L’accessibilité des femmes au presbytérat, une lutte qui continue

La question de l’ordination des femmes, dans l’Église catholique, continue de faire couler beaucoup d’encre en dépit de l’interdiction romaine d’en débattre. « Seul un homme (vir) baptisé reçoit validement l’ordination sacrée », stipule le Code de droit canonique (1983, can. 1024). Pourtant, les femmes ont obtenu le droit de vote dans différentes sociétés et l’accès aux différents ministères dans plusieurs Églises sœurs. Malgré des espoirs suscités par le concile Vatican II, cette question est demeurée lettre morte dans l’Église catholique. Le mouvement d’ouverture qu’on y avait cru réel s’est vu imposer un frein qu’il est difficile d’ignorer. Dans la société québécoise marquée par l’action de femmes qui ont lutté non seulement pour l’acquisition du droit de vote, mais pour  l’accès à l’éducation supérieure, la réforme du Code civil, le travail rémunéré et l’équité salariale, les femmes catholiques ont rêvé d’une Église à l’intérieur de laquelle les rapports humains seraient égalitaires, non sexistes comme leur avaient permis d’espérer Jésus de Nazareth. Et des irréductibles, femmes et hommes, poursuivent toujours leur rêve. Mais, au oui du peuple de Dieu/e[1] continue de s’opposer le non de l’institution ecclésiale.

1. Le non de l’institution ecclésiale

Un regard jeté sur les documents romains offre peu d’espoir quant à l’ouverture pour l’ordination des femmes, qu’elle soit presbytérale ou diaconale. 

•    Un non à l’ordination presbytérale

Si les chrétiennes et les chrétiens avaient espéré, dans la foulée du concile Vatican II, une ouverture aux différents ministères ecclésiaux, ils furent vite déçus lors de l’atterrissage dans la réalité des suites conciliaires.
En 1976, sous le pontificat de Paul VI, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi dit non à l’ordination des femmes (Inter Insigniores). Pourtant, la Commission théologique internationale avait conclu, dans un rapport non officiel déposé quelques mois plus tôt, qu’aucun indice scripturaire ne s’opposait à l’ordination des femmes. En 1988, Jean Paul II affirme, dans sa lettre apostolique Mulieris dignitatem, que la femme est vouée à la maternité de toute éternité et que son identité psychosexuelle l’exclurait du ministère sacerdotal. Puis, en 1995, il dit un non définitif à l’ordination des femmes à la prêtrise (Ordinatio sacerdotalis), non que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi alors présidée par Josef Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI, s’empresse d’appuyer par une Réponse à un doute. Depuis ce non et l’exigence d’adhérer à cette « vérité », il y a eu la Lettre aux évêques de l’Église catholique sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde (2004). On y soutient, de façon plus subtile, le refus de permettre l’accessibilité de femmes à l’ordination presbytérale. On attaque cette fois le concept de genre, clé d’interprétation qui permettrait d’ouvrir le débat (Genest, 2007; Jacob, 2006, p. 105 107, 212-213). Même l’ordination diaconale pour les femmes s’est vue mise au rancart, malgré les minces lueurs d’espoirs que certaines personnes y voyaient.

•    Un non à l’ordination diaconale

En 2002, après plusieurs années d’étude d’un comité travaillant sur le diaconat, la Commission théologique internationale consacre quelques pages de son document final aux femmes diacres dans l’Église du premier millénaire, pages qui ne tiennent pas compte de l’ensemble des recherches récentes sur ce sujet très important dans la discussion concernant les femmes et l’ordination. La Commission, à travers une documentation incomplète, ne reconnaît pas la sacramentalité des ordinations de femmes diacres qui ont bel et bien eu lieu et néglige les références qui auraient pu lui permettre d’accepter des femmes dans ce ministère. Mais une telle acceptation ouvrirait la porte à l’accessibilité des femmes à l’ordination presbytérale; Rome le sait bien. Le théologien John Wijngaards apporte une critique intéressante de ce document romain en reprenant point par point, documents à l’appui, les éléments qui feraient obstacle au diaconat pour les femmes (Wijngaards, 2006).

Si l’institution continue de se rebiffer face à l’ordination des femmes, le peuple de Dieu/e, comme la population en général, voit autrement la situation.

2. Le oui du peuple de Dieu/e

Il est possible de retrouver des revendications pour l’ordination des femmes dès le début du XXe siècle. Et la relance de la question réapparaîtra encore très vivante à l’aube du XXIe siècle.

•    Au XXe siècle

Déjà au début du XXe siècle, l’Alliance internationale Jeanne d’Arc (St Joan’s International Alliance) parle de l’égalité des hommes et des femmes dans l’Église (Pelzer,1977/1992). Et en 1961, cette association interpelle le pape au sujet de l’accessibilité des femmes au diaconat ; puis, en 1963, elle lui présente une résolution sur l’admission de femmes à la prêtrise.

En 1953, Josefa Theresia Münch écrit au pape Pie XII et ensuite aux papes Jean XXIII, Paul VI et Jean Paul II pour leur exprimer son désir d’être ordonnée prêtre et demander de changer l’article du droit canon n’autorisant que les individus de sexe masculin à devenir prêtre (Münch, 1991). Dans les années 1960, les théologiennes allemandes Ida Raming, Iris Müller et Josefa Theresia Münch de même que la juriste suisse Gertrud Heinzelmann font des demandes pour qu’on traite de cette question au concile Vatican II; ces demandes seront sans lendemain (Raming, 2000). Et l’une d’elles, Ida Raming, dépose à l’hiver 1969/1970 une thèse doctorale dans laquelle elle démontre que l’exclusion des femmes à la prêtrise repose sur l’idée de son infériorité ontologique et éthique. Il ne faut pas oublier l’intervention de sœur Theresa Kane lors de la visite de Jean Paul II aux États-Unis en 1979. Elle profite du moment de remerciement qui lui était alloué comme présidente de la conférence des supérieures majeures des États-Unis [LCWR] pour inviter  le pape à ouvrir aux femmes la porte de l’Église à tous les ministères (Kane, 1979). Au Canada, en 1984, sœur Odette Léger tint un discours semblable devant Jean Paul II (Turcot, 2006). Les évêques canadiens et québécois ont également fait  des interventions pour manifester leur appui à une ouverture plus grande aux différents ministères pour les femmes. Il suffit de se rappeler l’intervention de George B. Flahiff au Synode sur la justice dans le monde en 1971, de Robert Lebel au Synode sur la Famille en 1980, de Louis-Albert Vachon au Synode sur la Réconcliation en 1983 (Conférence des évêques catholiques du Canada, 2000).

Des groupes militent pour l’ordination de femmes; et ils sont nombreux aux États-Unis, On en retrouve également en Afrique du Sud, en Allemagne, en Australie, au Canada anglais, en Grande-Bretagne et en Irlande. Le premier, le Women’s Ordination Conference [WOC], a été fondé en 1975, à Détroit, à la suite du premier grand rassemblement sur cette question. Il demeure très actif et très vigilant pour faire avancer la question. Ces groupes ont formé, en 1996, le Women’s Ordination Worlwide [WOW]

Plus près de chez nous, la collective L’autre Parole, fondée en 1976 et le réseau Femmes et Ministères fondé en 1982 appuient ouvertement la question.

•    Au XXIe siècle

Le XXIe siècle verra d’autres pas majeurs se réaliser. En 2001 et 2005, le Women’s Ordination Worlwide [WOW] initie les deux premiers congrès internationaux, l’un à Dublin, l’autre à Ottawa.

Plus près de chez nous, à l’automne 2006, le Centre justice et foi organise à Montréal, en collaboration avec le Centre St-Pierre, Femmes et Ministères et L’autre Parole, un colloque intitulé L’accès des femmes aux ministères ordonnés dans l’Église catholique : une question réglée ? Il sera suivi de deux autres événements pour continuer la réflexion sur le sujet en 2008 et 2009. À l’automne 2008, le Centre femmes et traditions chrétiennes de l’Université Saint-Paul offre une table ronde et des ateliers sur le sujet. Durant cette même période, l’auteure soutient une thèse de doctorat intitulée L’authenticité du discernement vocationnel de femmes qui se disent appelées à la prêtrise ou au diaconat dans l’Église catholique du Québec (Jacob, 2006), thèse publiée l’année suivante dans l’essentiel de son contenu (Jacob, 2007). Dans la foulée de cette publication, des femmes commencent à parler ouvertement de leur appel à la prêtrise ou au diaconat, phénomène nouveau en sol québécois depuis la publication d’Ordinatio sacerdotalis.

Un autre mouvement déjà amorcé à la fin du siècle précédent débouche sur les ordinations clandestines des premières femmes sur le Danube en 2008. Il est le début d’une longue chaîne d’ordinations dont il ne faut pas négliger la portée (McGrath, Meehan, & Raming, 2008). Des femmes ont été ordonnées évêques par des évêques catholiques dont l’identité demeure confidentielle. Et ce mouvement continue à prendre de l’expansion. Elles sont maintenant 78 prêtres et 9 évêques[2].

Et la suite…

La question de l’ordination des femmes dans l’Église catholique n’est pas morte, loin de là; elle est vivante plus que jamais. L’interpellation pour rendre les ministères ordonnés accessibles aux femmes provient non seulement des chrétiens et des chrétiennes, mais des personnes en dehors de l’institution qui s’interrogent au sujet de cette fermeture de plus en grande des autorités romaines. Et il y a toutes ces femmes qui portent un appel véritable et qu’il importe d’appuyer. Notre parole comme la leur ébranleront un jour la muraille des résistances institutionnelles. 

Asbestos, le 3 novembre 2009.

Tiré de Dans le trafic, Bulletin de l’ADDTSRUM (Association des diplômées et des diplômés en théologie et en sciences des religions de l’université de montréal), no 29,   hiver   2010.
Publié avec les permissions requises.

Notes

 [1] Cette façon particulière d’écrire Dieu/e permet d’évoquer la représentation à la fois féminine  et masculine du/de la Dieu/e de la Bible.

 [2] Informations obtenues de Marie Bouclin (Sudbury, Ontario), prêtre à l’intérieur du mouvement RCWP, le 22 octobre 2009

Références 

CODE DE DROIT CANONIQUE (1983). Dans Site du Saint-Siège [En ligne]. http://www.vatican.va/archive/
FRA0037/_INDEX.HTM. (Page consultée le 3 novembre 2009).

CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES DU CANADA (2000). Rappel historique des interventions de la CECC concernant les femmes. Ottawa : Éditions de la CECC.

FEMMES ET MINISTÈRES [2007, 19 juin]. L’ordination des femmes dans l’Église catholique romaine. Position du Réseau Femmes et  Ministères. Dans Site Femmes et Ministères [En ligne]. http://femmes-ministeres.lautreparole.org/
documents/ordination/FetM_2006.html (Page consultée le 3 novembre 2009).

GENEST, Olivette (2007). Le poids du « genre » dans les fondements bibliques de l’exclusion des femmes du sacerdoce ministériel. Dans Monique Dumais (Dir.), Franchir le miroir patriarcal Pour un théologie du genre (p. 81 116).  Montréal : Éditions Fides.

JACOB, Pauline (2006). L’authenticité du discernement vocationnel de femmes qui se disent appelées à la prêtrise ou au diaconat dans l’Église catholique du Québec. Thèse de doctorat inédite, Université de Montréal, Montréal.

JACOB, Pauline (2007). Appelées au ministères ordonnés. Ottawa : Novalis. 

KANE, Theresa (1979). Welcome to Pope John Paul II. [En ligne]. Dans Site Call to action [En ligne].
http://www.cta-usa.org/foundationdocs/foundkane.html (Page consultée le 3 novembre 2009).

L’AUTRE PAROLE [s.d.]. Oui à l’ordination de femmes. Dans Site L’autre Parole [En ligne]. http://www.lautreparole.org/ord/index.html (Page consultée le 3 novembre 2009).

MCGRATH, Elsie, Hainz, MEEHAN, Bridget Mary, & RAMING, Ida (Eds.), (2008). Women find a way. The movement and stories of Roman Catholic womenpriests. College Station, Texas : Virtualbookworm.com Publishing.

MÜNCH, Josefa Theresia (1991). My Letters to the Pope [Mes lettres au Pape] (Trad. de l’allemand à l’anglais par K. Solhdoost). The Catholic Citizen, 72/1, 18 29. Dans Site Women Priests, [En ligne]. http://www.womenpriests.org/fr/called/munch.asp (Page consultée le 3 novembre 2009).

PELZER, Anne-Marie (1992). St. Joan’s International Alliance, a short history. 1911 1977 (Trad. anglaise : Françoise Awre. The Journal of St. Joan’s International Alliance, 1-16), [En ligne]. http://www.womenpriests.org/interact/pelzer.asp (Page consultée le 3 novembre 2009). (L’ouvrage original a été publié en 1977).

RAMING, Ida (2000). Naissance et développement du mouvement pour l’ordination des femmes dans l’Église catholique romaine d’Europe. Angela Berlis & Charlotte Methuen, Approches féministes de l’histoire et de la religion (Annuaire de l’Association Européenne des Femmes pour recherche théologique 8) (p. 225 240). Leuven : Peeters.
Dans Site Women Priests, [En ligne]. http://www.womenpriests.org/fr/francais/raming07.asp (Page consultée le 3 novembre 2009).

RAMING, Ida  & MÜLLER, Iris (1999). Gertrud Heinzelmann (Trad. : Mary Dittrich). Communiqué de presse à l’occasion de la mort de G. Heinzmann. Dans Site Women Priests, [En ligne]. http://www.womenpriests.org/called/heinzelm.asp (Page consultée le 3 novembre 2009).

TURCOT, Gisèle (2006). Les catholiques et l’accès aux ministères ordonnés. Dans Centre justice et foi (Dir.), Centre St-Pierre, Femmes et Ministères & L’autre Parole, Actes du Colloque « L’accès des femmes aux ministères ordonnés », Montréal : Maison Bellarmin.
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WIJNGAARDS, John (2006). Women deacons in the early Church. Historical texts and contemporary debates. New York : Herder & Herder Crossroad.

WIJNGAARDS, John [s.d.]. The ministry of deaconesses. Dans Site Women Priests, [En ligne]. http://www.womenpriests.org/deacons/debate.asp (Page consultée le 20 juillet 2009).

 

Jacob Pauline
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A propos Jacob Pauline

Responsable du site du réseau Femmes et Ministères de 2007 à 2024, Pauline Jacob, théologienne féministe, poursuit depuis plus de 25 ans des recherches sur l'ordination des femmes dans l’Église catholique. Elle détient un Ph. D. en théologie pratique et une maîtrise en psychoéducation de l’Université de Montréal. Autrice d'« Appelées aux ministères ordonnés » (Novalis, 2007) et coautrice de « L’ordination des femmes » (Médiaspaul, 2011), elle a à son actif plusieurs articles.
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