Dieu concerne aussi les féministes

Tina Beattie 2Le désir du pape François de voir plus de femmes leaders dans l’Église a entraîné plusieurs colloques, dont un récemment à Rome en présence de grandes théologiennes, d’un cardinal et de quatre ambassadeurs qui ont donné aux participantes et aux participants une raison particulière d’être optimistes.

 Lors du concile de Nicée [en 325], je me souviens avoir lu quelque part, que vous ne pouviez pas aller à la boulangerie locale sans entrer dans un débat à propos de la Trinité. Ça commence à avoir l’air de ça en ce qui concerne le rôle des femmes dans l’Église.

On a vu un tourbillon d’activités en ce sens durant les derniers mois, le dernier événement étant un colloque d’une journée qui a eu lieu le 28 avril à l’Université pontificale Antonianum à Rome, colloque intitulé « Les femmes dans l’Église : les perspectives de dialogue ». Le colloque est dû à l’initiative de la nouvelle rectrice de l’Antonianum, soeur Mary Melone – la première femme rectrice d’une université pontificale – et de l’ambassadrice du Chili auprès du Saint-Siège, Mónica Jiménez de la Jara. De tels événements sont souvent étroitement contrôlés, mais celui-ci était ouvert au public et l’auditorium de l’Antonianum était rempli presque à pleine capacité.

La séance du matin a inclus des présentations de femmes des cinq continents ainsi que les commentaires d’introduction par les organisateurs, le cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical de la culture, et une conférence stimulante et courageuse par la théologienne italienne bien connue, Cettina Militello. Dans l’après-midi, il y a eu des ateliers de différents groupes linguistiques qui ont été invités à réagir par rapport aux trois questions qu’ils jugeaient les plus importantes concernant les femmes dans l’Église et à proposer des solutions.

La journée s’est terminée par une table ronde avec quatre ambassadeurs auprès du Saint-Siège provenant de la Grande-Bretagne (Nigel Baker), des États-Unis (Ken Hackett), de l’Union européenne (Laurence Argimon-Pistre) et du Chili. La nouvelle ambassadrice irlandaise, Emma Madigan, a présidé l’un des ateliers. Cette forte présence diplomatique démontre l’importance qu’ont ces questions pour la communauté internationale et non seulement pour l’Église.

Dans ses remarques initiales, soeur Melone a souligné que, malgré l’importance du travail pastoral des femmes dans l’Église, celui-ci n’est ni visible ni crédible. Elle a également rappelé qu’il est essentiel, pour repenser le rôle des femmes, que les hommes repensent aussi leur rôle dans l’Église. « Les femmes ne sont pas de simples clients; nous sommes l’Église et nous voulons l’être encore plus intensément », dit-elle.

Le cardinal Ravasi s’est lui-même révélé un allié clé dans la lutte des femmes pour une plus grande participation. Dans ses remarques liminaires, il a reconnu la longue histoire de la misogynie de l’Église, mais il nous a invités à nous tourner vers l’avenir. Il a identifié une série de « questions délicates », y compris celles de l’identité et de la différence, de la nature humaine et du posthumanisme ou transhumanisme (nous vivons, dit-il, dans les « épaves et les ruines » de deux modèles, l’un aristotélicien et l’autre kantien), de la science – en particulier la neurosciences – et de la culture.

Le Cardinal a décrit la théorie du genre, avec sa prolifération des identités liées aux genres, comme un nouvel horizon pour certains, mais « un cauchemar pour l’Église », paraphrasant l’affirmation de Simone de Beauvoir à savoir qu’« on ne naît pas femme, [mais plutôt qu’]on le devient ». Il a terminé en citant d’un air approbateur un extrait de La femme eunuque (1970), l’oeuvre maîtresse de Germaine Greer : « Nous [les femmes] savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être ou ce que nous pourrions avoir été. » Fait intéressant, ce fut de toute la journée la seule citation provenant des écrits de femmes plutôt que des documents pontificaux.

D’un accord général, le clou de la journée a été la communication de la professeure Militello comprenant un survol de l’histoire de la misogynie dans l’Église, mais aussi des ministères et des prophéties des femmes actuellement redécouvertes et mises en valeur. Elle a expliqué pourquoi, après la montée du féminisme et des mouvements de femmes à travers le monde, les vieux stéréotypes d’autorité masculine et de soumission féminine ne peuvent plus être défendus.

Les documents de Vatican II ont marqué un moment de grand changement et une occasion favorable pour l’Église, mais le document de 1976, Inter Insigniores, excluant les femmes de la liturgie et des ministères ordonnés au moment où d’autres Églises chrétiennes commençaient à ouvrir ces rôles aux femmes, fut « dévastateur », dit Militello.

Elle a également critiqué la problématisation du genre faite par l’Église, disant que la Congrégation pour la doctrine de la foi « stigmatise » le genre et que Benoît XVI et le pape François ont « diabolisé » la notion de genre. Nous devons, dit-elle, reconnaître la différence entre le genre comme concept de classification et les théories radicales du genre.

Ce thème est revenu tout au long de la journée à travers les réactions de quelques participants clairement mécontents de la façon dont la théorie du genre était rejetée d’emblée par les autorités de l’Église. Un autre thème répété encore maintes et maintes fois fut la nécessité de ne pas parler pour les femmes elles-mêmes, mais la nécessité pour les femmes elles-mêmes de parler et d’être entendues. A cet effet, il y a eu plusieurs propositions pour un synode des femmes comprenant principalement des femmes.

D’autres sujets de débat ont inclus l’idée de « complémentarité » avec la suggestion faite par plusieurs personnes à savoir que la « réciprocité » ou la « mutualité » puissent être de meilleures façons de décrire la relation entre les hommes et les femmes, puisque la complémentarité a des accents hiérarchiques d’autorité et de subordination. On a discuté de la demande du pape François pour une « théologie de la femme ». Comme le dit soeur Melone, les participants proposent qu’il y ait « une théologie », mais que la théologie par les femmes en fasse partie.

Ce qui est clair dans le contexte actuel, c’est que la question des femmes dans l’Église prend de l’ampleur et ne peut plus être mise de côté. Dès le départ, le pape François a exprimé son désir que les femmes jouent un rôle plus important dans la vie et le leadership de l’Église. Jusqu’ici, il a peu fait pour faire correspondre les gestes avec les paroles, mais je pense que c’est parce que son style de leadership est d’ouvrir des avenues et d’inspirer des perspectives d’évangélisation et de transformation dans l’attente que d’autres y donnent suite.

Les discussions actuelles au sujet des femmes sont de plus en plus ouvertes à une grande variété de points de vue, ce qui aurait été impensable sous l’autorité des deux derniers papes. Par exemple, bien que la professeure Militello ait pris soin de ne pas parler explicitement en faveur de l’ordination des femmes, elle a clairement mentionné que la fermeture de la question avait été problématique. La question a été discutée ouvertement à différentes occasions et dans différents groupes.

Sans critiquer directement l’Église catholique, l’ambassadeur Baker a parlé de l’inévitabilité du changement institutionnel en ce qui concerne la promotion du rôle des femmes, se référant à sa propre expérience de travail au Foreign Office et à l’ordination des femmes dans l’Église anglicane. Si on fait abstraction de la question de l’ordination, il y a beaucoup de rôles de leadership ouverts aux femmes qui ne nécessitent pas l’ordination, un point soulevé par plusieurs participantes et participants; la nomination de soeur Melone est un exemple de ce qui est possible.

Ultimement cependant, bien qu’il y ait beaucoup de bonne volonté pour le changement, seul le pape François a le pouvoir d’apporter des changements importants aux plus hauts niveaux du gouvernement de l’Église, de son leadership et de son orientation théologique. Il pourrait, par exemple, inclure des femmes à l’intérieur du conseil des cardinaux qu’il a nommé pour le conseiller, le fameux C9.

Il semble probable que les dicastères du Vatican vivent une réorganisation majeure dans un avenir proche, avec la possibilité de formation de deux nouvelles congrégations, une Congrégation pour la charité, la justice et la paix et une Congrégation pour les laïcs, la famille et la vie. Les femmes devraient être en nombre important dans de telles commissions. Ce serait également un signe clair de l’engagement du pape à effectuer des changements s’il s’assurait d’une plus grande représentation des femmes au prochain synode sur la famille.

Nous pouvons faire tout ce que nous pouvons, mais finalement nos efforts dépendent des actions entreprises par le pape. Aujourd’hui, je le dis avec beaucoup plus d’espoir que lorsque j’ai entrepris des recherches et que j’ai commencé à écrire sur le rôle des femmes dans l’Église catholique il y a 20 ans.

Le texte original en anglais a été publié dans The Tablet et traduit avec la permission de l’auteure.
Traduction : Pauline Jacob

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A propos Tina Beattie

Détentrice d'un Ph.D. en théologie, Tina Beattie est professeure d’études catholiques et directrice du Dibgy Stuart Research Centre à l’Université de Roehampton. Ses recherches portent principalement sur le rôle et la représentation des femmes dans l’Église. Elle a écrit et publié de nombreux ouvrages dans le domaine de la théologie, de l’art, de la psychanalyse, de l’enseignement social catholique et des droits humains. Elle collabore régulièrement avec la BBC, le Guardian Online et The Tablet.
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Une réponse à Dieu concerne aussi les féministes

  1. Marie-Thérèse van Lunen Chenu dit :

    C’est un tout bon texte d’infos et de convictions, en rejoignant beaucoup d’autres; l’originalité appréciable de cette conférence, c’est la participation de diplomates accrédités au Vatican.
    On se demande jusqu’où l’institution Église va enfoncer comme les autruches sa tête dans le sable.

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