Les jeunes et l’inégalité hommes-femmes dans l’Église catholique

Claire Bergeron 2J’ai accepté d’écrire cet article dans le cadre des événements ou reportages qui, comme chaque année, soulignent la Journée internationale des femmes. Cette journée nous rappelle qu’il y a encore tant de chemins à parcourir pour l’égalité homme-femme dans la société. Mais en 2015, est-ce que cette journée a toujours sa pertinence? Mon expérience de travail auprès de 300 jeunes de 15, 16 et 17 ans me prouve que la conscientisation au phénomène de l’inégalité homme-femme dans la société et dans l’Église mérite que l’on s’y attarde, que l’on réfléchisse et que l’on accompagne nos jeunes à s’interroger sur le sujet.

Dans cet article, je vous ferai d’abord connaître mon milieu de travail qui m’amène à des réflexions sur la place de la femme dans la société. Je vous ferai part des résultats de travaux élaborés par mes élèves sur ce sujet. Par la suite, vous prendrez connaissance de données sur la place de la spiritualité chez nos jeunes et des constats qu’ils font sur les religions, particulièrement la dérive actuelle de la religion catholique. Les réflexions de mes élèves sur la dérive face à la religion catholique m’a amenée à comprendre pourquoi je reçois autant de demandes de célébrations venant de personnes qui reconnaissent en moi les qualités d’une célébrante accompagnant certains rites de passage dans leurs vies.

Je suis enseignante au secondaire depuis près de 25 ans dans le domaine du développement personnel de l’élève. Avant 2008, je donnais les cours d’enseignement moral et d’enseignement religieux catholique au primaire, puis au secondaire. Depuis 2008, j’enseigne le programme d’éthique et culture religieuse, programme dont l’implantation a suscité une certaine controverse chez certains parents. Je connais bien ce programme puisque j’ai fait une maîtrise afin de connaître les tenants et aboutissants de cette implantation et son impact chez les enseignants (Bergeron, 2012).

Un certain silence entoure ce programme, comme si les directions et les enseignants n’osent pas démontrer ce qui s’y enseigne ou pas dans nos écoles présentement. Pour ma part, je peux affirmer que ce programme suscite beaucoup d’intérêt chez mes étudiants. Pour les besoins de cet article, je soulignerai particulièrement deux sujets qui soulèvent souvent bien des questionnements, des réflexions ou des incompréhension : les droits humains dans le monde et le phénomène de l’émergence des nouveaux mouvements religieux et des sectes au Québec, et par le fait même la dérive des grandes religions.

Dans le premier projet, j’invite les élèves à connaître la situation des droits humains dans les pays d’où proviennent les élèves immigrants de notre école. Ils doivent trouver des informations sur plusieurs droits tels que l’éducation, la sécurité, le droit à la vie, la liberté d’expression, le droit à la propriété, à l’égalité dont celle de la relation homme-femme. Chaque année, le constat est le même : les femmes sont bafouées, violées, torturées, exploitées, soumises, empêchées de s’instruire, de travailler, ostracisées dans la société civile, peu importe les pays d’où proviennent nos élèves immigrants.

Cette prise de conscience est d’autant plus riche de sens que ce sont les élèves eux-mêmes qui en font le constat après avoir élaboré leur conclusion. En conclusion de ce projet, j’invite des élèves immigrants à témoigner en classe pour expliquer pourquoi ils ont dû quitter leur pays. Les Québécois de souche sont souvent bouche bée devant de telles révélations. Ils prennent alors conscience que, malgré certains désagréments de leurs vies, nous avons tout de même des lois qui nous protègent, des droits acquis, une liberté de pensée et d’agir qui font l’envie de plusieurs personnes qui quittent leur pays. Dans le cas des filles, elles apprécient de pouvoir aller à l’école, d’avoir moins peur de se faire violer, de ne pas se faire battre par leurs enseignants, de pouvoir choisir leur amoureux, de pouvoir travailler. Et pourtant, il reste encore tellement à faire…

L’autre sujet abordé dernièrement est celui de l’émergence des nouveaux mouvement religieux et des sectes au Québec. Ce qui m’a amené à faire comprendre comment un jeune peut choisir la radicalisation vers l’Islam extrémiste.

Avant d’aborder le volet culture religieuse du programme, je fais un sondage anonyme à tous les deux ans sur le lien entre les élèves et le phénomène religieux ou la spiritualité. Mon échantillon est constitué de 300 élèves dans 10 groupes différents. Les données se ressemblent souvent. Cette année, voici ce qui ressort pour chacune des catégories :

  • 18 croyants pratiquant dans une Église ou un mouvement religieux ;

  • 68 croyants non pratiquant ;

  • 70 indifférents ;

  • 35 athées ;

  • 60 sceptiques ;

  • 49 ésotériques (évocation du tarot, de la puissance des pierres, du Wicca, de l’astrologie, des médiums, etc.)

Les jeunes sont étonnés de constater qu’il y ait autant de croyants pratiquant ou non dans leur catégorie d’âge. Ils remarquent également combien les jeunes cherchent à vivre leur spiritualité et ne savent plus comment. J’ai introduit mes cours sur ce sujet par la présentation d’un intéressant documentaire intitulé « Heureux naufrage, l’ère du vide d’une société post-chrétienne ». Ce vidéo donne la parole à des gens de toute génération et de tous les domaines; de Benoît Lacroix, centenaire à de jeunes chanteurs dans la trentaine tel que Stéphane Archambault de Mes Aïeux ou encore de Ginette Reno, chanteuse populaire d’une autre génération à Frédéric Lenoir, philosophe et écrivain.

Quel silence lourd de sens après la présentation! Ils se reconnaissent tous comme étant en quête de sens, mais l’Église dans laquelle la plupart d’entre eux ont été baptisés, ne répond plus à leurs attentes, à leurs besoins. Pour eux, les religions sont synonymes de guerre et n’ont donc aucune crédibilité pour les aider à se rapprocher de Dieu.

Dans le prolongement de la réflexion amenée par le travail sur la Charte des droits, mes élèves ne comprennent pas pourquoi les femmes n’ont pas accès à certains lieux de culte ou ne peuvent pas devenir prêtres dans l’Église catholique. Pour eux, les Églises maintiennent les inégalités entre les hommes et les femmes. Sincèrement, j’estime qu’ils ont raison. Ils n’ont pas besoin que je leur inculque mes valeurs, mes principes, sur lesquelles se basent certains de mes engagements : la discrimination, l’inégalité entre les hommes et les femmes dans les Églises leur sautent aux yeux. D’ailleurs, pour ceux et celles qui veulent aller plus loin dans leurs réflexions, je leur propose parfois la lecture d’un volume qui m’a profondément rejoint dans mes convictions: « Les religions, source d’asservissement des femmes » d’Anisia Campos (2006). Cette femme a voyagé partout dans le monde et a fait le constat suivant : si les religions considéraient davantage les femmes dans leurs structures, elles seraient probablement moins bafouées dans la société civile. Nous constatons que la femme ne peut remplir les fonctions auxquelles elle aspire, parce que les responsables de toutes les Églises, souvent masculins, décident des rôles qu’elles doivent assumer au sein de l’institution ecclésiale. Ces décisions sont souvent appuyées sur des textes sciemment choisis pour les justifier.

Inévitablement, les élèves me demandent mon opinion sur ce sujet. À titre d’enseignante en Éthique et culture religieuse, je dois faire attention à mes propos, en adoptant une posture professionnelle qui n’influence pas les élèves, mais les amènent à réfléchir sur les thèmes du programme. Je les invite à exprimer leurs opinions. Dans la suite de ces cours, nous avons même écrit à l’évêché de St-Hyacinthe au début des années 2000 pour dénoncer ce qui leur apparaît comme une injustice. Les jeunes ne comprennent pas les fondements de ces décisions prises à un certain moment de l’Histoire.

Pour ma part, au plan personnel, je n’ai jamais compris pourquoi les autorités ecclésiales n’acceptent pas des femmes formées en théologie et solidement impliquées dans leur Église pour servir dans le diaconat ou la prêtrise. Mes dernières tentatives de travail de collaboration avec des prêtres dans des paroisses se sont avérées vaines. J’ai délaissé peu à peu tout engagement paroissial. Ma pratique dominicale s’est espacée. Je prie, je communie à Dieu par le plein air, je fais parfois des retraites ou des 24 heures de silence. Je voudrais faire des célébrations dominicales différentes de celles auxquelles j’assiste présentement. Je souffre intérieurement de ne pas être au service de l’Église dans laquelle j’ai été baptisée et pour laquelle l’Esprit Saint m’a pourtant appelé à servir. Pour éviter de souffrir, j’ai décidé de me consacrer totalement à mes élèves; ma pratique pastorale se fait auprès des jeunes qui me sont confiés.

Le 7 octobre 2006, un jeune couple m’a demandé de célébrer leur mariage. Un mariage civil à caractère religieux puisque ce couple est croyant. Il reconnaissait en moi la compétence pour célébrer leur mariage. J’étais même émue de l’occasion qu’il m’offrait de célébrer, comme j’aurais aimé le faire dans l’Église. Depuis ce temps, sans aucune publicité, j’ai célébré cinq autres mariages civils. Malheureusement mon quota est désormais dépassé; je ne peux plus célébrer sans demander une autorisation officielle. Et du côté de l’Église, mon identité sexuelle fait entrave à la possibilité d’y célébrer des mariages; par contre, les diacres, des hommes, le peuvent. D’autres demandes ont suivi. J’ai célébré le « baptême » de deux enfants dont j’ai marié civilement les parents. J’ai célébré deux funérailles dans des résidences funéraires à la demande de gens qui reconnaissent en moi la compétence pour faire de cet événement un rite de passage significatif.

Le 17 février 2015, l’écrivain Alain Roy signait un article dans le journal Le Devoir intitulé « Le dilemme des incroyants ». En raison de l’absence des rituels pour les incroyants, faudra-t-il créer… une religion qui leur serait propre? La question mérite qu’on s’y intéresse, puisqu’effectivement les prochaines générations se situeront dans cette sorte de dilemme où elles auront le goût de célébrer des rites de passage, sans nécessairement adhérer à une religion en particulier.

En terminant, je conserve l’espoir que le pape François reconnaisse la place réelle et importante des femmes en Église. Je vois de plus en plus d’animatrices paroissiales remettre en question leur travail ou se réorienter car elles voudraient faire plus pour cette Église qu’elles aiment, mais qui les abandonnent, dans le contexte de la pénurie de prêtres. Pour ma part, chaque dimanche des vocations, je prie l’Esprit pour qu’Il éclaire notre pape et ses évêques. En attendant, j’essaie de répandre la Parole de Dieu en paroles et en actions auprès de ma famille, de mes amis et des élèves qui me sont confiés.

Je demeure unie de tout cœur avec toutes les femmes qui subissent l’injustice et l’inégalité.

Shefford (Québec), 5 mars 2015

Références

Bergeron, Claire (2012). Les représentations des enseignants du primaire à l’égard d’une innovation scolaire : le cas de l’implantation du programme éthique et culture religieuse. Mémoire de maîtrise inédit, Sherbrooke, Université de Sherbrooke.

Campos, Anita (2006). Les religions sources de l’asservissement des femmes : invitation à la réflexion et à l’action. Montréal : Carte Blanche.

Roy, Alain (2015, 17 février). Le dilemme des incroyants. Le Devoir, Éditions Internet, [en ligne]. [http://www.ledevoir.com/societe/ethique-et-religion/431991/des-idees-en-revues-le-dilemme-des-incroyants] (5 mars 2015)

Une suggestion de lecture

Bergeron, Claire (2007, 26 février). Parcours spirituel d’une femme qui aurait souhaité être diacre dans son Église. [http://femmes-ministeres.lautreparole.org/?p=1651

A propos Claire Bergeron

Détentrice d'un baccalauréat en théologie (1984) et d'une maîtrise en éducation (2012) portant sur l’implantation du programme Éthique et culture religieuse, Claire Bergeron enseigne ce programme au secondaire. Impliquée en paroisse pendant 20 ans comme animatrice d’éveil religieux, dans des camps de fin de semaine pour les jeunes et, avec son conjoint, dans des sessions de préparation au mariage, elle est maintenant une animatrice recherchée pour diverses célébrations (mariages, funérailles, rituels de la vie).
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Une réponse à Les jeunes et l’inégalité hommes-femmes dans l’Église catholique

  1. Merci pour votre travail et votre ténacité.

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