Discernement ecclésiologique sur les ministères confiés aux laïcs

Conférence donnée lors de la session sur les ministères à Trois-Rivières le 4 mars 2009

Laurent VilleminINTRODUCTION

Que peut-on encore dire de nouveau sur l’exercice des ministères par les laïcs? Probablement pas grand-chose, voire rien. À défaut de pouvoir énoncer des nouveautés, – est-ce d’ailleurs le rôle du théologien? – mon ambition sera ici plus modeste. Elle essaiera de relire l’expérience ecclésiale concernant les ministères exercés par les laïcs et d’en tirer quelques éléments théologiques susceptibles de nous aider à vivre en Église de la grâce de Jésus-Christ. Je ne prétends donc aucunement faire une leçon mais me mettre avec vous à l’école de l’Esprit. Il va sans dire que je suis français et que mon analyse de la situation est certainement très (trop?) marquée par l’expérience de mon Église. J’essaie cependant d’être ouvert en permanence à la réalité de l’Église tout entière, et spécialement ce matin, à la réalité du Québec. S’il m’arrivait de déformer votre réalité ecclésiale ou d’émettre des jugements trop rapides, je vous prie de m’en excuser et d’y voir simplement une invitation au dialogue. Je vais essayer de fournir des catégories et des analyses, partant du principe qu’elles ne nous enferment pas mais nous permettent une créativité féconde. J’entends par créativité non pas forcément faire des choses nouvelles mais lire les signes de l’Esprit. Je vais donc utiliser de-ci de-là le code de droit canonique. Je ne le fais pas pour rappeler, comme dans une perspective vétéro-testamentaire, que c’est la loi qui nous sauve, mais parce qu’il y a une sagesse, un équilibre ancestral dedans. On peut être parfois hors la loi, encore faut-il le savoir pour que cela devienne fécond. Ma conférence se déploiera en trois parties : 1. Un rappel historique visant au diagnostic qui montrera un décalage. 2. Une tentative d’explication du décalage. 3. Une proposition de typologie pour aller de l’avant.

Mon but n’est pas de chicaner sur les mots, encore de donner des leçons, mais d’essayer de comprendre ce qu’on vit. Si cette compréhension est juste, elle fait elle-même vivre.

1. Diagnostic de la situation actuelle concernant les ministères exercés par des laïcs.

Il convient de faire – même brièvement – un peu d’histoire 1 pour poser un diagnostic sur la question des ministères confiés aux laïcs depuis le concile Vatican II. Je le ferai de manière non exhaustive mais avec pour volonté de dégager les étapes marquantes et les tendances à long terme.

1.1 Au plan de l’Église tout entière.

  • Assemblée du synode des évêques de 1971. Il faut d’abord signaler l’Assemblée du synode des évêques de 1971 dont l’objet premier est de reprendre le travail sur le ministère des prêtres, mais la réflexion va assez rapidement s’étendre aux autres ministères. En effet, on évoque explicitement l’apparition de nouveaux ministères et leur différenciation. La question de ministères confiés à des femmes est également discutée. Mais c’est au cours de la deuxième période de l’Assemblée synodale, consacrée à l’étude du thème de la justice dans le monde, que la discussion a lieu et que l’Assemblée recommande qu’« une étude approfondie soit faite » sur la part de responsabilité et de participation à accorder aux femmes dans la société et la vie de l’Église.
  • Le motu proprio Ministeria quaedam du pape Paul VI. Le motu proprio Ministeria quaedam du pape Paul VI de 1972 constitue une autre étape de cette histoire. Il prévoit, en effet, que des ministères officiels peuvent être exercés par des laïcs; il s’agit d’abord du lectorat et de l’acolytat, qui peuvent être confiés à des laïcs hommes sans être pour autant une étape dans le cheminement vers le ministère de prêtre. Mais ce même motu proprio invite aussi les Conférences épiscopales à instituer dans les églises dont ils ont la responsabilité d’autres ministères qui seraient utiles. « Outre les fonctions communes à l’ensemble de l’Église latine, rien n’empêche les Conférences épiscopales de demander aussi au Siège apostolique celles dont elles auraient jugé, pour des raisons particulières, l’institution nécessaire ou très utile dans leur propre région. De cette catégorie relèvent, par exemple, les fonctions de portier, d’exorciste et de catéchiste, et d’autres encore, confiées à ceux qui sont adonnés aux œuvres caritatives, lorsque ce ministère n’est pas conféré à des diacres » 2 . Il faut bien reconnaître que cette possibilité sera formellement peu utilisée, pour ne pas dire pas du tout. Certainement parce qu’elle était réservée aux hommes, mais également, parce qu’elle arrivait dans un contexte socio-ecclésial où on ne voyait pas la nécessité d’une institution liturgique. Quelle est la nature de cette institution? Le motu proprio ne le précise pas vraiment. Il la distingue seulement de l’ordination, se contentant de dire que l’institution est le rite particulier par lequel, après avoir imploré la bénédiction de Dieu, l’évêque (ou l’Ordinaire) établit un laïc dans une fonction ecclésiale déterminée, en l’occurrence le lectorat (le service de 1a Parole) et l’acolytat (le service de la prière communautaire et de l’eucharistie). Une institution est un sacramental (SC 60 et 61; c. 1166). Elle est un acte liturgique plus que strictement juridique, qui établit officiellement dans une fonction et habilite à l’exercer de manière autorisée dans l’Église. D’après ce motu proprio, les ministères de lecteur et d’acolyte ne se réduisent pas à l’aspect cultuel, mais contribuent plus largement à l’édification de la communauté.
  • Le Zaïre.
    Il faut cependant signaler l’initiative de Mgr Malula, archevêque de Kinshasa qui, en 1975, installe les huit premiers responsables laïcs de paroisse, appelé Mokambi. En effet, en juillet 1973, lors de la huitième semaine théologique de Kinshasa, on exprima le vœu « que soit généralisé le ministère laïc de la présidence de communauté 3 ». Deux autres « nouveaux ministères », exercés par des laïcs, devaient être créés par la suite. « D’une part, la fonction d’assistant paroissial, qui peut être comparée à celle d’un vicaire paroissial, voit le jour en 1978. Elle est confiée à des laïcs mariés, mais aussi à des religieux et des religieuses. D’autre part, le ministère d’animateur pastoral, mis en place un peu plus tard, est exercé par un religieux ou un laïc nommé par l’évêque pour une tâche pastorale spécifique dans un secteur, un milieu ou un territoire déterminé. Pour assumer ce service, l’animateur se libère entièrement ou partiellement de ses occupations professionnelles. Il est donc rémunéré par le diocèse » 4 .
  • La Commission temporaire d’étude sur le rôle de la femme dans la société et dans l’Église. L’Assemblée synodale de 1971 allait aussi connaître des suites plus lointaines. Paul VI créait, le 3 mai 1973, la Commission temporaire d’étude sur le rôle de la femme dans la société et dans l’Église. Lors de l’Assemblée ordinaire du synode des évêques de 1974, le président de cette commission, Mgr Bartoletti, communique aux Pères synodaux un rapport préliminaire des travaux de la commission. Il annonce que sont à l’ordre du jour des questions aussi diverses que les ministères non ordonnés et la relation qu’ils entretiennent avec d’autres engagements dans l’Église et la volonté de clarification de termes comme « ministères », « apostolat », « services », ainsi que la participation possible de chrétiens baptisés non ordonnés à la juridiction ecclésiastique. Quelques recommandations touchent plus particulièrement à la participation des femmes à des postes de responsabilité ou à des fonctions dans l’Église. Pendant cette période, la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements prépare un projet sur les ministères exercés par les laïcs et demande aux Conférences épiscopales des informations au sujet de l’accueil réservé à Ministeria quaedam et sur l’exercice de la fonction de lecteur et d’acolyte ainsi que d’autres tâches éventuelles déjà remplies par des laïcs. La majorité des membres de la commission s’étonne que la fonction de lecteur et d’acolyte demeure réservée aux hommes puisque, en pratique, les femmes exercent déjà depuis longtemps ces ministères et que des laïcs, dont plusieurs femmes, participent déjà au travail d’évangélisation. « Au chapitre des nouveaux ministères, le rapport final remis en avril 1976 comportera à peu près les mêmes recommandations que celles déjà contenues dans le rapport préliminaire présenté aux Pères synodaux en 1974 : la reconnaissance de la possibilité pour les femmes d’accéder à des ministères; l’examen de la question du caractère sacramentel ou non du diaconat conféré à des femmes et de la possibilité de conférer cette fonction à des femmes; la requête d’une justification des motifs qui réservent aux hommes les ministères d’acolyte et de lecteur; une étude de la question de la participation de la femme à la liturgie, à la lumière de la Constitution Sacrosanctum concilium et de la pratique actuelle dans les diverses Églises; le souhait de nommer des femmes aptes à occuper des postes de responsabilité dans l’Église, en particulier dans les organes de direction de la Curie romaine » 5 . Au cours de la même année (1976), les évêques canadiens, réunis en Assemblée plénière, avaient demandé au Saint-Siège d’envisager la possibilité d’admettre les femmes aux ministères de l’acolytat et du lectorat. Le rapport de la commission n’a pas eu de suite; de même que le projet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements sur les nouveaux ministères.
  • Le code de 1983. La publication en 1983 du Code de droit canonique semble stopper la période d’évolution que l’on avait connue depuis Vatican II, même s’il prend acte d’un certain nombre d’éléments importants : l’existence des « ministères institués » (cf. c. 230 §1), de l’aptitude des personnes laïques à se voir confier un ministère (cf. c. 228 § 1) et surtout, dans la foulée du Concile, ne réserve plus la catégorie technique de l’« office » (lat. officium ecclesiasticum) aux seuls clercs.
  • Le Synode des évêques sur les laïcs (1987). La question des ministères confiés à des laïcs se pose à nouveau au Synode des évêques 1987 portant sur l’identité et la mission des laïcs. Aux termes de cette assemblée, la proposition 18 demandait que le motu proprio Ministeria quaedam soit revu, en tenant compte de l’usage des Églises locales et surtout en précisant les critères selon lesquels doivent être choisis les candidats à chaque ministère ». 6 Dans son Exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici, Jean-Paul II annonçait qu’« une commission spéciale a été constituée, qui a pour but non seulement de répondre à ce désir explicite des Pères synodaux, mais aussi et surtout d’étudier, de manière approfondie, les divers problèmes théologiques, liturgiques, juridiques et pastoraux soulevés par l’abondante floraison actuelle des ministères confiés aux fidèles laïcs » 7 . On attend toujours des nouvelles de cette commission…
  • Le dernier Synode des évêques de 2008. De fait, la question de l’admission des femmes au lectorat devait être reprise lors du Synode des évêques de 2008 sur la Parole de Dieu. La proposition 17 remise au pape, aux termes de cette assemblée, plaide en ce sens, indiquant qu’il s’agirait là de reconnaître le rôle des femmes dans l’annonce de la Parole.  

1.2 Un développement des ministères laïcs dans les Églises locales.

Ces atermoiements multiples contrastent largement avec le développement dans beaucoup d’Églises locales de ministères confiés à des laïcs, spécialement d’ailleurs dans les Églises d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest. Dans ces Églises, on va donc infléchir la recherche plutôt du côté du droit canonique pour trouver des formules qui, à la fois donnent un statut aux laïcs exerçant un ministère, sans pour autant avancer sur la nature théologique de ce ministère.

C’est par les finances ( !) qu’on peut avoir la seule estimation statistique, grâce aux postes budgétaires:5000 personnes rémunérées par l’Église en France en 2004 (personnel administratif inclus). Soit environ 50 par diocèse … on était à 10 à la fin des années 1990!

Il faut évoquer aussi l’étude de Marc Pelchat, le 6 mars 2002, à la session d’études sur les ministères ici au Québec : « Le parcours emprunté par de nombreuses Églises locales, depuis vingt-cinq ans, a été celui de confier des charges pastorales à des personnes de plus en plus nombreuses, en dehors des formes ministérielles existantes. Tout en confiant des mandats épiscopaux et en émettant des lettres de mission, on a hésité à employer le vocabulaire de la ministérialité. Au Québec, c’est le titre d’agent et d’agente de pastorale qui s’est imposé, à côté de celui d’animateur et d’animatrice de pastorale. Ces nouveaux rôles, le plus souvent remplis par des femmes, venaient pallier la diminution du nombre des membres du presbyterium à qui pouvaient être confiées des tâches d’animation de divers secteurs de la pastorale ».

2. Les raisons d’un tel décalage?

Il convient tout de même de s’interroger sur les raisons qui peuvent expliquer ce décalage entre, d’un côté, un développement dans la pratique et, de l’autre, une frilosité extrême à définir un statut théologique stable. On peut en avancer plusieurs :

2.1 Pénurie presbytérale.

Ce ne sont que dans les pays qui ont connu une pénurie de prêtres que se sont développés les ministères confiés à des laïcs et que s’est vraiment posée la question du statut théologique de ces ministères, spécialement dans les années 1970-1980. Bien sûr, le discours théologique ne dit pas cela, il fonde les responsabilités et ministères des laïcs sur le baptême et sur la redécouverte à Vatican II d’une Église tout entière Peuple de Dieu et cela est juste. De plus, la théologie des ministères ordonnés depuis Vatican II tente, sous l’impulsion décisive de Congar, de nous faire penser les ministères pour l’ecclesia et non le contraire : c’est-à-dire l’ecclesia en fonction des ministères. Le fait relevé que ce sont les Églises qui connaissent une pénurie de prêtres qui se posent la question des ministères laïcs est à considérer en face. Elle révèle une donnée de la question des ministères confiés aux laïcs. On peut en relever deux symptômes : le premier est la peur qu’un statut réel donné aux ministères laïcs ne vienne affaiblir l’identité du ministère presbytéral et aggraver la crise de recrutement qui existait depuis longtemps déjà. On verra ici les raisons des réticences par rapport à l’accès des femmes au ministère de diacre, de lecteur et d’acolyte. Elle est apparue clairement au Synode romain de 1987 relatif à la vocation des laïcs. Le secrétaire spécial de ce septième synode ordinaire des évêques, le défunt cardinal Pierre Eyt, écrivait à ce propos: « La question fut fréquemment exprimée de réserver le terme de ministère au « ministère ordonné ou sacramentel » ou encore « lié à l’imposition des mains » (épiscopat, presbytérat, diaconat). » 8 Il en va de même dans l’Instruction du 15 août 1997 : « Instruction sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres ». Le deuxième symptôme est que nous réfléchissons la question des ministères confiés aux laïcs souvent aujourd’hui à partir de la situation d’urgence (prévisible depuis longtemps) du service de paroisses qui n’ont plus de prêtres. La question des ministères confiés à des laïcs est souvent posée dans une perspective de survie, du genre « Que transmettons-nous? Comment nos communautés vivent-elles aujourd’hui? Et vivront-elles demain? ». Ce souci est plus que légitime, il est vital mais si la question des ministères laïcs se pose uniquement dans ce contexte nous n’arriverons jamais à sortir du modèle presbytéral, nous tomberons dans ce que beaucoup appelle la logique de substitution, nous n’arriverons jamais à une logique de pluriministérialité fondée sur le Nouveau Testament. “De même qu’en un seul corps nous avons plusieurs membres et que tous les membres n’ont pas tous la même fonction, ainsi, à plusieurs, nous sommes un seul corps dans le Christ, étant chacun pour sa part, membres les uns des autres” (Rm 12, 4-5). C’est la raison pour laquelle j’ai posé la question hier soir de savoir s’il n’y avait pas d’autres laïcs que les agents et agentes de pastorale laïques.

2.2  Dichotomie entre grâce et institution.

Le développement des communautés nouvelles, puis de la Nouvelle évangélisation sous l’impulsion du pape Jean-Paul II à partir de la fin des années 70 et spécialement dans les années 1980, a eu tendance à relativiser la question des acteurs de la mission, partant du principe que si la mission de l’Église se trouvait revigorée, les acteurs ne tarderaient pas à se manifester. La logique est théologiquement inattaquable et, dans bien des endroits, elle se vérifie pastoralement dans les faits. Le retour au cœur de la mission que Dieu donne à son Église est la meilleure voie de salut, au sens propre du terme, qui puisse se dessiner. Cependant, par rapport à cette question des ministères confiés aux laïcs cela risque d’aboutir à une dichotomie entre, d’un côté, les instances de pastorale que je nomme, faute de mieux, traditionnelles et de l’autre – ce que je nomme faute de mieux également – les communautés nouvelles. Si cela devait nous faire revenir au vieux conflit du XIXe siècle entre charisme et institution, cela serait particulièrement préjudiciable et grave pour la mission de l’Église. Or nous n’en sommes parfois pas très loin peut-être parce que ce conflit nous le portons en nous : nous savons que seul un retour à Dieu peut nous sauver, que la seule voie est celle de l’intériorité et nous en fait déduire que l’extérieur n’est pas important. Finalement à une société qui ne met en avant que l’extériorité, nous sommes tenté de répondre par un recours à une intériorité qui nie l’extériorité. « Je ne vais quand même pas passer du temps à peaufiner un statut théologique et canonique pour des laïcs, alors que je sais que seul l’esprit de Dieu et l’adoration sont la voie pour l’Église ». Une fois de plus l’enjeu est à la jointure, à l’articulation. La partie que se joue est serrée parce qu’elle est ainsi au cœur de nous-mêmes, par ce qu’elle est ainsi au cœur de l’Église. Il s’agit d’unir finalement ce que tout nous pousse à opposer, à commencer par la société post-moderne qui a une vertu disjonctive. D’ailleurs je vis le monde intérieur comme un espace dans lequel on s’aventure. Je vis mes réalités intérieures comme un autre monde dans lequel je vais et je viens. Cela signifie, par voie de conséquence, que le monde extérieur et l’histoire tout entière sont à leur tour pris dans quelque chose qui les contiennent et les tiennent serrés en eux. Est-ce pour cela que la sagesse nous recommande d’imiter la nature : parce que dès le commencement, la nature imite cet invisible que nous cherchons. Pas d’opposition donc entre l’intérieur et l’extérieur, mais une commune appartenance.

C’est le seul moyen de ne pas tomber ou d’un côté dans un conception managériale de la pastorale ou chaque tâche est parcellisée ou, de l’autre, dans l’idéalisme pure qui ne correspond pas à une foi en l’incarnation.

2.3  Le diaconat permanent.

Il faut ici ajouter un élément qui est le développement du diaconat permanent. Il a focalisé sur lui tout le développement de la recherche autour de la dimension liturgique et sacramentelle des nouveaux ministères. Du coup, bien souvent on a tenté de laisser les ministères confiés à des laïcs en dehors du champ de la liturgie, ou en le limitant à l’extrême. Ainsi les recherches ont surtout porté sur des liturgies d’investiture de ces nouveaux ministères. Il me semble que cette intégration des ministères confiés à des laïcs dans le champ liturgique est insuffisante. Si on se réfère à Sacrosanctum Concilium 26, on lit : « C’est pourquoi les actions liturgiques appartiennent au corps tout entier de l’Église, elles le manifestent et elles l’affectent; mais elles atteignent chacun de ses membres, de façon diverse, selon la diversité des ordres, des fonctions et de la participation effective ». C’est moins sur la diversité des ordres, des fonctions et sur la participation effective que je désire ici m’arrêter que sur l’assertion que les actions liturgiques manifestent et affectent le corps tout entier de l’Église. Même si je comprends et partage la volonté de ne pas confondre les ministères ordonnés et les ministères confiés à des laïcs, l’absence d’une participation visible et comme telle des ministres laïcs dans les liturgies doit nous alerter sur l’émancipation d’une sphère de l’Église vis-à-vis de sa dimension constitutivement liturgique. Qu’est-ce que j’entends par absence? Dans les liturgies diocésaines, paroissiales, etc…

Tout cela ayant été dit, que peut-on maintenant faire pour entrer dans une dynamique positive, d’espérance?

3. Pour une typologie des ministères confiés à des laïcs.

On ne peut penser aujourd’hui les ministères laïcs comme un tout uniforme qui ferait l’objet d’un traitement commun. Il faut tenter une typologie pour éviter de tout mélanger et de tomber dans la confusion. Nous nous trouvons ici encouragés par les distinctions qui sont à l’œuvre dans l’exhortation post-synodale de Jean-Paul II Christifideles laïci au n° 23 :

« La mission salvifique de l’Église dans le monde est réalisée non seulement par les ministres qui ont reçu le sacrement de l’Ordre, mais aussi par tous les fidèles laïcs : ceux-ci, en effet, en vertu de leur condition de baptisés et de leur vocation spécifique, participent, dans la mesure propre à chacun, à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ.

Les pasteurs, en conséquence, doivent reconnaître et promouvoir les ministères, les offices et les fonctions des fidèles laïcs, offices et fonctions qui ont leur fondement sacramentel dans le Baptême, dans la Confirmation, et de plus, pour beaucoup d’entre eux, dans le Mariage.

En outre, lorsque la nécessité ou l’utilité de l’Église l’exigent, les pasteurs peuvent, selon les normes établies par le droit universel, confier aux fidèles laïcs certains offices et certaines fonctions qui, tout en étant liés à leur propre ministère de pasteurs n’exigent pas cependant le caractère de l’Ordre. Le Code de Droit Canon prescrit : « Là où les nécessités de l’Église le conseillent, et à défaut de ministres sacrés, des laïcs peuvent, même sans être lecteurs ou acolytes, remplir en suppléance telle ou telle de leurs fonctions : ministère de la parole, présidence des prières liturgiques, administration du Baptême, distribution de la Sainte Communion, suivant les normes du droit » 9 .

Il faut remarquer toutefois que l’exercice d’une telle fonction ne fait pas du fidèle laïc un pasteur : en réalité, ce qui constitue le ministère, ce n’est pas l’activité en elle- même, mais l’ordination sacramentelle. Seul le sacrement de l’Ordre confère au ministre ordonné une participation particulière à la fonction du Christ Chef et Pasteur et à son sacerdoce éternel 10 .

La fonction exercée en tant que suppléant tire sa légitimité formellement et immédiatement de la délégation officielle reçue des pasteurs et, dans l’exercice concret de cette fonction, le suppléant est soumis à la direction de l’autorité ecclésiastique 11 .

Je vous proposer de distinguer quatre types de missions confiées à des laïcs que je ne nommerai d’ailleurs pas tous ministères, réservant ce terme aux deux dernières catégories. Le langage canonique est plus sensible aux ministères qu’aux ministres, c’est-à-dire plus soucieux de la fonction que de son titulaire. Ceci est justifié théologiquement : le ministère est une réalité au service de la communauté ecclésiale plutôt qu’une affaire ayant trait à la sainteté du ministre.

A. La mission générale des laïcs.

« 23. La mission salvifique de l’Église dans le monde est réalisée non seulement par les ministres qui ont reçu le sacrement de l’Ordre, mais aussi par tous les fidèles laïcs : ceux-ci, en effet, en vertu de leur condition de baptisés et de leur vocation spécifique, participent, dans la mesure propre à chacun, à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ. »

Cette dimension va théologiquement de soi mais elle doit être rappelée lors de toute réflexion sur les ministères confiés à des laïcs. Le Baptême et la Confirmation rendent pleinement partie prenante de la mission de l’Église en tant que les fidèles sont incorporés au Christ et à l’Église. Cette coresponsabilité est organique et différenciée.

S’ajoute à ce fondement, la détermination de LG 31 qui rappelle la nécessité pour les laïcs de s’engager dans les différents domaines de la vie de la société. Dans nos sociétés hautement sécularisées, il s’agit d’un aspect de la mission de l’Église qui ne doit pas être oublié.

B. Les laïcs qui reçoivent une charge.

« CFL 23 (suite) Les pasteurs, en conséquence, doivent reconnaître et promouvoir les ministères, les offices et les fonctions des fidèles laïcs, offices et fonctions qui ont leur fondement sacramentel dans le Baptême, dans la Confirmation, et de plus, pour beaucoup d’entre eux, dans le Mariage ».

Je vais ici scinder en deux parties suivant encore le texte. Il y a des laïcs qui reçoivent une fonction et d’autres un office. Fonction traduit ici le terme latin « munus » que je préfère traduire par charge.

La collaboration se fait ici ex mandato Ecclesiae, à plus forte raison quand il s’agit d’exercer une tâche par suppléance. Un laïc peut avoir le charisme de consolation et être particulièrement disposé à visiter les malades. Il le fera au nom de sa foi, en vertu de sa vocation baptismale et des charismes reçus, jusqu’au jour où son curé l’appellera et lui demandera de le faire au nom de la communauté paroissiale. Dans l’une et l’autre hypothèse le fondement est la condition de baptisé coresponsable de la mission de l’Église. Dans la première, c’est au nom de sa foi, que le baptisé se mettra au service des autres. Dans la seconde, c’est au nom de 1’Église qu’il sera envoyé au service des autres.

L’expression « au nom de l’Église » (ex mandato ecclesiae) a un sens juridique précis. Elle signifie tout d’abord que ce n’est pas uniquement en son nom propre comme individu, que le baptisé agit. Elle signifie surtout que l’individu engage autrement l’Église. Désormais, ce n’est plus sous sa responsabilité personnelle exclusive qu’il s’engage et qu’il engage l’Église. C’est avec la caution officielle, de manière autorisée.

C. Les laïcs qui reçoivent un office.

Regardons tout d’abord la définition de l’office que donne le code de droit canonique : « Can. 145 – § 1. Un office ecclésiastique est toute charge constituée de façon stable par disposition divine ou ecclésiastique pour être exercée en vue d’une fin spirituelle. § 2. Les obligations et les droits propres à chaque office ecclésiastique sont déterminés par le droit qui le constitue ou par le décret de l’autorité compétente qui, tout ensemble, le constitue et le confère ».

Certains offices comportent la pleine charge d’âmes, c’est ce qu’on appelle la cura pastoralis. Pour remplir ce genre d’office, il faut être ordonné prêtre. D’autres offices ne comportent pas cette pleine charge d’âmes et ne nécessitent pas l’ordination.

Sans entrer ici dans une réflexion technique de droit canonique, on s’aperçoit que la notion d’office recoupe celle de ministère telle qu’elle était définie par l’Assemblée plénière des évêques de France en 1973.

Les ministères sont des services précis, qui sont qualifiés à la page 55 de la Note théologique no 5 :

– des services précis, c’est-à-dire qui ont un objet, par exemple la catéchèse d’un lycée;

– des services d’importance vitale, c’est-à-dire nécessaires à la vie de l’Église et, en tout cas, au bene esse ou au melius esse de la vie de l’Église. Il est évident que l’Église ne peut pas vivre sans catéchèse, sans liturgie, sans diaconie, sans service des pauvres, des malades, etc.;

comportant une vraie responsabilité, c’est-à-dire que ce n’est pas seulement une sorte de sous-location d’un service assuré comme responsable par un autre. Quelqu’un est chargé d’un service, et ceci d’une façon relativement stable, en sorte que l’on peut compter dessus, parce que cela comporte une réelle responsabilité. On abuse beaucoup, en ce moment, du mot de responsabilité, parce qu’on ne lui donne pas son sens plénier. Responsable, cela signifie : qui doit et peut répondre de quelque chose à quelqu’un. Actuellement, on emploie souvent responsable pour dire : « Vous êtes libre, cela vous regarde » Non, au contraire : on a à répondre, on assume une charge devant quelqu’un, ici devant l’Église de Dieu et donc devant le Christ et son Saint Esprit;

reconnus par l’Église locale. Évidemment, si un service est reconnu par l’Église locale, il l’est aussi par d’autres Églises qui sont en communion avec cette Église locale. Reconnu, cela signifie qui a été institué. Par exemple, par un acte liturgique : cela est assez traditionnel, on voit cela dans les Actes, chapitre 6. C’est ce qu’a affirmé Ministeria quaedam. Mais, ce décret est trop étroit pour notre sujet car il n’envisage que deux ministères, tout en laissant d’ailleurs aux conférences épiscopales la possibilité, et sans doute le devoir même, d’en proposer d’autres. Mais le service peut être reconnu aussi simplement par une désignation, par une nomination : par exemple, que l’on sache que M. Untel, Mme Unetelle sont catéchistes pour tel lycée, ou bien assurent l’animation liturgique, le conseil conjugal, l’aide aux jeunes fiancés, etc.;

– enfin, comportant une certaine durée. Il est évident que quelque chose de tout à fait occasionnel, passager, qui n’a pas beaucoup de consistance, est un service plus qu’un ministère. Ici, nous rencontrons sans aucun doute une grosse difficulté dans la société actuelle, qui est tellement vagabonde, où souvent nous aurons pendant deux ou trois ans, quatre ou cinq ans peut-être un ménage qui assurera un très bon service de catéchèse, puis s’en ira car il est nommé ailleurs, etc. C’est évidemment une difficulté, mais il y aura eu, au moins, une certaine durée.

On gagnerait à partir de la réalité pastorale actuelle pour identifier ce qui, de fait, est un office ou un ministère. C’est à notre avis le cas pour des missions comme celles d’aumônier de prison, de lycée, ou d’hôpital; ou de responsable d’équipe d’accompagnement des familles en deuil. C’est là des nouveaux ministères qui apparaissent grâce à la vie de l’Église et prennent consistance.

D. Les laïcs qui participent à l’exercice de la charge pastorale.

CFL 23 : « En outre, lorsque la nécessité ou l’utilité de l’Église l’exigent, les pasteurs peuvent, selon les normes établies par le droit universel, confier aux fidèles laïcs certains offices et certaines fonctions qui, tout en étant liés à leur propre ministère de pasteurs n’exigent pas cependant le caractère de l’Ordre ».

Ce dernier texte suffit à montrer qu’il s’agit d’une nouvelle figure ministérielle. On se situe dans un contexte particulier, pour remplir une fonction ecclésiale, dans un rapport spécifique avec l’autorité pastorale. Quatre éléments essentiels et nécessaires nous semblent devoir caractériser ces ministères (non ordonnés) mais « de type pastoral » :

1. Il s’agit effectivement d’une « participation à la charge pastorale » (CFL, 23), c’est-à-dire qui inclut, d’une façon ou d’une autre, les trois fonctions traditionnelles : l’annonce officielle de la Parole de Dieu, la pastorale sacramentelle et liturgique, l’animation de la communauté. Le ministère ici intègre, déploie l’ensemble des trois composantes de la fonction pastorale, ce qui est typique des communautés « hiérarchiques ».

2. Ces ministères sont confiés par une délégation ou mieux une « députation » (c’est-à-dire au nom de l’Église), une députation reçue des pasteurs (un mandat au Québec).

3. Ces ministères requièrent nécessairement un lien organique avec le ministère presbytéral, selon des formes diverses : du prêtre « modérateur » (c. 517,2) jusqu’à des relations institutionnelles plus souples, comme celles du « prêtre-référent » ou du « prêtre chargé d’assurer la présence du ministère presbytéral » si l’on adopte des expressions devenues courantes.

4. Ces ministères ne se justifient que dans un contexte de « nécessité ou d’utilité pour l’Église » (CFL, 23). Sous la pression des besoins, certains choix deviennent inévitables pour faire face à l’animation de l’Église et à sa mission. L’Évangile n’attend pas. Pour pallier conjoncturellement la dureté des temps, des solutions de « suppléance » peuvent et doivent être envisagées.

Pour ce dernier cas de ministères confiés à des laïcs j’oserai employer le terme de suppléance. Ce terme de « suppléance » apparaîtra, à beaucoup, dévalorisant et donc insupportable. Il demande à être bien compris. À vue humaine, la « suppléance » risque de durer; on doit même reconnaître qu’elle est, en France et en d’autres pays, en extension croissante. Le mot ne signifie donc pas nécessairement « transitoire » ou « temporaire » comme le déclarent certains documents; il désigne une situation « anormale ». « À défaut de ministres sacrés », précisent le code de droit canonique (c. 230,3) et « l’exhortation apostolique » (n’ 23). C’est aussi une manière de rappeler opportunément la nécessité du « Ministère ordonné ».

Il faudra donc sortir de la situation :

  1. En retrouvant des candidats pour être prêtre selon les critères actuels.
  2. En ordonnant ceux et celles qui font effectivement un ministère de prêtre, en présidant des communautés.
  3. Par tout autre moyen que la grâce divine ne manquera pas de nous communiquer.

CONCLUSION

Pour conclure, j’aimerais souligner l’intérêt de cette distinction en quatre types de responsabilités confiées à des laïcs :

  • Elle permet de voir – si nécessaire – qu’on ne résoudra pas les questions qui se posent dans une catégorie avec les outils aussi bien pastoraux que théoriques d’une autre. Par exemple, la question de savoir comment palier le manque de prêtres est spécifique. Cela signifie qu’elle ne pourra jamais être résolue par les ministères laïcs – on ne remplace les prêtres que par des prêtres – et d’autre part, qu’il faut arrêter de poser la question des ministères confiés aux laïcs uniquement par rapport au manque de prêtres.
  • Elle se centre sur les ministères plus que sur les ministres. Même s’il faudrait développer ici le lien entre certains ministères et les états de vie. Il y a des offices qui nécessitent une ordination celui d’évêque, de curé. Ce sont des offices réservés. Pourquoi ne pas penser des ministères réservés aux laïcs étant donné justement leur état de vie, ou aux diacres permanents.
  • Elle permet de ne pas focaliser sur un type de ministère confié à des laïcs et ainsi d’entrer dans une pluri-ministérialité, et donc dans une heureuse collaboration de type synodal.

 NOTES

1- Cette partie est largement redevable à l’ouvrage de A. BORRAS et G. ROUTHIER, Les nouveaux ministères. Diversité et articulation, Mediaspaul, 2009.

2- Ministeria Quaedam, La Documentation catholique, n°1617, 1972.

3- Ministères et services dans l’Église. Actes de la huitième semaine théologique de Kinshasa, Kinshasa, Faculté de théologie catholique, 1979, p. 168.

4- A. BORRAS et G. ROUTHIER, Les nouveaux ministères. Diversité et articulation, Mediaspaul, 2009, p. 28.

5- A. BORRAS et G. ROUTHIER, Les nouveaux ministères. Diversité et articulation, Mediaspaul, 2009, p. 30/

6- Propositio, n° 18, « Propositions présentées au pape par le Synode », La Documentation catholique, n°84, 1987, p. 1093.

7- Jean-Paul II, « Christifideles laici », La Documentation catholique, n°86, 1989, n°23.

8- Nouvelle revue théologique, n’ 110, année 1988, p. 11.

9-  C.I.C., can. 230 § 3.

10- Cf. CONC. OEcum. VAT. II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorurn ordinis, 2 et 5.

11- Cf. CONC. OECUM. VAT. II, Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem, 24. 

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