« L’égalité pour les femmes, c’est le progrès pour toutes et tous » en Église comme dans le monde

Thérèse BouchardComme à chaque année, la Journée internationale des femmes invite à faire le bilan de l’état d’avancement de l’égalité des femmes et des hommes dans le monde. Ayant déjà travaillé en pastorale dans une autre vie et maintenant retraitée après plus de 20 ans d’engagement en coopération internationale, on m’a demandé de partager ma réflexion autour du 8 mars. Mon expérience en coopération porte particulièrement sur les droits de la personne, notamment sur l’égalité entre les hommes et les femmes, et sur le développement démocratique.

Du simple point de vue de l’exercice du pouvoir au Canada, il y avait, jusqu’à récemment, six femmes cheffes de gouvernements provinciaux. Qui l’aurait prédit il y a à peine cinq ans? Dans le monde, la situation s’améliore trop lentement, mais constamment toutefois. Ainsi, ONU Femmes dénombrait en juin 2013 huit cheffes d’État élues et treize cheffes de gouvernement national dans le monde. Cela représente à peine 10% à l’échelle mondiale. Toutefois, de plus en plus d’études sur le terrain démontrent que là où les femmes exercent un réel pouvoir d’orientation et de décision, particulièrement au niveau local, les résultats profitent davantage aux populations et, conséquemment, que l’exercice du pouvoir se traduit en service et en réponses concrètes aux besoins réels. Cela met bien en lumière le thème du 8 mars retenu par l’ONU cette année : « L’égalité pour les femmes, c’est le progrès pour toutes et tous » 1

Ainsi, il est significatif que la République Centrafricaine, aux prises avec un conflit sanglant, place son espoir dans une femme comme cheffe d’État de transition. Alors qu’on a longtemps misé sur les hommes et leur « force » pour régler les conflits, voilà que le paradigme pourrait changer au profit d’une approche de guérison. Cet exemple pourra-t-il ouvrir une brèche dans le partage des rôles en Église?

D’une perspective ecclésiale, y a-t-il cette année des raisons nouvelles de célébrer pour les femmes et les hommes en Église qui aspirent à l’égalité et à un vivre ensemble plus évangélique? Comme le souligne Pauline Jacob dans un récent article 2 les espoirs suscités par l’arrivée de François à la tête de l’Église ne semblent pas concerner l’amélioration de la condition des femmes dans l’Église, notamment pour l’ordination. Il semble ainsi s’enfermer avec le verrou imposé par Jean-Paul II sur la question.

Toutefois, certaines affirmations de l’évêque de Rome me donnent à espérer. Ainsi il ne croit pas « qu’on doive attendre du magistère papal une parole définitive ou complète sur toutes les questions qui concernent l’Église et le monde » 3 . Peut-être reviendra-t-il avec une nouvelle clé pour ouvrir la discussion sur les ministères au féminin? Il affirme aussi que « les épiscopats locaux sont les plus aptes à discerner toutes les problématiques qui se présentent sur leurs territoires ». Il sera réticent à invoquer l’infaillibilité papale. François est jésuite, donc éduqué au discernement, et plus pragmatique qu’idéologique. Dans une entrevue accordée aux revues jésuites, il dit :

« Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui, c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. […]. La première réforme doit être celle de la manière d’être. Les ministres de l’Évangile doivent être des personnes capables de réchauffer le cœur des personnes, de dialoguer et de cheminer avec elles, de descendre dans leur nuit, dans leur obscurité, sans se perdre. Le peuple de Dieu veut des pasteurs et non des fonctionnaires ou des clercs d’État. » 4

Dans la même entrevue, il affirme la nécessité « d’agrandir les espaces pour une présence féminine plus incisive dans l’Église ». « Je crains, dit-il, la solution du “machisme en jupe” car la femme a une structure différente de l’homme. Les discours que j’entends sur le rôle des femmes sont souvent inspirés par une idéologie machiste. Les femmes soulèvent des questions que l’on doit affronter. » On sent ici le chaud et le froid, l’idéologie machiste étant assimilée à la notion de genre. Ayant longtemps travaillé cette question, je sens le Vatican très chatouilleux, sinon paranoïaque, concernant ce sujet 5 . Dit grossièrement, les différences sexuelles sont pour Rome plus vraies parce que plus naturelles et donc plus dans la volonté du Créateur que les attributions sociales de genre. François parle d’ailleurs souvent de la fonction reproductive de la femme comme mère et comme éducatrice de la foi, alors que l’homme représente la fonction productive du travail. Mais se rend-il compte que la vision pastorale du ministère sacerdotal qu’il présente s’accorde davantage à la notion reproductive, pour rester dans son cadre d’analyse?

Quand il parle de « machisme en jupe », l’évocation est sévère. Mais elle me rappelle d’une certaine façon les luttes menées par certaines agentes et certains agents de pastorale de mon diocèse, au milieu des années 1980. Pour définir notre rôle, notre implication dans les décisions et nos conditions de travail, ces personnes prenaient comme référence le presbyterium. Elles proposaient de copier les modes de fonctionnement du presbyterium (type d’association, d’intervention, etc.) et d’obtenir pour les agentes et les agents de pastorale, dans une certaine mesure, un statut assimilable à celui des prêtres. Mais on ne se demandait pas si cela était pertinent pour la nouveauté qu’on pouvait apporter dans la vie de l’Église. Je ne me sentais pas à l’aise avec ce référent. Il m’apparaissait qu’on voulait imiter le modèle traditionnel alors que je privilégiais pour ma part la communauté chrétienne comme indicateur du rôle que nous devions jouer pour relier le monde et l’Église.

Il me semble que les attentes de François envers le ministère des prêtres et son ouverture sur les besoins du monde et le service missionnaire de l’Église offrent une occasion de repenser le rôle de la femme au sein de la communauté. La réflexion sera, je crois, davantage pastorale que dogmatique. Voilà pourquoi ce serait, à mon avis, le moment de reprendre le dialogue avec nos évêques qui ont déjà été des alliés et de les confirmer dans leur responsabilité d’être les bergers de leur peuple et non les haut-parleurs romains. Si on n’en est pas encore à célébrer, au moins, il y a un espace pour l’espérance et la conversion.

Thérèse Bouchard
Sainte-Marthe-sur-le -Lac Québec, Québec
Le 25 février 2014


NOTES

A propos Thérèse Bouchard

Thérèse Bouchard détient une maîtrise théologie pastorale de l'Université de Montréal. Elle a oeuvré dans le domaine de la pastorale et de la solidarité internationale. Elle fut, pendant cinq ans, directrice générale adjointe de l’organisation Développement et paix et, pendant quinze ans, experte pour le Centre d'étude et de coopération internationale [CECI] dans le domaine des droits de la personne, du développement démocratique et de la gestion des conflits.
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