule, rassemble ses poussins sous son aile? Vraiment, maître, vous êtes une mère. […] Vous m’avez donné naissance […] par l’enseignement qui vient de vous […]. (Bynum, 1982; citée par Dumais, 1989, p. 139 140)

Comme vous pouvez le constater, le thème « femme » est très présent dans la Tradition de l’Église et je dois dire que, de mon côté, il a occupé plusieurs heures de travail, de recherches et de réflexion tant dans mon engagement pastoral que dans mes études en théologie. Car il est presqu’impossible, comme femme, d’œuvrer en pastorale sans s’interroger sur la place et le rôle des femmes dans la société et dans l’Église. Et on se tourne inévitablement vers la Bible pour y chercher un éclairage. Pendant mes études, j’ai appris à lire la Bible autrement et je me suis, d’une certaine façon, réconciliée avec le peu de place qui y était faite aux femmes. Ces études comme mes nombreuses lectures m’ont permis de développer une compréhension des textes bibliques qui rende davantage justice aux femmes. Vous comprendrez pourquoi le langage utilisé pour nommer Dieu/e et les textes qui évoquent des femmes dans la Bible me sont chers. Aujourd’hui, à l’intérieur de ce moment de rencontre qui nous est alloué, je m’arrêterai avec vous au contexte à l’intérieur duquel la Bible a été écrite, puis je vous présenterai certaines femmes importantes de la Bible.

1- Contexte de la Bible

Jusqu’au concile Vatican II, dans l’Église catholique, la Bible était peu accessible aux laïcs, hommes et femmes. Seuls les clercs étaient encouragés à lire la Bible. Et on en faisait le plus souvent une lecture littérale. Ce qui était écrit devait être accepté au sens strict comme la parole directe de Dieu/e. Par contre, au milieu du XIXe siècle, certains spécialistes de la Bible ont commencé à étudier le contexte et le style de rédaction de la Bible et ont tenté différentes interprétations qui leur apparaissaient plus adéquates. Mais à la fin de ce siècle, la crise du modernisme a mis fin, dans l’Église catholique, à toute recherche scientifique au plan biblique. Ce n’est qu’en 1943 que le pape Pie XII a ouvert à nouveau les portes à l’exégèse moderne. (L’exégèse, c’est l’étude approfondie et critique d’un texte à partir de méthodes reconnues; elle vise une bonne interprétation du sens du texte). Le concile Vatican II a approuvé les méthodes exégétiques pour étudier la Bible (Brisebois, 1983). Il a aussi permis aux laïcs, hommes et femmes d’avoir accès aux études bibliques et théologiques. C’est ce qui me permet d’ailleurs d’être ici aujourd’hui pour vous parler de la Bible et des femmes.

Aujourd’hui, la Bible, ne peut plus être lue de façon littérale dans l’Église catholique. Rome met en garde contre une lecture fondamentaliste de la Bible (Commission biblique pontificale, 1994, p. 6). Oui, la Bible est la Parole de Dieu, mais une parole qui passe par des rédacteurs humains. Elle a besoin d’écoute et d’analyse approfondie pour bien saisir et comprendre le sens du message véhiculé.

Pour les personnes qui seraient moins familières avec la façon dont la Bible a été écrite, je prendrai quelques moments pour apporter un certain éclairage. Puis, je montrerai l’apport des femmes à une compréhension plus juste, plus « équitable » de ce qui les concerne dans les écrits bibliques en mettant l’accent sur leur contribution à l’exégèse et à la théologie. Car les femmes ont elles aussi été des agentes importantes du changement dans ces domaines.

1.1 Sa rédaction

Prenons quelques instants pour regarder comment la Bible est organisée, pour connaître le contexte dans lequel évoluent ses auteurs et les situer.

1.1.1 Organisation

Vous savez sûrement que, contrairement à ce qu’on en perçoit dans un premier coup d’œil, la Bible n’est pas un livre avec plusieurs chapitres, mais le regroupement de plusieurs livres. La Bible, c’est une bibliothèque; « ta biblia », en grec veut effectivement dire « bibliothèque ». Et cette bibliothèque comprend des livres de différents genres littéraires et de longueurs variées. Il y a des lettres, des poèmes, des récits, des contes…  Ils sont écrits à différentes époques et n’apparaissent pas nécessairement dans l’ordre qu’ils ont été écrits. Leurs styles différents répondaient à des objectifs différents. À travers ces livres, on voulait transmettre ce qu’on percevait comme passage de Dieu.

1.1.2 L’auteur

On dit de la Bible qu’elle est un livre inspiré par Dieu/e. Mais Dieu/e n’a pas tenu la main de ses auteurs, ni soufflé les mots dans leurs oreilles. L’Esprit a permis que des gens relisent leur vie ou celle de leur peuple pour en comprendre le sens et qu’ils en viennent à se dire : « Dieu/e est là-dedans ».  Ce qu’ils ont compris, ils ont voulu le transmettre, oralement d’abord; puis ils ont souhaité le fixer dans quelque chose de tangible qui pourrait traverser le temps. Les auteurs de la Bible étaient des êtres humains de sexe masculin qui vivaient dans une société dominée par les hommes. Eux seuls avaient accès au savoir. Il est normal qu’ils aient transmis des histoires d’hommes, normal également qu’ils aient peu parlé des histoires de femmes… Si on y parle peu des femmes, il ne faut pas en déduire qu’elles en étaient absentes. C’est important de se le rappeler quand on lit la Bible.

1.1.3 Le contexte patriarcal

La Bible a été écrite dans un contexte où le petit garçon apprenait dès son tout jeune âge qu’il était le chef de la femme, son supérieur, et qu’il deviendrait l’autorité. Et la femme apprenait la soumission comme une attitude inscrite dans sa nature. Et cette idée s’est organisée dans un système, système qu’on nomme patriarcal. Les sociétés, les religions se sont construites sur ce modèle, le prenant pour une vérité de base en oubliant la présence sournoise de cette tradition patriarcale dans son organisation comme dans ses écrits. Ainsi des préjugés culturels reléguant la femme à un rôle passif dans l’Église en sont venus à se confondre avec la volonté de Dieu/e. Ils se sont infiltrés dans les références théologiques, s’y incorporant et parfois les supplantant en laissant croire qu’ils étaient la vérité. Et, au fil de l’histoire, des normes sociales basées sur la supposée supériorité de l’homme sur la femme ont de plus en plus influencé la vie de la chrétienté (Wijngaards, 2001/2005).

1.2 L’apport des exégètes et des théologiennes féministes

Lorsque des femmes ont pu avoir accès aux études en théologie, elles ont voulu, comme dans d’autres secteurs, pousser plus loin leurs réflexions concernant leur place et leur rôle, avoir des réponses à leurs interrogations, comprendre le statut inférieur qu’elles avaient dans l’Église. Certaines sont devenues spécialistes de la Bible et de la théologie. Elles se sont mises à poser des questions sur ce qui les concernait. Elles se sont rendu compte que l’ignorance fréquente de leurs paroles et de leurs gestes dans les textes ne voulait pas nécessairement dire leur absence dans les enjeux importants de la vie de la communauté, que ce silence n’était pas le signe de la volonté de Dieu/e. Il fallait apprendre à lire leur présence à travers des petits signes, des traces et rappeler que Dieu/e avait créé hommes et femmes en toute égalité, tel qu’il est écrit dès les premières pages du livre de la Genèse.

1.2.1 Pourquoi une théologie et une exégèse féministes?

Les femmes ont transformé la façon de faire de la théologie. Elles ont agi de telle sorte que ce ne soit plus uniquement une affaire d’hommes, une affaire de clercs. Des femmes détiennent maintenant des doctorats dans le champ de la théologie et des sciences religieuses. J’en ai répertorié 113 au Québec et au Canada français. Des femmes sont devenues très compétentes dans la théorie comme dans la pratique de la théologie et de l’exégèse. Elles ont apporté une façon différente de travailler les textes à cause des questions qu’elles se posaient. Elles se disaient en lisant certains textes bibliques : « Ça ne se peut pas que Dieu/e infériorise ainsi les femmes! ». Après s’être formées en théologie et en études bibliques, elles se sont mises au travail pour traduire et interpréter des textes. Certaines biblistes ont développé des stratégies de travail dans leur recherche de sens de certains écrits bibliques.

1.2.2 Comment s’articulent-elles?

Comment tout ceci s’est-il articulé? Les femmes chercheures dans ces domaines se sont mises à porter une attention particulière au fait que les auteurs des textes bibliques pouvaient avoir eu des idées préconçues, que ces présupposés avaient pu influencer leur façon d’écrire ce qu’ils voulaient transmettre et qu’il fallait les déceler pour comprendre le sens du texte. Elles ont également cherché à connaître l’influence qu’avaient eue les textes bibliques sur la légitimation de l’infériorisation des femmes. Elles ont ainsi pris conscience que certains textes bibliques étaient sources de discrimination envers les femmes et que ça ne devrait pas exister si la Bible est parole de Dieu/e (Schneiders, 1991/1995). Car ceux qui ont écrit la Bible, comme par la suite les exégètes, les biblistes, les professeurs et les prédicateurs, étaient jusqu’à très récemment des hommes et peu d’entre eux étaient sensibles à la question des femmes; ils avaient des présupposés induisant la supériorité des hommes. Les prédicateurs n’hésitaient pas, par exemple, à s’adresser à un groupe de femmes en disant : « Mes bien chers frères… ». Et ceux qui reconnaissaient l’égalité des hommes et des femmes se centraient sur une complémentarité mal comprise qui, dans les faits, limitait les possibilités des femmes. On retrouve dans cette catégorie les nombreux textes figeant le rôle de la femme dans une fonction maternelle physique, psychologique et/ou spirituelle, fonction qui limite l’ouverture possible à l’ensemble des responsabilité dans l’institution ecclésiale.

Les femmes théologiennes et exégètes ont donc peu à peu développé une attitude de soupçon devant les traductions des textes bibliques et ont adopté des stratégies pour provoquer des changements et faire évoluer la question. Elles se sont mises à l’œuvre pour retracer les mauvaises traductions ou les mauvaises interprétations issues du contexte patriarcal dans lequel elles avaient été produites.

Elle ont ainsi adopté des stratégies visant à épurer le sens qui avait été donné jusque-là aux textes sans tenir compte alors du paramètre « femme ». Elles souhaitaient rejoindre la vérité des textes et en offrir une interprétation plus juste. J’en évoque quelques-unes (Schneiders, 1991/1995). Il s’agit d’abord de bien traduire le texte. Parfois, le texte original a un sens qui inclut les femmes et les hommes et les traductions privilégient le masculin; c’est souvent le cas lorsqu’on traduit du grec au français, par exemple. Cette situation contribue ainsi à rendre les femmes invisibles des textes, ce qui est une manière de les rendre invisibles dans la société et dans l’Église. Il est donc nécessaire d’être vigilants en ce qui a trait aux traductions. Il est également important de mettre l’accent sur les textes au pouvoir libérateur pour les femmes. Certains textes, par exemple, permettent de montrer le rôle important joué par des femmes à l’origine de la chrétienté. Il est donc utile d’aller chercher ces textes et d’attirer l’attention sur ces passages où les femmes sont représentées de façon dynamique; que l’on pense aux passages qui évoquent la Samaritaine, Marie de Magdala, Phœbé, par exemple. Rendre les femmes visibles là où elles sont sous-entendues dans les textes bibliques est une autre des stratégies à utiliser pour rendre justice aux femmes. Quand on parle de l’humanité, par exemple, on se doit de préciser s’il s’agit d’hommes et de femmes. Une autre stratégie consiste à voir au-delà de ce que le texte livre dans une première lecture, à le situer dans son contexte. Ainsi, l’ordre des noms a son importance dans la Bible et le fait que Prisca, collaboratrice de Paul, soit nommée avant son mari Aquila peut indiquer qu’elle aurait joué un rôle plus important que lui dans l’animation de la communauté. Il importe évidemment d’être vigilants pour éviter les interprétations fausses; par exemple, Marie Madeleine, n’était pas une femme de mauvaise vie, telle qu’on nous l’a généralement présentée. J’y reviendrai plus loin.

Comme vous pouvez le constater, cette façon de faire de la théologie et de l’exégèse en se préoccupant des femmes permet une meilleure compréhension des écrits bibliques. Connaître la façon dont la Bible a été écrite est déterminant pour sa compréhension.

2- Des femmes importantes de la Bible

Après avoir situé brièvement le contexte de rédaction de la Bible, je vous présenterai maintenant certaines femmes importantes qu’on y retrouve et qui m’apparaissent particulièrement inspirantes. Les situer, vous donner un bref aperçu de qu’on sait d’elles et vous communiquer comment elles me rejoignent particulièrement sera ma façon de les sortir de l’ombre. Je vous parlerai de trois femmes du Premier Testament et de quelques autres du Second Testament. J’utilise ici, comme dans plusieurs milieux chrétiens, les expressions Premier et Second Testament plutôt qu’Ancien et Nouveau Testament par respect pour nos soeurs et frères juifs qui n’ont qu’un Premier Testament qu’ils ne considèrent pas du tout ancien.

2.1 Dans le Premier Testament

Dans le Premier Testament, écrit durant la longue période qui précède la venue de Jésus de Nazareth, trois femmes me touchent particulièrement, soit Sara, l’épouse d’Abraham, Miryam, la sœur de Moïse, et Débora, cette femme juge en Israël. Nous entendons rarement parler de ces ancêtres dans la foi, puisque peu de pages leur sont consacrées dans la Bible. De plus, on nous les a très rarement, sinon jamais, mentionnées dans les catéchèses et l’enseignement religieux que nous avons reçus.

2.1.1 Sara (Gn 11-12; 16-21)

Sara, nous la connaissons comme l’épouse d’Abraham que les trois grandes religions monothéistes, soit le judaïsme, l’islam et le christianisme, reconnaissent comme leur père dans la foi. Mais il ne faut pas oublier que Sara est notre « Mère dans la foi ». Cette belle femme stérile était du voyage avec Abram et Loth  lorsque Tèrah, le père d’Abram, décida de quitter la ville d’Our en Chaldée (l’Irak d’aujourd’hui) avec les siens pour aller au pays de Canaan. L’auteur de la Genèse reconnaît à Sara un rôle important; mais encore faut-il le voir. Dans le chapitre 16, on la nomme sept fois, ce qui est significatif. Le chiffre sept dans la Bible a le sens d’une plénitude. Comme Abram qui deviendra Abraham lorsque Yawh lui indique un changement de mission, Saraï, c’est-à-dire « ma princesse », deviendra Sara, c’est-à-dire « princesse ». Sara ne sera plus la propriété d’Abraham. Elle a une mission que Dieu/e lui confie en partenariat avec Abraham. « Je la bénirai mère de nations et de rois. » (Gn 17, 16), dira le Seigneur à Abraham. On annonce donc très clairement qu’elle sera mère d’une multitude malgré sa stérilité reconnue. Elle rira à l’annonce de ce qui semblait à ses yeux une impossible promesse. D’ailleurs elle nommera son fils, Isaac, ce qui veut dire « Il rit ». Isaac, c’est l’enfant du rire, l’enfant de l’impossible (Lacaille, 2003).  Dieu/e lui promet la fécondité et sera fidèle à sa promesse. Elle doutera de l’action de Dieu/e lorsqu’elle apprendra sa possible maternité. Combien de fois avez-vous entendu raconter que Sara serait mère d’une multitude comme Abraham en sera le père? Le texte est moins long qu’il ne l’est pour Abraham, mais il est là. Dans un milieu androcentrique, c’est-à-dire qui tourne autour de l’homme, cette mention est très importante.

J’aime bien m’arrêter à la mission de Sara. Premièrement, si elle n’avait pas été là, nous ne serions pas rassemblés ici aujourd’hui. Elle a joué un rôle déterminant dans notre histoire religieuse avec trois autres matriarches : Rebecca, Léa et Rachel. Et elle a le sens de l’humour. J’aime son rire. Son incrédulité rejoint la mienne à certaines heures, et probablement la vôtre. Elle finira par croire que « rien n’est impossible à Dieu/e », comme il est dit ailleurs (Lc 1, 37). Elle fera cette expérience, à savoir qu’au moment où Dieu/e a un projet pour nous, il n’a pas toujours notre logique…

Bref, Sara me rejoint par sa grande foi, son  humour. Comme Abraham et comme Marie plus tard, elle a dit oui. Et elle a ri de bon cœur à l’annonce d’une impossible naissance.

2.1.2 Miryam (Ex 2, 2-10; Nb 12, 1-15; Ex 15, 20; Mi 6, 4; Nb 26, 59; 1 Ch 5, 29)

Miryam, c’est la sœur aînée de Moïse. On entend très rarement mentionner son existence. Qui connaît le nom de cette Miryam dans la libération du peuple hébreu du joug des Égyptiens? C’est pourtant elle qui a permis que Moïse soit sauvé. Quand sa mère Yokèvèd s’est décidée à déposer son bébé de trois mois sur l’eau, il est écrit que sa sœur veillait plus loin pour savoir ce qu’on lui ferait (Ex 2, 4). Elle était rusée et déterminée cette petite Miryam qui devint une grande Miryam. Elle va jusqu’à proposer à la princesse qui le trouve de lui chercher une nourrice chez les Hébreux, nourrice qui sera sa mère biologique, Yokèvèd.

Miryam est un personnage important de l’histoire du peuple juif. Malgré le fait qu’elle soit une femme, on la mentionne dans la généalogie (Mi 6, 4; 1 Ch 5, 29; Nb 26, 59), ce qui est exceptionnel dans le contexte d’une société patriarcale : « Je t’ai fait sortir d’Égypte, de la maison des esclaves je t’ai racheté, je t’ai envoyé Moïse, Aaron et Myriam », peut-on lire dans le prophète Michée au chapitre 6 (Mi 6, 4). Sa filiation est évoquée comme celle de ses frères Aaron et Moïse dans le livre des Nombres (Nb 26, 59).

Miryam est reconnue et nommée comme prophète dans le livre de l’Exode (15, 20). C’est très significatif. Elle est la première femme de la Tora (nom donné au regroupement des cinq premier livres de la Bible) à se voir décerner ce titre, de même qu’Abraham est le seul homme à y être reconnu comme prophète (Gn 20, 7). Le saviez-vous? Il y a de bonnes chances que non, même si vous êtes une lectrice ou un lecteur assidu de la Bible. Si on ne s’y attarde pas, comme l’ont fait les premières femmes qui ont pu faire des études bibliques, on ne le voit pas.

Miryam est une rassembleuse, une meneuse, une semeuse de joie et d’espoir. Et le peuple le reconnaît. On ne l’aurait pas rapporté après toutes ces années, si on n’avait pas conservé ces données dans la mémoire du peuple. Après la traversée de la Mer Rouge, elle prend un tambourin dans sa main et entraîne les femmes derrière elle pour une danse au rythme d’un chant de louange :

Chantez pour Yhwh,
Car pour triompher il a triomphé,
Cheval et cavalier, il flanque à la mer »(Ex 15, 20 21)

Ce fut la première pâque, la première fête de la traversée et du passage de Dieu/e, le point de départ d’une  longue route pour le peuple hébreu.

Miryam est une femme consciente que Dieu/e parle à travers elle comme à travers Moïse. C’est une femme au franc-parler qui prend la parole et ose intervenir avec Aaron pour contester un choix de Moïse (Nb 12, 2). Elle se retrouvera avec la lèpre après cette contestation. Mais, événement significatif son peuple ne veut pas repartir sans elle. On l’aimait beaucoup : le peuple n’a pas repris sa marche avant qu’elle ne soit guérie et ait réintégré la communauté.

J’aime la ruse, la détermination, la ténacité de cette Miryam comme ses qualités de rassembleuse d’ailleurs. Elle est de la même envergure que cette Débora dont je vais maintenant vous parler.

2.1.3 Débora (Jg 4-5)

Qui parmi vous connaissez Débora?… Débora, l’« abeille », comme son nom l’indique, évoque sans doute un esprit d’initiative et un bon sens d’organisation (Lépine, 1990, p. 18). Mais ce nom rappellerait aussi l’harmonie, par sa racine hébraïque qui est la même que celle des verbes « parler », « communiquer » (L’Église au féminin).

Débora est prophète et juge d’Israël à qui le peuple reconnaît l’intelligence et la capacité de discerner et d’éclairer.

Elle est la seule femme mentionnée comme juge dans la Bible (Jg 4, 5). À ce titre, elle est considérée comme une rassembleuse chargée de libérer, de gouverner, de nourrir, de gérer des conflits, de juger les habitants de son petit territoire qui lui font confiance (Myre, NTB, intro et notes, p. 2277). C’est le sens donné au mot « juge » dans le contexte biblique. Débora y inclut même une fonction maternelle qu’elle évoque dans un hymne de reconnaissance qu’elle chante avec le chef des armées après la victoire (Jg 5, 7).

Débora est aussi considérée comme prophète. Le prophète en Israël est quelqu’un qui parle au nom de Dieu/e, secoue les individus et les groupes pour leur rappeler le chemin qu’ils doivent prendre quand ils se sont fourvoyés. Et c’est ce que fait Débora. Dieu/e la choisit pour faire connaître son projet à son peuple, Israël, pour l’encourager à le réaliser et à dénoncer aussi tout ce qui pouvait l’entraver. … À travers elle et Yaël, une autre femme, Dieu/e vient au secours de son peuple (Lépine, 1990, p. 18).

Débora avait un leadership et un rôle assez important pour avoir une sorte d’ascendant sur Baraq, le chef des armées. Elle le rappelle à l’ordre pour aller au combat (Jg 4, 6). Et il n’acceptera que si elle accompagne les troupes. Ils partent donc ensemble combattre l’armée ennemie. Sisera, le chef de l’armée rivale, s’enfuit. Et c’est une autre femme, Yaël, qui lui tendra un piège et sauvera son peuple.

Je vous ai présenté des figures déterminantes de l’histoire d’Israël : Sara, Miryam et Débora. Il y en a d’autres. Malheureusement, nous en entendons très rarement parler. Nous connaissons davantage les femmes du Second Testament, plus proches de nous; mais le discours qu’on tient sur elles est parfois  déformé ou incomplet.

2.2  Dans le Second Testament

Nous allons maintenant nous arrêter à quelques femmes très proches de Jésus et de son message : tout d’abord Marie, la mère de Jésus, puis Marie de Magdala, l’« apôtre des apôtres », de même que la Samaritaine et quelques autres.

2.2.1 Marie, mère de Jésus (Lc 1, 26-56; Ac 1, 12-14; 2, 2-4)

Marie, mère de Jésus, on en parle peu dans les Évangiles. Nous la connaissons comme celle qui a dit oui, une femme plus que soumise et dans l’ombre de son fils. Mais on n’a pas toujours insisté sur le sens réel de sa soumission, soit « être à l’écoute de » ce que Dieu/e a comme désir pour elle à travers son projet pour l’humanité.

Marie, c’est une femme qui s’affirme, qui se tient debout, qui dit oui au projet de Dieu/e et ne se contente pas de paroles doucereuses. C’est par elle que Jésus a été éduqué, rappelons-nous. Soumise à la volonté de Dieu/e, oui elle l’est, mais sa soumission implique des prises de position et des actions très engageantes. Rappelons-nous que c’est dans sa bouche qu’on a mis les audacieuses paroles du Magnificat qu’Anne, la mère « stérile » de Samuel, avait prononcées plusieurs siècles auparavant (1 Sm 2, 1-10) :

Je reconnais la grandeur du Seigneur, par Dieu qui me sauve , je jubile. […] De son bras, il fait œuvre de puissance et disperse les cœurs arrogants. Il détrône les souverains et élève ceux qu’ils ont piétinés. Les affamés sont comblés; les riches sont congédiés les mains vides. (Lc 1, 47; 51-53)

On reconnaît dans ces paroles un parti pris pour les opprimés, élément essentiel du message de Jésus.

Marie, c’est une mère. Elle contribue à l’éducation religieuse et humaine de Jésus. Elle l’accompagne et le supporte, au quotidien dans ses premières années de vie, puis à distance pendant la courte vie publique de celui-ci. Elle agit comme bien des mères, l’encourageant dans ses projets, espérant qu’il s’épanouisse et mette ses talents au service de Dieu/e et de l’humanité. Elle a foi en la mission de son fils qu’elle découvre davantage au fil des jours, des semaines, des ans et elle le suit jusqu’au bout.

Marie est aussi une partenaire de la fondation de l’Église, présente à ses origines. Elle était là dans la grande salle à la Pentecôte avec les disciples réunis qui ont accueilli l’Esprit. Ils étaient environ 120 personnes, comme les Actes des apôtres le mentionnent; et des femmes faisaient partie du groupe (Ac 1, 12-14; 2, 2-4). Marie, comme les femmes et les hommes présents, a reçu le dynamisme de l’Esprit qui les a propulsés en avant pour travailler à la construction de la communauté chrétienne.

C’est cette Marie active, dynamique, énergique tout en étant d’une grande intériorité et soucieuse des autres qui me rejoint. Elle prend la parole et assume personnellement cette parole. Elle est le plus souvent bien loin des images pieuses de mon enfance.

2.2.2 Marie de Magdala (Mt 27, 56.61; 28, 1; Mc 15, 40.47; 16, 1.9; Lc 8, 2; 24, 10; Jn 20, 1-2; 11-18)

Et l’autre personnage du Second Testament dont j’ai assez souvent entendu parler à l’église comme sur les bancs de l’école est Marie de Magdala, mieux connue sous le nom de Marie Madeleine, une déformation probable du mot « Magdaléenne ». On l’a longtemps considérée comme la « prostituée repentie ». Mais le récit biblique nous en présente un portrait bien différent. Nulle part dans l’Écriture elle est identifiée comme une pécheresse publique ou une prostituée. Elle avait été guérie d’esprits mauvais, c’est vrai. On parle de « démons ». Mais, dans la Bible, on évoque des démons quand on n’est pas capable d’expliquer l’origine du mal. Les « démons » seraient responsables de nombreuses maladies tant psychiques que physiques. S’il était sorti sept démons de Marie la Magdaléenne, c’est le signe qu’elle était, non pas une grande pécheresse, mais une grande malade (NTB, 1348). Le nombre sept, symbole de la plénitude, pouvait vouloir dire que sa maladie était très grave ou incurable. Mais au fil des siècles, on a transformé Marie de Magdala en convertie repentante du « péché de la chair » à cause de l’image de tentatrice, de séductrice attribuée à la femme; ce qui n’est pas dans le texte. On a confondu trois femmes : une femme de mauvaise vie non identifiée qui répandait du parfum sur les pieds de Jésus en Lc 7, 37, Marie de Magdala libérée de son mal au chapitre suivant en Lc 8, 2 et Marie de Béthanie, la sœur de Marthe et de Lazare, qui répandait elle aussi du parfum sur les pieds de Jésus en Jn 12, 3. On en a fait un seul personnage. Augustin, dans les années 400 (354-430), serait à l’origine d’une telle confusion et le pape Grégoire le Grand, dans les années 600 (595 apr. J. C.), aurait contribué à fixer cette image dans ses homélies. (Künstle, 1962, cité par Moltmann-Wendell, 1983/1984, p. 27)

Pourtant l’Écriture présente Marie de Magdala comme la principale témoin de la Résurrection, événement au cœur  de la foi chrétienne.  Elle est nommée comme telle dans chacun des quatre évangiles rédigés par des auteurs différents s’adressant à des communautés différentes. Ce qui laisse sous-entendre qu’il était impossible de l’exclure des récits de résurrection. C’est pour ça, qu’en dépit du fait qu’elle ait été une femme, on ne l’a pas oubliée.

Preuve de son importance, elle est toujours nommée en premier quand on l’évoque, sauf une fois en Jean alors qu’elle est avec Marie, mère de Jésus (Jn 19, 25). Et dans la façon d’écrire les textes bibliques, l’ordre de personnages est une façon d’indiquer l’importance qu’on accorde à quelqu’un au sein du groupe, comme on l’a vu précédemment. Ce peut être ici une façon de manifester le leadership  reconnu de Marie la  Magdaléenne.

Marie de Magdala avait répondu à l’appel du Maître à le suivre avec Jeanne, Suzanne et beaucoup d’autres. Et elle sera fidèle à cet appel, faisant route avec lui jusqu’à la fin, comme Luc le rapporte (Lc 8, 4). Elle cherchera alors à connaître l’endroit où on mettra le corps et préparera avec d’autres femmes les aromates et ce qu’il faut pour envelopper le corps. Et lorsque Jésus se manifestera à elle, elle répondra à l’invitation d’aller annoncer aux disciples qu’il était vivant : « Va dire à mes frères que je monte vers mon Père, votre Père, et mon Dieu, votre Dieu » (Jn 20, 17). Exceptionnel pour une femme de cette époque! L’appel reçu dépassait ce qu’on anticipait comme possible pour une femme et sa réponse a été bien différente des rôles traditionnels assumés par les femmes. Il n’y avait pas de mission plus grande. Jésus a confirmé sa mission d’« apôtre des apôtres », comme on la nommera au début de la chrétienté.  Marie de Magdala a joué un rôle majeur dans la transmission du message du Christ. Elle est une « cheffe » de file que nous connaissons peu en tant que telle.

Après ce trop bref survol de l’impact de Marie la Magdaléenne sur la communauté naissante, arrêtons-nous à un personnage sans nom, originaire d’une région exclue de la communauté juive, la Samarie.

2.2.3 La Samaritaine (Jn 4, 1-42)

Nous connaissons tous et toutes l’histoire de cette femme de Samarie à qui Jésus demande à boire. Là aussi, le souvenir de la femme aux cinq maris vient hanter notre imaginaire. Mais depuis quelques années, une autre interprétation laisse entrevoir une façon différente de lire et de comprendre ce texte. Elle nous est fournie par Sandra M. Schneiders, une religieuse américaine spécialisée en études bibliques, en théologie et en spiritualité. Je vous présente brièvement une interprétation possible du texte de la Samaritaine à partir de l’analyse de cette auteure.

La Samaritaine serait à ses yeux un personnage symbolique qui joue le rôle d’apôtre et de disciple. Elle représente les Samaritains revenus à Jésus grâce au témoignage de la communauté de Jean. Nous sommes loin de la fille facile ayant eu cinq maris… D’ailleurs le dialogue sur les cinq maris n’est pas, selon elle, un discours d’ordre moral puisqu’une telle situation était inconcevable dans cette culture. Il s’agit plutôt d’un discours symbolique : les cinq maris y rappelleraient davantage le culte aux dieux des cinq tribus étrangères constituant la Samarie et rapporté dans le deuxième Livre des Rois (2 R 17, 24). Le fait qu’elle n’ait pas de mari est, pour cette théologienne réputée, une image, une « métaphore prophétique » pour décrire la situation religieuse de son peuple à la recherche de son Dieu. C’est une image comme on peut en retrouver abondamment chez l’évangéliste Jean.

Au-delà de l’interprétation donnée à la question des cinq maris, une interprétation possible que j’aime bien, il ressort clairement des éléments éloquents et difficilement contestables dans ce texte de la Samaritaine. Nous allons les regarder.

Tout d’abord, Jésus s’adresse directement à une femme, ce qui est contraire à la coutume. Un juif ne peut adresser directement la parole à une femme dans l’espace public. Il ne peut être seul en présence d’une femme qui n’est pas la sienne. Et Jésus agit sans se préoccuper de cet interdit-là. Les évangiles évoquent régulièrement le fait que Jésus soit centré sur l’esprit de la loi plus que sur la lettre de celle-ci. Il franchit ici un tabou en demandant à boire à cette femme. Ce qu’il veut transmettre est suffisamment important pour qu’il aille au-delà d’une coutume établie.

Dans un deuxième temps, Jésus accepte de passer à un autre niveau d’échange et de participer à la discussion que la femme propose : c’est elle qui mène la conversation, qui amène les sujets. Avec elle, une femme, il a une discussion d’ordre théologique. Elle l’interroge sur son infraction à la loi juive et, à travers la conversation qui se déroule, elle devine qu’il est le Messie, qu’Il dépasse la loi juive. Elle affirme ses convictions et l’interroge sur le sens de ce qu’il dit. Ils échangent d’égal à égale jusqu’à ce qu’il lui révèle qui il est et qu’elle le reconnaisse comme prophète et messie.  C’est à elle, une femme, qu’il se définit le plus clairement. Il lui dit qu’il est le Messie (v. 25, 26),  le Christ (v. 29), le Sauveur du monde (v. 42) (Genest, 2000).

Cette Samaritaine devient la disciple qui écoute ce que le Maître a à lui apprendre, puis va enfin annoncer aux autres qui Il est. Elle laisse sa jarre, son instrument de travail, comme d’autres ont abandonné leur filet pour aller dire à ses frères et sœurs : « Ne serait-ce pas le Christ ? ».  Elle, une femme, devient ainsi apôtre auprès de son peuple. Ce n’est pas rien! Ils crurent à cause d’elle. Tel qu’il est écrit : « Beaucoup de Samaritains de cette ville lui avaient fait confiance sur la foi de la femme qui témoignait » (Jn 4, 39). Bref, sa parole permet à un groupe de gens d’en venir à croire en Jésus. Ils la suivent. Son ministère s’avère très efficace en Samarie, le pays des hérétiques aux yeux des Juifs. Si elle eût été un homme, nous aurions probablement entendu parler de son engagement comme d’un ministère important…

Un autre élément est intéressant à regarder, soit le groupe des disciples. Quand ils reviennent, ils sont étonnés de retrouver Jésus en discussion avec une femme. Ils ignorent la teneur des propos échangés, mais le message de considération pour cette femme traverse l’attitude de Jésus. Il existe une autre hypothèse sur le sens de ce texte, hypothèse que je me permets de vous livrer (Sandra S. Schneiders, 1991/1995). Cet événement pourrait être lié à la vie de la communauté de Jean à cette époque : le problème du rôle de la femme suscite probablement encore un chaud débat. L’épisode du retour des disciples manifeste le malaise de ceux-ci parce que la femme y est prise trop au sérieux et qu’ils craignent de perdre l’initiative et le contrôle de la mission de l’Église. Mais les paroles et les gestes de Jésus viennent redire aux hommes qu’ils ne peuvent revendiquer un privilège exclusif dans la mission. Les femmes en font partie.

En plus d’évoquer de façon plus intense le besoin que Dieu/e a de nous qui est exprimé à travers le « Donne-moi à boire » de Jésus, ce texte renferme un autre point qu’il m’apparaît important de souligner, soit l’absence de limitation reliée au sexe de la personne dans la mission confiée. Jésus ne dit pas : « Seul un individu de sexe masculin peut être envoyé »[3]   ou « peut être mon apôtre ». Elle est femme, il le sait et il ne se préoccupe pas de l’interdiction transmise par la loi juive de lui adresser la parole pour en faire son apôtre. Il est important de se le rappeler.

2.2.4 …et d’autres

Aux femmes que je viens de citer, je pourrais en ajouter d’autres sur ma liste. Je pense à la femme «non identifiée », sans nom elle aussi, courbée, voûtée, incapable de se mettre debout depuis 18 ans (Lc 13, 10-17).  Jésus lui permet de réintégrer la société de laquelle elle était exclue à cause de son handicap. Il lui permet de se relever, fièrement, et d’avancer dans la vie dignement.

Il y a également une autre femme qui est importante, celle qui a versé du parfum sur la tête de Jésus avant la Passion (Mc 14, 1-11). Marc est le premier à raconter l’histoire de cette femme qui a fait une onction sur la tête de Jésus, un geste prophétique qui est raconté immédiatement avant la trahison de Judas, dans l’évangile de Marc. Elle connaît sûrement bien Jésus puisqu’elle semble bien consciente de ce qui est sur le point de se passer. Au sujet de cette femme qui a osé s’introduire dans ce dîner de fête et « gaspiller » son précieux parfum sur Jésus, Jésus dit : « Je vous l’assure : partout, dans le monde entier, où sera proclamé l’Évangile, on gardera aussi la mémoire de ce qu’a fait cette femme » (Mc 14, 9).

On pourrait aussi parler de Marthe, sœur de Marie et de Lazare. Marthe est une femme active, animée par sa foi. C’est elle qui a insisté pour obtenir la résurrection de Lazare. Sa conversation avec Jésus est comparable à celle de Jésus avec la Samaritaine. Elle est une interlocutrice passionnée et exigeante dans son dialogue avec lui. Et elle fait, en Jn 11, 27, une merveilleuse profession de foi, aussi dense que celle de Pierre. Lorsqu’il dit : « Tu es le christ, fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16), ça ressemble beaucoup à ce que dit Marthe : « Oui, Seigneur, […], je crois que tu es Christ, fils de Dieu, envoyé dans le monde. » (Jn 11, 27). Sur la profession de foi de Pierre, on a fondé sa primauté… Même si les paroles de Marthe n’ont  pas eu autant d’impact que celles de Pierre, l’évangéliste Jean les a relatées dans une période de l’histoire où la parole d’une femme avait peu ou pas d’importance.

On peut difficilement passer sous silence Marie, sœur de Marthe, assise aux pieds de Jésus. Elle est dans la position habituellement adoptée par tout disciple en formation auprès d’un maître qui transmet des connaissances. Ici, le Maître c’est Jésus. Des interprétations suggèrent qu’elle serait ainsi installée, comme une disciple, fort probablement pour recevoir l’instruction nécessaire à la transmission du message de Jésus. Et Jésus l’instruit comme il le fait pour tout autre disciple (Lc 10, 38-42). Il confirme également l’importance qu’il lui accordait en l’autorisant à accéder à l’univers de la connaissance normalement réservé aux hommes.

Et, dans les premiers temps de l’Église, il y a Phœbé, bras droit de Paul à Cenchrée, port de Corinthe, et Lydie, cette fondatrice de communauté chrétienne à Philippes, ville située au nord-est de la Grèce actuelle.

Phœbé est ministre ou « diacre » (diakonos) et bienfaitrice de l’église de Cenchrée, comme Paul la nomme (Rm 16, 1-2). Il utilise le même mot «diacre» onze autres  fois, en se référant à des hommes. Son intention est claire : il veut dire qu’ils sont des leaders charismatiques de leurs communautés et des prédicateurs doués. On peut donc déduire que Phœbé était une ministre de la même façon que les hommes. On la nomme diakonos, comme eux, dans le texte grec; mais certaines bibles traduisent « diakonos » par « servante » lorsqu’il est question de Phœbé alors qu’elles parlent de diacres pour les hommes…

Il y a également Lydie, chef d’une église de maison à Philippes. On sait que dans les premiers temps de l’Église, les chrétiennes et les chrétiens se réunissaient dans les maisons pour prier et faire mémoire de Jésus. Les bâtisses églises n’apparaîtront que beaucoup plus tard avec l’accroissement du nombre de chrétiens et de chrétiennes. On dit que Lydie a été la première femme convertie par Paul en Occident. C’était une importante marchande de pourpre, un tissu de grande qualité (Ac 16, 11-15.40). Lydie était donc une femme d’influence (Chittister, p. 17). Son cœur s’est enflammé le jour où Paul a parlé le premier à un groupe de femmes réunies pour prier. Tant et si bien, qu’elle demanda à Paul de la baptiser… ainsi que sa maisonnée. Puis, un peu comme les deux disciples sur la route d’Emmaüs, elle a exhorté Paul à rester à son domicile. Ce fut le début de la communauté préférée de Paul, celle de Philippes. Et cette femme de courage a présidé à cette église-maison, malgré les nombreuses menaces de persécution, durant cette période (Ulterino, 2010/2011).

Marie, mère de Jésus, Marie de Magdala, comme la Samaritaine, la femme courbée, la femme disciple au pied de Jésus, sans oublier Marthe, Phœbé, Lydie, Priscille et bien d’autres ont joué un rôle crucial dans la transmission du message de Jésus. Malheureusement, on a tu leur ministère et accordé peu d’importance à leur rôle dans l’expansion du christianisme. Ces femmes présentées dans les évangiles et dans les Actes des Apôtres de même que Sara, Miryam, Débora et d’autres du Premier Testament ont avantage à être connues, comme vous avez pu le constater. Elles sont des femmes de foi qui ont su marcher sur des « chemins peu fréquentés » pour répondre à ce qui les animait profondément, à ce qu’elles percevaient comme un appel de Dieu/e à marcher vers une terre inconnue. Elles sont des femmes d’une grande liberté intérieure à l’écoute de leur intelligence et de leur cœur pour tenter de comprendre ce que Dieu/e attend vraiment d’elles comme contribution à son projet pour l’humanité. Leur mission a été reconnue par la communauté des croyants et des croyantes de telle sorte qu’elle a même été transmise aux générations futures à travers la Bible pourtant écrite dans un contexte patriarcal.

3-  Pour conclure : des femmes, sources d’inspiration pour aujourd’hui

Il est donc important de lire la Bible avec attention, d’être à l’écoute de ce que le texte veut nous dire et d’aller au-delà de ce qu’une première lecture nous révèle. On y fait parfois de merveilleuses découvertes comme, par exemple, l’importance de certaines femmes, même lorsque c’est exprimé en moins de mots, moins de pages que ce ne l’est pour des faits équivalents attribués à des hommes. Les femmes dont on parle dans la Bible devaient être réellement spéciales pour que les auteurs se sentent « obligés » de les évoquer aussi clairement malgré la culture patriarcale qui prévalait. On ne les remarque pas toujours d’un premier coup d’œil, mais elles sont là. On ne leur donne pas toute la place qu’elles pourraient avoir dans les célébrations dominicales; elles sont souvent exclues des lectures choisies. D’où l’importance de retourner lire des textes qui nous les font connaître.

Ces femmes qui ont engagé leur vie à la suite de Dieu/e demeurent des  sources d’inspiration, des modèles pour l’Église et la société d’aujourd’hui. Elles étaient libres et n’agissaient pas sous le registre de la peur. Elles étaient déterminées et ne se laissaient pas impressionner par le silence que la société attendait d’elles sur la place publique

Elles nous incitent, par leur attitude, à nous laisser propulser par la foi qui nous anime, à répondre, chacun et chacune que nous sommes, aux différents appels que la vie nous lance. Ces femmes nous invitent à y être attentifs, à nous laisser porter par la liberté du Souffle de Dieu/e.

J’aimerais, en terminant, vous laisser avec ces paroles de Lucie Lépine, une Québécoise très engagée en milieu populaire, auteure de Nos sœurs oubliées. Les femmes de la Bible :

« […] Dans la Bible, les femmes remplissent des fonctions prophétiques. […] On écoute Myriam. On a confiance en Débora. Mais, encore aujourd’hui, des femmes éveillent des consciences, parlent […] au nom du Seigneur, participent à la construction de la société et de l’Église en véhiculant des valeurs évangéliques.

Souvent, on ne les voit pas. On les ignore. Parfois, on les fait taire. On entend avec courtoisie leur discours, mais sans les écouter. Ou bien on les récupère.

Mais Dieu parle aux femmes aussi bien qu’aux hommes. À toutes les époques, […] nous avons à redécouvrir la Parole du Seigneur. […]

Nous avons rencontré quelques femmes extraordinaires de l’Ancien [Premier] et du Nouveau [Second] Testament. Des femmes qui ont posé des gestes remarquables, malgré le contexte social du temps qui leur donnait peu de place. Depuis, on les a ignorées (et il y a de ça  plus de deux mille ans…; il ne faudrait pas accuser les femmes d’impatience). De plus, Jésus est venu nous parler d’un Dieu qui veut des êtres humains libres et égaux. Son message a-t-il traversé les siècles? (Lépine, 1990, p. 24, p. 59)

Conférence donnée lors d’un déjeuner-causerie organisé par Les Amis de Saint-Benoît-du-Lac, région Asbestos le 12 mai 2011


NOTES 

[1] Trad. de l’auteure. Texte original : « He is our father ; even more he is our mother ».

[2]   Cette façon particulière d’écrire Dieu/e est un choix de l’auteure ; elle permet d’évoquer la représentation à la fois féminine et masculine du/de la Dieu/e de la Bible.

[3] Référence au no 1024 du code de droit canonique : « Seul un homme baptisé reçoit validement l’ordination sacrée. »


RÉFÉRENCES

BIBLE, LA (2001). Paris/Montréal : Bayard/Mediaspaul.

BRISEBOIS, Mireille (1983). Des méthodes pour mieux lire la Bible – L’exégèse historico-critique. Montréal/Paris : SOCABI/Les Éditions Paulines et Médiaspaul.

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CHITTISTER, Joan (2007). L’amitié entre femme (Trad. : Albert, Beaudry).  Saint Laurent : Éditions Bellarmin. (L’ouvrage original a été publié en 2006).

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Jacob Pauline
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A propos Jacob Pauline

Responsable du site du réseau Femmes et Ministères de 2007 à 2024, Pauline Jacob, théologienne féministe, poursuit depuis plus de 25 ans des recherches sur l'ordination des femmes dans l’Église catholique. Elle détient un Ph. D. en théologie pratique et une maîtrise en psychoéducation de l’Université de Montréal. Autrice d'« Appelées aux ministères ordonnés » (Novalis, 2007) et coautrice de « L’ordination des femmes » (Médiaspaul, 2011), elle a à son actif plusieurs articles.
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