Libérer la parole des femmes – Rencontre avec Pauline Jacob

Pauline JacobPauline Jacob est connue pour son engagement envers la cause de l’ordination des femmes dans l’Église catholique. Depuis le début des années 2000, cet engagement s’est manifesté par de nombreux articles et conférences, et surtout par la parution d’un livre en 2007 : Appelées aux ministères ordonnés.Présence magazine vous propose de retracer le parcours de cette femme qui préfère donner la parole plutôt que de la prendre, et qui combat pour la justice sans se donner des airs de justicière…

Vers l’âge de neuf ans, Pauline Jacob se rappelle avoir été indignée de découvrir que les institutrices recevaient un salaire inférieur à celui de leurs collègues masculins: « Si un homme a une famille à sa charge, avait-elle dit, ce serait normal qu’il gagne plus, mais s’il est célibataire [comme les femmes devaient l’être pour enseigner], pourquoi est-ce qu’il gagnerait plus cher qu’une femme? Ça n’a pas d’allure! »

C’est cette même tournure d’esprit qui l’a menée, bien des années plus tard, sur la piste de l’ordination de femmes dans l’Église catholique. Cet aboutissement, bien que cohérent avec ses valeurs, était loin d’être planifié, et bien des hasards l’y ont menée!

TOUJOURS PRÊTE

En même temps que la jeune Pauline Jacob se préoccupait d’équité salariale, elle faisait ses premiers pas dans le mouvement scout – « la passion de ma jeunesse », dit-elle. À la fin de l’adolescence, elle devient animatrice chez les guides (équivalentes féminines des éclaireurs), un choix déterminant pour son avenir.

Lorsque vient le temps de choisir une formation universitaire, elle choisit l’enseignement: « J’ai toujours aimé l’école, et à l’époque, les filles n’avaient le choix que de devenir infirmières, secrétaires ou enseignantes », raconte-t-elle. Mais avant de terminer sa formation, son expérience d’animatrice chez les guides la mène sur une voie parallèle: une amie l’informe de l’ouverture d’un centre pour jeunes délinquantes dans le nord de Montréal; or le centre recherche des jeunes filles pour animer des camps d’été.

Elle accepte spontanément cette offre. Le travail n’est pas de tout repos – à un moment, la moitié des filles de son groupe sont des prostituées – mais elle a la piqûre: « C’est passionnant, le milieu de la psychoéducation! », s’exclame Pauline Jacob, qui adore aider les personnes exclues et marginalisées. Elle travaille successivement au centre Sainte-Hélène, puis à Boscoville, un centre pour jeunes délinquants masculins. Son travail auprès des délinquants consiste notamment à animer des ateliers de discussion sur les valeurs, dans le but de pousser les jeunes à agir en concordance avec leurs paroles.

Cette recherche de cohérence est un trait dominant chez Pauline Jacob. Et comme elle aime bien « aller au bout d’une démarche », elle retourne sur les bancs de l’école: elle veut devenir une psychoéducatrice à part entière, sa formation d’enseignante ne lui permettant pas de poser tous les gestes réservés à la profession. Elle complète non seulement un baccalauréat, mais aussi une maîtrise en psychoéducation!

Sa recherche de cohérence entre discours et action se manifeste partout, même dans ses loisirs: en plus de la flûte et du plein air, elle prend du temps pour lire. Or que lit-elle? De la théologie, et des romans historiques comme Docteure Irma, de Pauline Gill, sur la première canadienne-française médecin; ou Les accoucheuses, d’Anne-Marie Sicotte, sur le combat pour la reconnaissance d’une sage-femme dans le Québec du 19e siècle. Des romans qui ont en commun d’abor- der le rôle des femmes dans des domaines réservés aux hommes..

DE PSYCHOÉDUCATRICE À MÈRE

Pauline Jacob adore son travail, mais elle décide de prendre une pause professionnelle au moment où elle et son conjoint – lui aussi psychoéducateur à Boscoville – décident d’avoir des enfants. « La famille, c’est très important dans nos valeurs », affirme-t-elle. Et comme les valeurs doivent se concrétiser dans des gestes – toujours cette recherche de cohérence! – ils auront quatre enfants en sept ans! (Égalitarisme oblige, ce seront deux filles et deux garçons!)

Voilà qui aurait été bien assez pour remplir ses journées… Mais elle décide de s’impliquer dans la Ligue La Leche, une organisation internationale de bénévoles qui soutiennent les mères allaitant leurs bébés. Pendant un temps, elle coordonne les 125 conseillères en allaitement du Canada français. « Cela m’a permis de continuer à être présente au monde », se rappelle-t-elle.

Cette « présence au monde » se manifeste aussi lorsqu’elle décide de se diriger vers l’animation pastorale. Mais ce n’était pas un cheminent qui s’imposait de lui-même: « Jeune adulte, se souvient-elle, il y a eu une période claire-obscure sur le plan de ma foi personnelle. C’était une époque où certains ecclésiastiques essayaient encore d’imposer une lecture littérale des textes bibliques, sans mise en contexte, et je me disais que ça ne pouvait pas être le vrai message du Christ ».

La rencontre d’un prêtre dynamique qui organisait des messes familiales l’a aidée à voir les choses sous un autre angle, à distinguer les irritants accessoires de sa foi profonde. C’est ce qui l’a convaincue de s’orienter vers la pastorale, parce que « c’est ce qu’il y a de plus pré- cieux dans la vie, la découverte de Dieu. Si je peux permettre à des enfants de vivre ça, ce serait merveilleux », explique-t-elle.

L’entrée de ses enfants à l’école est un autre facteur qui l’a menée sur le chemin pastoral. Avec d’autres parents de l’école alternative que ses enfants fréquentaient, à la Ville d’Anjou (à l’est de l’île de Montréal), elle souhaitait que les élèves aient accès à des activités pastorales de qualité. Elle a donc commencé à animer une activité dans laquelle elle a fait venir le prêtre qui l’avait aidée à se «recentrer»; ce dernier l’a, à son tour, invitée à travailler en pastorale à la paroisse.

LA THÉOLOGIE PAR ACCIDENT

À nouveau, ses choix de vie l’ont ramenée sur les bancs de l’école: la pastorale scolaire exigeait une formation qu’elle n’avait pas. Elle a donc accepté de retourner en classe, même si elle possédait déjà deux baccalauréats et une maîtrise!

Loin d’être une simple formalité, cette nouvelle formation l’a ouverte à une nouvelle voie: celle de la théologie – « une révélation », dit-elle. Passionnée par ses cours, elle a amorcé « en douce » une propédeutique qui lui permettra plus tard de s’inscrire à la maîtrise en théologie à l’Université de Montréal.

Son engagement pastoral l’a aussi confrontée à des questions difficiles. Elle aimait beaucoup ce qu’elle faisait, que ce soit l’initiation sacramentelle ou les activités communautaires; mais elle vivait des « tiraillements » importants: par exemple, des parents et des enfants lui faisaient remarquer qu’elle ferait un « bon prêtre ». Elle prend conscience des limites de son rôle d’agente de pastorale, notamment de son degré de liberté qui dépend entière- ment du bon vouloir des prêtres avec qui elle travaille.

En parallèle, dans ses cours de théologie, elle rencontre des personnes qui se questionnent sur la place des femmes dans l’Église. Elle découvre que des femmes parlent ouvertement de leur appel à la prêtrise.

Ses questionnements et ses discussions, notamment avec sa directrice, Lise Baroni, la poussent à choisir l’ordination des femmes dans l’Église catholique comme sujet de mémoire de maîtrise. Pauline Jacob ne souhaite pas se lancer dans une controverse purement biblique; elle souhaite plutôt permettre à des femmes de témoigner de leur appel à la prêtrise ou au diaconat.

UN APPEL IRRÉSISTIBLE

Après deux baccalauréats et deux maîtrises, il ne restait plus à Pauline Jacob qu’à obtenir un doctorat! Ce qu’elle fera, mais sans l’avoir planifié, encore une fois!

À la fin des années 1990, l’achèvement de sa maîtrise n’avait rien pour calmer son insatisfaction par rapport aux contraintes du monde pastoral. Elle se sentait sur une lancée, mais l’idée d’un doctorat ne s’imposait pas d’elle-même. Il a fallu qu’elle tombe, par hasard, sur une publicité annonçant une bourse d’études offerte par la Congrégation des Sœurs Sainte-Anne pour qu’elle se dise: « Pourquoi pas moi ? » Elle décide de sou- mettre sa candidature. Elle ne reçoit pas la bourse, mais il est trop tard, le train a quitté la gare!

Ce sera un long voyage: sept années seront nécessaires à l’achèvement de sa thèse. Elle reprend l’idée de faire témoigner des femmes qui ressentent un appel au diaconat ou à la prêtrise. Le projet est d’envergure: elle interviewe 15 femmes et 73 personnes de leur entourage. Encore une fois, l’objectif n’est pas de faire de la haute-voltige argumentative pour mettre en échec l’arsenal théologique développé par Rome. Elle aborde ces aspects, mais le cœur de son travail consiste à donner une voix à ces femmes qui vivent un appel intense, et qui souffrent de ne pas pou- voir vivre leur vocation.

Dans le livre qu’elle a tiré de son doctorat, Appelées aux ministères ordonnés, une des femmes affirme que « …le refus obstiné de l’Église me fait beaucoup souffrir. Je me sens violentée dans la dignité de mon être parce que je ne peux pas aller au bout de mon appel ». Une autre dit: « Dieu n’appelle pas un sexe, il appelle une personne, quels que soient sa race, sa couleur, son identité ou son sexe ».

La frustration de ces femmes est d’au- tant plus forte qu’elles manifestent un véritable « discernement vocationnel », c’est-à-dire des attitudes et aptitudes requises pour entreprendre une démarche menant à la prêtrise (foi, liberté intérieure, présence au monde, etc.). Plusieurs font preuve de charisme et sont reconnues par leur communauté pour leur engagement. Pauline Jacob a été frappée par la force de leur désir de devenir prêtre. L’une d’elle lui a dit: « Le Seigneur m’appelait à être prêtre. Ça me paraissait impossible, j’ai lutté de toutes mes forces pour tenter de trouver d’autres réponses, mais c’était en vain. »

LA VOLONTÉ DE DIEU/E

Pauline Jacob écrit « Dieu/e » plutôt que « Dieu ». Elle explique qu’il/elle est représenté/e à la fois comme père et comme mère dans la Bible – « mais ça, on n’en parle jamais », dit-elle. Le pape Jean-Paul Ier, connu pour son pontificat remarquable- ment bref (un mois), a aussi parlé de « Dieu notre père, Dieu notre mère » dans une prière d’Angélus. Cette question est loin d’être anodine pour Pauline Jacob: « Si on ne peut pas concevoir Dieu/e comme une femme, c’est difficile d’accepter qu’une femme puisse le/la représenter » explique-t-elle.

Mais quelles sont les intentions de Dieu/e à cet effet ? Le Vatican croit avoir la réponse, qu’il a articulée dans trois documents principaux: Inter insigniores (1976, Paul VI), Mulieris dignitatem (1988, Jean-Paul II) et Ordinatio sacerdatolis (1994, idem). Ce dernier tente de clore définitivement le débat en affirmant que l’Église n’a, en quelque sorte, pas le pouvoir d’aller contre le « plan de Dieu sur l’Église ». Essentiellement, Rome invoque l’exemple du Christ, qui n’a pas choisi de femmes comme apôtres; la Tradition de l’Église qui a suivi cet exemple; les différences sexuelles qui appellent des rôles différents; et le rôle « important » que les femmes ont à jouer dans la communauté.

Pauline Jacob estime que ce blocage de l’Église vient de préjugés culturels qui prennent racine dans l’univers gréco-romain, et non dans l’Évangile. Elle a des mots durs à ce sujet: « Le christianisme est marqué par un long passé patriarcal et une conception annihilante de la femme véhiculée à différents moments de l’histoire » écrit- elle dans son livre. Elle affirme au contraire que les femmes avaient un rôle important dans le Nouveau Testament, surtout lorsqu’on lit les textes en tenant compte du contexte de l’époque. Par ailleurs, elle rappelle que l’esprit du mes- sage de Jésus s’oppose à toute forme de rigorisme sur le plan des pratiques religieuses. Citant une épître de Paul, elle affirme que « la lettre tue, l’esprit vivifie ».

Et si l’ensemble de la hiérarchie catholique suit la « ligne de parti » romaine, il n’en a pas toujours été ainsi. Elle rappelle que dans les années 1970, l’Église canadienne était très ouverte sur l’ordination des femmes: au nom de la Conférence des évêques catholiques du Canada, le cardinal George Bernard Flahiff avait proposé la création d’une commission d’étude à ce sujet en 1971. Le Vatican a créé cette commission, qui a conclu que le texte du Nouveau Testament ne permettait pas de trancher la question, et que l’ordination des femmes ne semblait pas aller à l’en- contre des intentions du Christ… Conclusions qui resteront lettre morte.

Malgré la résistance des autorités, Pauline Jacob souligne qu’il y a du mouvement chez les croyants. D’abord, de plus en plus de femmes étudient la théologie, ce qui a un impact sur l’interprétation des textes sacrés. Ensuite, plusieurs organisations ont été créées pour pro- mouvoir l’ordination des femmes: la Women’s Ordination Worldwide (WOW), qui organise des congrès internationaux (l’un s’est tenu à Dublin en 2001 et un autre à Ottawa en 2005); au Canada, c’est le Catholic Network for Women’s Equality (autrefois Canadian Catholics for Women’s Ordination ); aux États-Unis, la Women’s Ordination Conference (WOC), et ainsi de suite. Certaines femmes de ces organisations ont même procédé à des ordinations non reconnues – les épisodes d’ordinations sur le Danube (2002) et sur le fleuve Saint-Laurent (2005) ont fait couler beaucoup d’encre. Mais ces ordinations « illégales » ne sont pas appuyées par tous ceux et celles qui prônent l’ordination des femmes.

Au Québec, on ne retrouve pas de groupe de pression en tant que tel, mais des organismes d’échanges et de réflexion, comme Femmes et ministères, auquel participe activement Pauline Jacob (elle en a déjà été la présidente), ou la Collective L’autre Parole, un regroupement de chrétiennes féministes. Par ailleurs, les communautés religieuses du Québec et du Canada appuient l’ordination des femmes: en 2006, la Conférence religieuse du Canada, qui les regroupe, a produit un document audacieux demandant aux évêques canadiens de porter un message d’ouverture au pape, par rapport aux femmes, mais aussi aux homosexuels, aux divorcés, etc.

« Ce que j’aimerais, explique Pauline Jacob, c’est que l’Église écoute avec son cœur l’appel de ces femmes qui veulent servir l’Église ». Pas pour elle-même, puisqu’elle se dit très heureuse du chemin qu’elle a pris, mais pour toutes ces femmes à qui elle a donné une voix. A-t-elle de l’espoir que les choses changent? « La probabilité est très faible, reconnaît-elle. Mais il y a eu, dans l’histoire, des changements auxquels on ne s’attendait pas: qui avait prévu la chute du Mur de Berlin ? », demande-t-elle. Et à défaut de voir tomber le « rideau de fer » du Vatican sur l’ordination des femmes, elle aimerait au moins qu’on puisse, « entre adultes », permettre la discussion et l’échange des points de vue. Bref, que la parole soit libérée.

*Article publié dans la revue  PRÉSENCE MAGAZINE  de mars-avril 2010 et reproduit avec les permissions requises.

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