Les femmes, messagères de la Résurrection de Jésus

Des femmes sont allées annoncer aux autres disciples que Jésus était toujours vivant, qu’il les précéderait en Galilée. Qui étaient-elles donc, ces messagères? Ces femmes qui, avec les Douze, le suivaient dès le début, Jésus les avaient sorties de leur misère, guéries de leur maux. S’agissait-il d’une maladie physique importante, d’un mal de l’âme ou d’une forme quelconque de dépression? Le récit de Luc, dès le début du chapitre 8 de son évangile, ne le dit pas. Ce qu’il indique, c’est qu’il les avait arrachées à leur désespérance, qu’elle soit physique, psychologique ou spirituelle. Il leur avait montré un chemin qui les avait transformées à un point tel qu’elles avaient engagé leur vie à sa suite. Elles se sont attachées au plus intime d’elles-mêmes à ce Jésus de Nazareth.

Rien ne les arrêtait plus. Il leur avait redonné cette force intérieure qui permet à certaines heures de transporter les montagnes. Leur vie, comme celle des autres disciples, avait changé de façon radicale après l’avoir rencontré. Défiant les coutumes du temps, elles avaient abandonné leur train-train quotidien pour suivre Jésus de la même façon que les Douze avaient laissé leur filet pour marcher à sa suite et la Samaritaine, sa cruche, pour aller inviter les siens à venir le trouver.  Et elles marcheront dans ses pas jusqu’à la fin.
Elles étaient tristes et ne voyaient plus de lueur d’espoir quand elles le virent mourir. Imaginons leur détresse après ces trois années de marche derrière lui, écoutant son message, travaillant à lui faciliter la tâche, cherchant à améliorer son quotidien. Et là, plus rien, le grand trou noir.

Rien de surprenant qu’elles ne l’aient pas reconnu dans un premier temps… Elles ne l’attendaient plus; elles l’avaient vu rendre l’âme. C’en était fini de ce Maître qui les avait respectées, considérées sur un pied d’égalité sans se soucier de la loi juive parfois bien dure à l’égard des femmes.

Et il s’est manifesté à elles après ces trois jours de deuil intense pour leur confier une mission : aller annoncer aux Onze qu’il était vivant et les précédait en Galilée. Fait étonnant qui mérite qu’on s’y arrête : des femmes sont mandatées pour annoncer une telle nouvelle. Inconcevable, à cette époque, que des femmes soient ainsi envoyées et soient porteuses d’un message public ! Les femmes ne pouvaient alors se déplacer seules et devaient toujours être cautionnées par des hommes dans ce qu’elles disaient. Et il en fait ses messagères.

Pourquoi demander à des femmes disciples de porter son message? Même sans être dans le coeur et la pensée de Jésus, il nous est permis de supposer certaines réponses. La première, c’est que ces femmes avaient du cœur ; de nombreux textes nous le rappellent. Et elles ne recherchaient ni le pouvoir, ni la meilleure place ; aucun texte ne mentionne une telle attitude chez l’une ou l’autre d’entre elles. Elles se font plutôt discrètes en général. Tout ce qu’elles souhaitaient, c’était « être avec lui », comme tout vrai disciple (Mc 3, 14). De plus, Jésus avait la certitude, qu’avec elles, son message se rendrait. Habituellement, nos messages importants, nous les faisons parvenir à leurs destinataires par des personnes dont nous sommes sûrs qu’elles feront ce que nous leur avons demandé, qu’elles répondront avec tout leur cœur et toute leur intelligence à la mission confiée; ce que ces femmes ont fait. Jésus les connaissait et savait qu’elles mettraient toutes leurs énergies pour livrer son message. 

On peut se demander : où sont-elles allées puiser leur force pour aller jusqu’au bout, espérant contre toute espérance. Elles l’ont sûrement trouvée au cœur d’elles-mêmes. Leur élan ne surprend pas. Elles agissent de façon semblable à celles d’aujourd’hui qui, pour véhiculer son message, portent à bout de bras certaines communautés chrétiennes sans la reconnaissance qu’une ordination leur conférerait. Elles assument pourtant des responsabilités semblables à celles de leurs confrères sans pouvoir offrir à leur communauté l’accès aux nourritures sacramentelles, particulièrement à l’eucharistie, que l’Église place pourtant au cœur de la vie chrétienne.

Les femmes, témoins de la Résurrection, on ne les a pas crues quand elles ont annoncé que Jésus était vivant.  Ça ne valait pas la peine. À certains égards, il y a une analogie avec la situation actuelle. Les femmes dans l’institution ecclésiale catholique, on ne les écoute qu’après avoir passé certains filtres, ceux des décideurs, uniquement des hommes. Et pour certains d’entre eux, malheureusement, la femme demeure l’impure, celle  qui n’est pas leur égale quoi qu’on en dise. Elles non plus, on ne les croit pas, surtout quand elles affirment porter un appel à proclamer la Parole de Dieu, appel semblable à celui de leurs frères prêtres. On les ignore tout comme les apôtres ont ignoré les messagères de la Résurrection : « Elles ont raconté ces choses aux apôtres, mais ils ont pris ça pour du radotage et ne les ont pas crues » (Lc 24, 6.11). Et pourtant, c’est à Marie de Magdala que Jésus se serait adressé : « Va dire à mes frères que je monte vers mon Père, votre Père, mon Dieu, votre Dieu » (Jn, 20,17b). C’est seulement après coup que les Onze et les autres ont daigné accorder une crédibilité à ces femmes (Lc 24, 9‑10)…

Dans la tradition chrétienne, on évoque la Résurrection comme le triomphe de la Vie sur la mort. Pour ces messagères, la Résurrection qu’elles annoncent n’est pas seulement celle de Jésus Christ, mais la leur aussi. Jésus les ressuscite avec lui. Il le fait en reconnaissant ce qu’elles sont véritablement, des êtres humains à part entière, avec une dignité semblable à celle de leur frère, et une liberté qui ouvre des portes et ne les enferme pas dans un carcan parce que nées femmes. Croire en la Résurrection, c’est aussi croire qu’un jour, notre Église se lèvera, se tiendra debout et acceptera que tous les baptisés, hommes et femmes, puissent être appelés à proclamer la Résurrection en tant que prêtres, si telle est leur vocation. Cette Église sera alors lumière pour l’humanité.

Asbestos, 10 mars 2011

Texte publié dans la revue Prière Appel d’aurore, printemps 2011.


Jacob Pauline
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A propos Jacob Pauline

Responsable du site du réseau Femmes et Ministères de 2007 à 2024, Pauline Jacob, théologienne féministe, poursuit depuis plus de 25 ans des recherches sur l'ordination des femmes dans l’Église catholique. Elle détient un Ph. D. en théologie pratique et une maîtrise en psychoéducation de l’Université de Montréal. Autrice d'« Appelées aux ministères ordonnés » (Novalis, 2007) et coautrice de « L’ordination des femmes » (Médiaspaul, 2011), elle a à son actif plusieurs articles.
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